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Confinement, enseignement à distance, job étudiant perdu: portrait d'une génération sacrifiée

Une bénévole apporte des produits alimentaires pour des étudiants confinés le 1er avril 2020 dans une résidence universitaire de Bordeaux (photo d'illustration) - NICOLAS TUCAT © 2019 AFP
Une bénévole apporte des produits alimentaires pour des étudiants confinés le 1er avril 2020 dans une résidence universitaire de Bordeaux (photo d'illustration) - NICOLAS TUCAT © 2019 AFP

Avec le second confinement, l'enseignement à distance, l'isolement dans des logements exigus, la disparition des jobs alimentaires et les difficultés financières, les jeunes vont mal. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a ainsi mis en garde contre une "troisième vague" qui serait celle de "la santé mentale", notamment des jeunes.

Selon un récent sondage, quelque 75% des Français estiment que la jeunesse sera la génération la plus pénalisée par les conséquences économiques de cette crise sanitaire. Mardi soir, Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé qu'il demanderait au gouvernement "de préparer une stratégie pour prendre en compte les conséquences psychologiques de la pandémie et des différents confinements".

Confinée dans 9m2

Ikram Said Mansour, une étudiante de 24 ans en double cursus licence 3 d'études internationales et M1 de management international trilingue, se dit pour BFMTV.com "livrée à (elle)-même", confinée dans sa chambre de 9m2 d'une cité universitaire parisienne. Loin de sa famille qui vit en Normandie et qu'elle n'a pas vue depuis quatre mois, la jeune femme vit très mal ce second confinement.

"J'ai très peu de contacts humains, c'est le plus dur. Bien sûr, il y a mes voisins de chambre, mais on se croise à peine et on ne s'échange que quelques mots par précaution. On sait bien qu'en résidence universitaire, une épidémie, ça peut aller très vite."

En plus de la solitude, la jeune femme s'inquiète beaucoup quant à l'état de ses finance. Boursière, cette étudiante arrivait tant bien que mal avant la crise à équilibrer son budget avec sa micro-entreprise en événementiel. Mais depuis le mois de mars, tout est à l'arrêt.

"Mon découvert ne cesse d'augmenter"

Les difficultés s'accumulent et Ikram Said Mansour n'en voit pas l'issue.

"J'ai 400 euros de bourse par mois. Mon loyer est de 429 euros, auquel il faut ajouter les frais de santé, de téléphone et de quoi manger. Mon découvert ne cesse d'augmenter. Il a passé les 1000 euros, je ne sais même pas comment je vais le rembourser. Heureusement que dans ma cité U, on s'entraide pour se nourrir."

Le Premier ministre a annoncé ce jeudi la création de 20.000 jobs étudiants, des contrats passés par les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) pour une durée de quatre mois, à raison de 10 heures par semaine. Leur budget pour le versement d'aides financières d'urgence aux étudiants en situation de précarité devrait également doubler. Au total, 200.000 jeunes pourraient en bénéficier.

La jeune femme a contacté l'assistante sociale de son université qui l'a orientée vers le service de médecine préventive. "Elle m'a dit qu'on pouvait me recevoir en consultation, mais je n'ai même pas le temps d'y aller. Le jeudi, par exemple, j'ai onze heures trente de cours qui s'enchaînent." À cela s'ajoutent ses partiels à distance, "parfois plusieurs en même temps".

"Avec la connexion qui est mauvaise, les professeurs qui nous imposent de rendre les devoirs en temps limité, parfois je me dis qu'il va falloir que je sacrifie un de mes deux cursus."

"La situation est critique"

L'impression d'une génération sacrifiée, c'est ce que pointe pour BFMTV.com Mélanie Luce, la présidente de l'Unef. Selon cette représentante étudiante, la détresse psychologique qui touchait déjà les jeunes s'est fortement aggravée avec la crise de la Covid-19.

"La solitude, le confinement dans de petits espaces, la difficulté pour poursuivre sa scolarité s'ajoutent à une précarité extrême et à des inquiétudes liées au système universitaire. Est-ce que j'aurai mon année? Est-ce que j'aurai d'assez bonnes notes pour avoir la formation de mon choix? Deux étudiants se sont récemment suicidés, à Montpellier et à Nice. C'est même la deuxième cause de mortalité chez les jeunes (rapport 2018 de l'Observatoire national du suicide, NDLR). Et près de 22% des étudiants ont déjà eu des idées suicidaires (étude i-Share 2019, NDLR). La situation est critique."

Mélanie Luce appelle ainsi à la mise à disposition généralisée de chèques santé permettant une prise en charge psychologique de tous les étudiants et étudiantes qui en auraient besoin. "Les services de santé universitaires sont débordés, regrette-t-elle. Il faut aussi créer en urgence des postes de psy."

Selon le rapport de l'association Nightline, la France compte un seul psychologue pour près de 30.000 étudiants. À titre de comparaison, aux États-Unis, c'est un pofessionnel pour 1500 étudiants, comme le recommandent les institutions internationales.

De plus en plus d'étudiants concernés

Aude Rochoux, directrice du service de santé universitaire de l'université de Strasbourg, confirme cette augmentation de la demande de soins. Son service a ainsi enregistré une hausse d'un millier de consultations entre les mois de mars et juillet derniers par rapport à l'année précédente. Mais selon cette médecin, le malaise serait plus profond et pas uniquement lié au contexte sanitaire récent.

"C'est quelque chose que l'on constate depuis plusieurs années, explique-t-elle à BFMTV.com. De plus en plus d'étudiants rencontrent des problèmes psychologiques et psychiatriques. Ils souffrent de stress, d'anxiété. Mais les causes sont multifactorielles. Elles sont liées au mode de vie et le confinement n'a fait qu'accroître la précarité."

Aude Rochoux précise néanmoins que cette augmentation du nombre de consultations dans son université correspond en réalité à un suivi plus prolongé - il n'y a pas eu plus d'étudiants qui ont consulté mais ces derniers ont demandé plusieurs rendez-vous. Son service a ainsi augmenté ses capacités: 1,5 ETPT (équivalent temps plein travaillé, le service pouvant disposer de plusieurs professionnels qui n'y travaillent pas à temps plein mais dont l'addition correspond à un poste à temps complet) supplémentaire par rapport à l'année dernière.

"Je ne voyais pas comment c'était possible"

C'est pour cela que Shakira (qui a souhaité n'être présentée que par son prénom), 17 ans, en première année de lettres et sciences du langage à l'université d'Amiens, avait décidé de se confiner chez une amie, à Lille, avant même que le second confinement ne soit officiellement annoncé. Un choix salutaire. "Pas envisageable de rester dans ma chambre de 9m2", témoigne-t-elle pour BFMTV.com.

Pour cette étudiante boursière, le quotidien reste néanmoins difficile. Elle qui a pourtant signé un CDD avec son université dans le cadre des Cordées de la réussite n'a pas encore touché de salaire depuis la rentrée. Et si ses parents l'aident de temps en temps pour se nourrir et que sa bourse paie en partie son loyer, Shakira doit se "débrouiller" et fait "très attention".

Elle qui qui vit dans une résidence universitaire craignait les conséquences de la solitude à long terme. "Je ne me suis pas fait d'amis dans ma résidence et il n'était pas question que j'aille chez mes parents". Dans le deux pièces de son amie, Shakira respire un peu plus.

"Le premier confinement n'a déjà pas été simple à gérer (elle était alors lycéenne et vivait chez ses parents, NDLR). Rester vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans ma chambre, n'avoir aucun contact avec personne en ne sortant qu'une heure par jour, je ne voyais pas comment c'était possible."

Article original publié sur BFMTV.com