TOUT COMPRENDRE. Vote, grands électeurs, "swing states"... Comment s'organise la présidentielle américaine
Plus de 240 millions d'Américains élisent leur président ce mardi 5 novembre. Qui de Kamala Harris ou de Donald Trump résidera à la Maison Blanche pour les quatre prochaines années?
Depuis la dernière élection présidentielle, en 2020, la défiance envers les institutions règne parmi de nombreux partisans de Donald Trump qui estiment toujours que sa réélection il y a quatre ans a été volée par un vote truqué.
Cette année encore, le scrutin s'annonce serré. Selon la plupart des sondages, Kamala Harris est en tête des intentions de vote au niveau national. Pourtant, nombreux de ces mêmes sondages donnent son adversaire républicain vainqueur de l'élection. En cause: le fonctionnement du scrutin américain, très différent du nôtre.
• Comment le scrutin fonctionne-t-il?
L'élection du président des États-Unis se fait au suffrage universel indirect à un tour. Les électeurs cochent sur leur bulletin ou sur une machine à voter la case correspondant au candidat à la présidence de leur choix (et leur vice-président). Ils peuvent choisir entre Donald Trump ou Kamala Harris mais également d'autres candidats en lice comme la candidate du Parti vert, Jill Stein, ou Robert Kennedy Jr, l'indépendant qui soutient Donald Trump.
Dans les faits pourtant, les Américains ne votent pas directement pour ces noms mais pour les 538 grands électeurs qui composent ce que l'on appelle le collège électoral. Ce sont eux qui voteront au nom des électeurs pour les candidats. Pour être élu président, un candidat doit obtenir les voix d'au moins 270 d'entre eux.
• Qui sont ces fameux grands électeurs?
Chaque État a un nombre de grands électeurs relatifs au nombre de ses représentants au Congrès: 100 sénateurs – deux par État – et 435 représentants, répartis en fonction de la population des États. On arrive donc à 535 grands électeurs, auxquels il faut en ajouter trois, alloués à Washington D.C., la capitale du pays, qui n'a pas de représentation au Congrès.
Ainsi, cette année, l'État le plus peuplé, la Californie, est doté de 54 grands électeurs. Les États les moins peuplés comme l'Alaska, le Delaware ou encore le Vermont ont chacun trois grands électeurs. Ces chiffres peuvent changer en fonction du recensement.
La nomination des grands électeurs est différente selon les États. Ils sont souvent des élus locaux ou des sympathisants choisis par les partis.
Lors de l'élection, le scrutin fonctionne sous le principe du "winner-takes-all", c'est-à-dire que le candidat qui remporte la majorité des voix dans un État donné gagne la totalité des grands électeurs alloués à cet État. Les États du Nebraska et du Maine font exception car les grands électeurs y sont attribués à la proportionnelle.
C'est ce système qui fait qu'un candidat peut remporter la course à la Maison Blanche sans pour autant avoir le plus grand nombre de voix total au niveau national.
• Comment les Américains votent-ils?
Plus que le jour de l'élection, le 5 novembre marque la fin du scrutin. Il s'agit en fait du dernier jour où les électeurs peuvent voter. Effectivement, dans 47 États, il est possible depuis plus ou moins longtemps de voter de manière anticipée. Des bureaux de vote sont ainsi ouverts par anticipation, sur des créneaux qui varient en fonction des localités.
Cette possibilité offre une flexibilité au calendrier électoral, notamment car le jour de l'élection est toujours fixé un mardi. Ce 29 septembre, à une semaine du jour J, plus de 46 millions de personnes ont déjà voté.
En outre, il est également possible de voter par correspondance, c'est-à-dire sans avoir besoin de se déplacer dans un bureau mais en envoyant un courrier. Là encore, chaque État définit ses propres modalités.
En 2020, année marquée par la pandémie de Covid-19, le camp Donald Trump avait sévèrement ciblé le vote par correspondance, estimant que la "fraude électorale" dénoncée résidait essentiellement dans le décompte de ce type de votes.
• Pourquoi les "swing states" sont-ils si importants?
Depuis de nombreuses semaines, tous les yeux sont rivés sur les "swing states", États clés, États pivots ou même "États violets". Violets car ils peuvent devenir rouges, c'est-à-dire être gagnés par les républicains, ou bleus, couleur des démocrates.
Dans ce scrutin où les États revêtent d'une importance capitale, l'issue de certains est courue d'avance: ils sont historiquement acquis par un parti à l'instar de la Californie pour les démocrates ou du Texas pour le camp d'en face. Au milieu, restent des États où la victoire est beaucoup plus serrée et où, lors des dernières élections, ils ont pu changer de couleur victorieuse.
Si l'on regarde les États presque gagnés d'avance selon le site spécialisé Fivethirtyeight, qui agrège les principaux sondages réalisés outre-Atlantique, Kamala Harris peut tabler sur 183 grands électeurs solides et 44 probables contre respectivement 122 et 95 pour Donald Trump. Dans les deux cas, le compte des 270 pour l'emporter n'y est pas. Il faut donc conquérir d'autres États en dehors des bastions de chaque parti.
Cette année, les "swing states" sont au nombre de sept: l'Arizona, la Caroline du Nord, la Géorgie, le Michigan, le Nevada, la Pennsylvanie et le Wisconsin. Ils représentent ensemble 93 précieux grands électeurs.
Par conséquent, les campagnes des deux principaux candidats se sont principalement concentrées sur ces États. Selon une étude de la société d’analyse ADImpact publiée à la fin du mois d’août 2024, près de 589 millions de dollars avait déjà été consacrés aux dépenses publicitaires dans ces États, entre la fin du mois de mars et le mois d’août, tout camp confondu.
En 2020, ce n'est qu'après l'annonce des résultats de la Pennsylvanie que Joe Biden avait été désigné gagnant de l'élection.
• Pourquoi n'a-t-on pas directement les résultats?
Le dépouillement des votes commence dès la fermeture du scrutin. Il est ainsi possible de connaître le dénouement dès la nuit du jour du vote. Toutefois, en 2020, il a fallu attendre plus de trois jours pour que les principaux médias américains annoncent la victoire de Joe Biden.
C'est notamment la multiplication du vote par correspondance qui ralentit le dépouillement. Comme le rappelle le New York Times, il prend plus de temps car il comporte plus d'étapes: d'abord, il y a des vérifications supplémentaires pour s'assurer que l'électeur n'a pas également cherché à voter en personne.
Ensuite, les personnes chargées du dépouillement doivent ouvrir les bulletins et les aplatir (car ils ont été pliés) avant de pouvoir les placer dans une tabulatrice pour les compter. Certains fonctionnaires plaident pour une autorisation d'ouvrir et d'aplanir les bulletins en amont, mais cela n'est pas (encore) autorisé.
Selon le New York Times toujours, le décompte devrait être moins long qu'en 2020 car moins de gens auront voté par correspondance et car les bureaux de vote ont gagné en expérience.
Lors de la précédente élection présidentielle, Donald Trump s'en était pris aux votes par correspondance car les premiers résultats le donnaient parfois en tête dans certains comtés de swing states mais que cette tendance s'est inversée lorsque tous les votes ont été comptés, poussant le milliardaire à parler de triche. Pour le journal américain, il s'agit simplement là de ce que des démocrates appellent "le miracle rouge", c'est-à-dire le fait que beaucoup plus de démocrates que de républicains choisissent de voter par correspondance, ce qui conduit à l'enregistrement tardif des votes démocrates.
En outre, les personnes habitant les grandes villes votent majoritairement pour les démocrates et ce sont généralement les bureaux de vote comptabilisés en dernier en raison du grand nombre de bulletins.
• Comment le vote est-il certifié?
Une fois les résultats finaux communiqués dans la presse, il reste toutefois encore des étapes. Les 3.000 comtés du pays ont jusqu'au 11 décembre pour faire certifier officiellement les résultats par leur État. Ces périodes permettent de résoudre les potentiels contentieux ou de faire des contestations.
Le 17 décembre, les grands électeurs se réunissent officiellement dans les capitales de leur État respectif pour voter solennellement pour le président et le vice-président. Les votes doivent être réceptionnés par Washington avant le jour de Noël.
Le 6 janvier, lors d’une session conjointe du Congrès, les votes seront officiellement comptés et le président du Sénat pourra annoncer le résultat des élections. C'est ce jour-là, il y a quatre ans, que des partisans de Donald Trump avaient envahi le Capitole, faisant plusieurs morts parmi les insurgés et parmi les forces de l'ordre.
Ce n'est que le 20 janvier 2025 que les États-Unis auront un nouveau président. C'est ce jour, Inauguration day, qu'il fera son entrée dans la Maison Blanche.
• Quels sont les autres enjeux?
Les yeux sont rivés sur la course présidentielle. Pourtant, ce n'est pas la seule élection qui se joue ce mardi 5 novembre. En effet, les électeurs américains sont appelés à se prononcer sur tout un tas d'autres sujets, à commencer par élire les membres du Congrès: la totalité des sièges de la chambre des représentants sera renouvelée ainsi que 33 sièges de sénateurs. Ce scrutin est particulièrement crucial car la composition du Congrès pourrait faciliter, ou à l'inverse freiner, la politique du nouveau président.
Dans plusieurs États, le bulletin de vote fait plusieurs pages car il est possible de voter en même temps également pour un secrétaire d'État, un gouverneur, un procureur général ou encore un juge.
Plusieurs États, comme l'Ohio ou l'Utah par exemple, doivent également choisir les membres de leur "Board of Education", un conseil chargé de gérer les écoles publiques, de la maternelle au lycée. D'autres élections plus locales se trouvent sur le même bulletin: des directeurs de services de transports ou même des shérifs.
Tout cela sans compter les référendums locaux ou les propositions de loi ou de politiques locales. Par exemple, plusieurs États vont se prononcer sur leur souhait de protéger le droit à l’avortement ou sur le délai de droit à une IVG.