TOUT COMPRENDRE - Violences, couvre-feu, vie chère… La Martinique s’embrase
Les violences urbaines se multiplient en Martinique, en marge d’une mobilisation contre la vie chère qui dure depuis cet été.
Neuf euros le pack d’eau, quatre euros la plaquette de beurre… Les prix flambent en Martinique. Depuis le 1er septembre 2024, un collectif, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), se mobilise contre la vie chère et organise des actions de blocage sur l’île.
En marge de cette mobilisation, les violences urbaines se multiplient, particulièrement à Fort-de-France la préfecture. Depuis le début du mouvement, une dizaine de policiers ont été blessés.
• Fort-de-France sous couvre-feu après des nuits de violences
Un couvre-feu a été décrété dès mercredi 18 septembre au soir dans certains quartiers de Fort-de-France après une nouvelle nuit de violences urbaines.
Le préfet de la Martinique, Jean-Christophe Bouvier, a annoncé avoir signé un arrêté de couvre-feu", entrant en vigueur de 21 heures à 5 heures du matin, dans les quartiers les plus touchés par les violences. Cet arrêté sera effectif au moins jusqu'au 23 septembre.
Depuis plusieurs nuits, des violences urbaines secouent certains quartiers de Fort-de-France, chef-lieu de cette île des Antilles françaises peuplée d'environ 350.000 habitants.
Dans la nuit de mardi à mercredi, un McDonald's du quartier Dillon a été incendié, laissant ses employés au chômage technique, et des barricades ont été enflammées. Dans ce même quartier, un hypermarché Carrefour a été "envahi par une cinquantaine d'individus qui ont monté une barricade sur le parking et ont tenté de l'incendier", ont indiqué à l'AFP les autorités.
Dans la nuit de vendredi à samedi, deux personnes avaient également ouvert le feu sur la façade du commissariat de Fort-de-France, sans faire de blessé.
Le Grand port maritime de Martinique, par lequel transitent 98% des marchandises qui entrent ou sortent de ce territoire ultramarin, est lui aussi visé par le mouvement de contestation.
Cette situation explosive ne surprend pas Justin Daniel, professeur de science politique à l’Université des Antilles. "Depuis de nombreuses années, la moindre contestation dégénère en violences urbaines, comme on l’a vu en 2021 pendant la crise sanitaire. Cela s’explique par un malaise social multiforme auquel les autorités locales et centrales ont du mal à faire face", explique-t-il.
Les violences sont selon lui le fait de "jeunes désoeuvrés" qui ne sont pas représentatifs du mouvement de contestation sociale.
Cette colère n’est pas sans rappeler celle de 2009, quand une grève générale avait paralysé la Guadeloupe et la Martinique pendant 40 jours. Pour l’instant, ce scénario n’est pas celui auquel on assiste, estime Justin Daniel. "On n’en est pas là. On ne voit pas de grandes manifestations populaires comme en 2009 mais plutôt des actions ciblées", observe le chercheur.
• Des policiers blessés, les leaders du mouvement dénoncent la "répression"
Depuis le début du mouvement, "44 véhicules" ont été incendiés et "35 locaux commerciaux privés attaqués", et les autorités ont procédé à "15 interpellations", a détaillé le préfet Jean-Christophe Bouvier.
"Onze fonctionnaires de police ont été blessés par balle de tir d'arme à feu" et "trois émeutiers" ont également été blessés, dont l'un par balle, a-t-il ajouté. "Cette stratégie du chaos ne peut aboutir à aucune issue positive", a prévenu le préfet.
"J'ai demandé aux forces de sécurité intérieure de saturer les axes routiers et les ronds-points de leur présence, et de procéder à un maximum d'interpellations", a-t-il annoncé, ajoutant que des renforts "significatifs" étaient arrivés et que d'autres arriveraient "dans les prochains jours".
Dans un communiqué diffusé le 18 septembre sur Instagram, le collectif à l’origine du mouvement rappelle ses "principes de pacifisme et de non-violence" tout en condamnant “la répression policière".
"Des citoyens martiniquais, incluant enfants et aînés, venus protester pacifiquement contre la vie chère, ont été brutalement réprimés par des forces militaires à Carrefour Dillon, un lieu privé", condamne le RPPRAC. Une situation qui a "déclenché une escalade de violence dans les quartiers populaires avoisinants", dénonce le communiqué.
• Une colère contre la vie chère
À l’origine des manifestations: une colère contre la vie chère. Le problème ne date pas d’hier: selon une étude de l'Insee en 2022, les prix alimentaires étaient 40% plus élevés en Martinique que dans l'Hexagone.
"ll y a déjà un différentiel de prix entre métropole et outre-mer pour différentes raisons (coûts liés à l’importation, fiscalité…), auquel s’est greffé une inflation liée au contexte international", contextualise Justin Daniel.
Sur une île où le taux de pauvreté s’approche de 30% (contre 14% en France métropolitaine), "cette hausse du coût de la vie a des effets délétères sur la population, notamment chez les personnes âgées", poursuit l’enseignant.
Un comparateur en ligne, Kiprix, permet de se rendre compte de l’écart des prix entre la métropole et la Martinique. Une célèbre marque de gâteau pour enfants est vendue à 6,79 euros sur l’île des Antilles, contre 2,28 euros en Métropole (+197%). Un pack de six bouteilles d’eau minérale affiche 9,40 euros, contre 3,17 dans l’Hexagone (+196%).
"On a lancé des injonctions depuis le mois de juillet, le 1er juillet précisément, envers la grande distribution en leur demandant d'aligner leurs prix à la France hexagonale", a déclaré à l'AFPTV Rodrigue Petitot, dirigeant du RPPRAC.
"Nous sommes Français, nous avons les mêmes cartes d'identité, les mêmes amendes, les mêmes taxes si ce n'est plus de taxes, on ne comprend pas pourquoi au sujet de l'alimentaire précisément on ne pourrait pas avoir les mêmes prix", critique-t-il.
Cette incompréhension face aux prix qui s’envolent cristallisent les tensions. "La fixation des prix se fait dans une certaine opacité, reconnaît Justin Daniel. "Cela alimente le ressenti contre les autorités."
Invités jeudi dernier à une table ronde en préfecture avec l'ensemble des acteurs de la grande distribution et les institutions, les représentants du RPPRAC avaient quitté les négociations au bout de cinq minutes face au refus du préfet de retransmettre les échanges en direct sur les réseaux sociaux.
• Blocage des prix, "octroi de mer"... Quelles solutions?
Un dispositif, le bouclier qualité-prix (BQP), existe déjà pour modérer les prix des produits de grande consommation. Un accord entre les services de l’État et les acteurs de la distribution, signé le 4 juillet 2024, porte sur 134 produits de grande consommation parmi les plus consommés en Martinique dont le prix global du panier est fixé à 387 euros pour une année.
Ce dispositif n’a pas suffi à juguler la hausse des prix. Le 6 septembre dernier, l'État, les distributeurs et les collectivités se sont engagés sur un objectif de "baisse de 20% en moyenne du prix" de 2.500 produits de première nécessité.
Alors que la situation s’envenime, le président du Conseil Exécutif de Martinique, Serge Letchimy, demande au gouvernement des "mesures d’urgence”. Dans un post sur X ce mardi, il réclame le "blocage des prix", la "suppression de la TVA sur les 54 familles de produits essentiels" ou encore "l’encadrement des marges des importateurs, grossistes et distributeurs".
Dans les négociations, d’autres solutions ont été avancées. "Il a été question de la défiscalisation des coûts de fret" ou encore "d’une péréquation pour faire porter les coûts sur les produits à plus forte valeur ajoutée pour alléger les coûts portant sur les produits de première nécessité", expliquait à Martinique La Première le préfet Jean-Christophe Bouvier.
Certains acteurs proposent aussi de jouer sur l’octroi de mer, une imposition spécifique des départements d’Outre-mer sur les produits importés qui remonte à l’époque coloniale. Mais le sujet est sensible, car le produit de cette taxe est réaffecté vers les 34 communes de la Martinique, mais aussi à la collectivité territoriale.