TOUT COMPRENDRE. Ces missiles occidentaux que l'Ukraine veut utiliser contre la Russie au risque d'une escalade du conflit

La guerre en Ukraine au cœur des discussions des Occidentaux. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer est attendu par Joe Biden à Washington ce vendredi 13 septembre pour discuter de l'utilisation des missiles à longue portée par Kiev sur le territoire russe.

Une requête que l'Ukraine fait depuis des mois et qui jusqu'ici était rejetée par les gouvernements occidentaux de peur de rentrer à leur tour dans une guerre ouverte avec Moscou.

• Quels sont les missiles longue portée au centre des discussions?

Plusieurs missiles longue portée occidentaux sont convoités par l'Ukraine. Si Kiev en a déjà certains à sa disposition, elle n'a pas l'autorisation pour les utiliser sur le territoire de la Fédération de Russie.

Le pays peut uniquement les utiliser pour frapper des cibles russes dans les parties occupées de l'Ukraine, y compris en Crimée annexée, et dans les régions frontalières russes directement liées aux opérations de combat de Moscou.

Dans le viseur des Ukrainiens, se trouvent les missiles franco-britannique, appelés Scalp par Paris et Storm Shadow par Londres, ou encore les missiles américains Atacms. Ces missiles de croisière fournis à l'Ukraine peuvent atteindre des cibles jusqu'à 250 kilomètres. Furtifs, ils circulent à une vitesse proche de celle du son. Les missiles Atacms ont "une trajectoire très sophistiquée et sont capables de contourner les défenses russes", explique Guillaume Ancel spécialiste et ancien officier de l'armée française à BFMTV.com.

Selon cet expert, les missiles de longue portée que possèdent actuellement l'Ukraine "sont bridés" et n'atteignent ainsi pas leur capacité de rayonnement maximale. Sans ce verrou, ils pourraient atteindre des cibles jusqu'à 500 kilomètres, affirme Guillaume Ancel. "La question de les débrider est donc aussi centrale", abonde-t-il.

• Pourquoi Kiev veut utiliser ces missiles longue portée contre la Russie?

L'Ukraine est en difficulté. La Russie a lancé une contre-offensive dans la région russe de Koursk affirmant avoir chassé en deux jours les forces ukrainiennes de dix localités qui avaient été prises début août. Et Moscou a intensifié depuis plusieurs semaines ses frappes sur le territoire ukrainien lançant même l'une des plus meurtrières depuis le début du conflit début septembre.

Les missiles longue portée permettraient ainsi à Kiev "de taper en profondeur sur le territoire russe, des cibles militaires, pour mieux se protéger", nous explique le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.

Comme des sites logistiques de l'armée russe, des bunkers blindés, des réserves de munitions, des centres de communication ou encore les bases aériennes d'où décollent les avions bombardant l'Ukraine.

Près de 250 bases et installations militaires en Russie pourraient être atteintes par ces missiles de longue portée occidentaux selon une carte publiée le 27 août par un centre de réflexion américain, l’Institute for the Study of War (ISW), et repérée par Le Monde.

Actuellement, l'Ukraine utilise ses propres drones à longue portée, qui ont parfois pris les Russes au dépourvu. Mais, ils n'en ont pas beaucoup, "ne sont pas très puissants, et ils n'ont pas la technologie des missiles américains ou européens", commente Guillaume Ancel. Ils sont ainsi souvent interceptés par Moscou.

Utiliser ces missiles franco-britanniques et américains sur le territoire russe permettrait aux Ukrainiens d'avoir "une symétrie" dans la guerre. D'autant plus qu'avec son large territoire, la Russie ne pourrait pas tout défendre.

• Quel est le risque pour les Occidentaux?

Les Occidentaux craignent tout simplement d'entrer en guerre avec la Russie si ces armes sont utilisées pour frapper directement le territoire de Vladimir Poutine et non plus seulement permettre à Kiev de se défendre.

Vladimir Poutine lui-même a affirmé ce jeudi 12 septembre que cela "changerait la nature même du conflit" et signifierait que "les pays de l'Otan sont en guerre contre la Russie".

La déclaration du président russe "est extrêmement claire, sans ambiguïté et ne comporte aucun double sens", a insisté vendredi le porte-parole du Kremlin Dmitry Peskov face à la presse.

"Le risque est l'interprétation politique que Poutine va en faire", affirme en effet le général Jérôme Pellistrandi.

La Maison Blanche craint notamment que les représailles prennent la forme d'une attaque contre les points de transit des missiles vers l'Ukraine, comme une base aérienne en Pologne, note la BBC. Ce qui pourrait déclencher l'article 5 de l'Otan -selon lequel une attaque contre l'un ou plusieurs de ses membres est considérée comme une attaque dirigée contre tous- l'entrée en guerre de l'alliance et in fine une guerre entre puissances nucléaires.

Ces menaces du Kremlin peuvent toutefois être perçues comme un simple moyen de pression. "Je suis persuadé que les Russes ne riposteront pas contre les Occidentaux. Ils n'auraient pas les moyens", souligne le spécialiste de la guerre en Ukraine Guillaume Ancel.

Le général Jérôme Pellistrandi estime de son côté que Vladimir Poutine veut "faire peur aux opinions publiques pour faire pression sur les gouvernements", et notamment aux Américains qui vont être appelés à voter dans quelques mois pour leur prochain président.

"Les Américains qui ont une peur historique d'être engagé dans une guerre", déclare Guillaume Ancel.

• Pourquoi les Occidentaux semblent changer d'avis maintenant sur la question?

Plusieurs éléments de réponse peuvent être avancés. D'abord la situation critique en Ukraine. Le général Jérôme Pellistrandi estime que la guerre est à "un tournant" et se dit lui-même "très inquiet". Il juge qu'il "reste deux mois militairement utiles" avant que l'hiver ne vienne encore compliquer la situation.

Autre raison? La livraison de missiles balistiques iraniens à la Russie. Une ligne rouge pour les Occidentaux. Les missiles iraniens offrent un atout "significatif" pour "dégrader les infrastructures civiles" ukrainiennes et "terroriser" sa population, afin de "pousser davantage Kiev à négocier" une paix favorable à Moscou, affirme un général australien à la retraite et chercheur associé au Center for strategic and international studies (CSIS), Mick Ryan à l'AFP.

Pour le spécialiste Guillaume Ancel, plutôt qu'un changement de position de la part des Occidentaux, il s'agit plutôt du "résultat des longs échanges qui ont commencé pratiquement dès le début de la guerre".

"C'est aussi lié au fait que les Occidentaux ont besoin, comme les Ukrainiens, d'une symétrie dans cette guerre", ajoute-t-il.

• Quelle est la position de la France?

Alors que Londres et Washington sont publiquement impliqués sur ce sujet, Paris se fait plutôt discret. Pourtant, il faudrait aussi son accord pour que Kiev puisse passer à l'action avec les missiles Scalp de sa fabrication. Premièrement, la situation politique en France paralyse la situation: depuis début juillet, le pays fonctionne avec un gouvernement démissionnaire à sa tête gérant seulement les affaires courantes.

Deuxièmement, la France a en réalité besoin de l'aval américain avant de se prononcer. Sans l'expertise américaine, les missiles perdent de leur puissance. "Les Américains sont les seuls à avoir suffisamment d'informations sur les cibles, les routes à emprunter, le système en général", précise l'ancien officier de l'armée française Guillaume Ancel. "Les Français se font donc discret car il est compliqué pour eux d'avouer qu'il leur faut d'abord l'accord des Américains".

• Est-ce que cela changerait le cours de la guerre en Ukraine?

Selon les spécialistes, si l'utilisation de ces missiles aiderait l'Ukraine à faire face à l'offensive russe, cela ne changerait pas le cours de la guerre.

"Il n'y a aucun 'game changer' dans la guerre, mais pour les Ukrainiens, cela pourrait permettre de convaincre Poutine de négocier en ayant des cartes dans la poche", illustre Guillaume Ancel.

D'autant plus que la Russie a déjà anticipé la levée des restrictions en déplaçant un certain nombre de ses équipements sensibles hors de portée de ces missiles, comme ses bombardiers stratégiques. "Ils ne peuvent toutefois pas tout déménager", souligne le spécialiste. "La Russie serait obligée de faire un bond en arrière et cela la mettrait en difficulté".

Le 6 septembre dernier, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin a estimé, selon Reuters, qu'aucune arme spécifique ne changerait la donne dans cette guerre qui dure depuis plus de deux ans et six mois.

Article original publié sur BFMTV.com