TOUT COMPRENDRE - Soupçons de prise illégale d'intérêts: pourquoi Eric Dupond-Moretti risque-t-il un procès?

Eric Dupond-Moretti arrive à la Cour de justice de la République le 29 mars 2022. - AFP
Eric Dupond-Moretti arrive à la Cour de justice de la République le 29 mars 2022. - AFP

Un procès requis contre Eric Dupond-Moretti. L'annonce a fait grand bruit mardi quand le parquet général près la Cour de cassation a communiqué ses réquisitions à l'encontre du ministre de la Justice soupçonné d'avoir profité de sa position à la Chancellerie pour régler ses comptes avec certains magistrats avec qui il s'était opposé lorsqu'il était avocat.

Si cela ouvre la voie à un éventuel procès, la décision finale revient aux juges en charge de l'affaire. Explications.

· Que reproche-t-on à Eric Dupond-Moretti?

Eric Dupond-Moretti est soupçonné de "prise illégale d'intérêts" c'est-à-dire qu'il est reproché au ministre d'avoir utilisé sa fonction de ministre pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était avocat. Concrètement, deux dossiers sont visés: l'enquête administrative lancée à l'encontre de trois magistrats du parquet national financier et les poursuites administratives à l'encontre d'un ancien juge affecté à Monaco.

Dans le cadre de l'affaire Bettencourt, les trois magistrats du PNF avaient fait éplucher les factures téléphoniques, les fadettes, de plusieurs avocats, dont Eric Dupond-Moretti, pour identifier la "taupe" qui informait Nicolas Sarkozy, mis en cause dans cette affaire.

Cette pratique avait suscité l'émoi des avocats et de la classe politique. Eric Dupond-Moretti, qui portait toujours la robe noire à l'époque, avait même porté plainte. Une plainte qu'il avait retirée à son arrivée place Vendôme. Une inspection avait été lancée pour faire la lumière sur cette pratique, mais le rapport n'avait rien révélé d'illégal. Une enquête administrative avait toutefois été lancée en septembre 2020 par Eric Dupond-Moretti, devenu garde des Sceaux, sur la base des dysfonctionnements évoqués par l'inspection. L'association Anticor avait alors porté plainte contre le ministre pour dénoncer, selon elle, un "conflit d'intérêts".

Une autre plainte avait été déposée par des syndicats de magistrats après les poursuites administratives dilligentées contre un ancien juge d'instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault. Ce magistrat avait notamment décidé de la mise en examen d'un haut policier monégasque défendu alors par Eric Dupond-Moretti. Ce dernier avait critiqué les méthodes de "cow-boy" du juge, après que le magistrat s'était exprimé à la télévision en 2020 sur cette affaire, dénonçant des pressions qu'il aurait subies.

D'autres plaintes ont été déposées à l'encontre de l'actuel garde des Sceaux. Celle déposée par l'Union syndicale des magistrats qui estimait qu'Eric Dupond-Moretti s'était servi de son statut pour régler ses comptes avec Marie-Laure Piazza, première présidente de la cour d'appel de Cayenne, a été classée sans suite.

· Où en est la procédure?

Plusieurs fois auditionné par la Cour de justice de la République, seule juridiction à pouvoir juger les ministres en fonction, Eric Dupond-Moretti a été mis en examen le 16 juillet 2021 pour "prise illégale d'intérêts" dans le cadre de l'information judiciaire ouverte pour enquêter sur ces faits. Depuis, le ministre a tenté en vain de faire annuler cette mise en examen. Sa requête pour soulever l’"irrecevabilité des plaintes à l’origine de la saisine de la CJR" et "la partialité du procureur général près la Cour de cassation", François Molins, a par exemple été rejetée.

Le 15 avril 2022, l'instruction est close. Mardi, le parquet général près de la Cour de cassation, qui représente le ministère public, a pris des réquisitions. Dans un communiqué, le procureur Molins estime, qu'au terme de l'enquête, il existe des "charges suffisantes" à l'encontre d'Eric Dupond-Moretti pour le renvoyer devant un tribunal.

Au regard du dossier d'instruction et des réquisitions du parquet, les trois juges d'instruction de la Cour de justice de la République rendront dans les prochaines semaines leur décision et devront décider ou non d'un procès pour le ministre.

· Quelle est la position d'Eric Dupond-Moretti?

Eric Dupond-Moretti a toujours rejeté les soupçons qui pèsent sur lui. "C’est une guerre qui m’a été déclarée par certains représentants de syndicats", estimait-il en octobre dernier sur BFMTV, assurant n'avoir jamais envisagé de démissionner malgré sa mise en examen.

A la suite de la publication des réquisitions du parquet général près de la Cour de cassation, ses avocats ont dénoncé "une communication précipitée" expliquant avoir présenté "une série de demandes d'actes" d'enquête supplémentaire.

Ces demandes seront examinées "la semaine prochaine" et les magistrats diront si, oui ou non, ils y accèdent. Ils évoquent notamment une violation du secret de l'instruction par l'un des signataires de la plainte déposée dans l'affaire Levrault.

Pour la défense du ministre, ces réquisitions ont une connotation politique. "Le calendrier choisi par le procureur général pour communiquer ce réquisitoire, quelques jours avant la formation d’un nouveau gouvernement, alors qu’il disposait encore d’un délai de deux mois et qu’il est lui-même directement concerné par l’autre dossier (dit du PNF) pour avoir recommandé l’ouverture de l’enquête administrative, ne manque pas de soulever de légitimes interrogations", notent les avocats d'Eric Dupond-Moretti dans un communiqué.

Article original publié sur BFMTV.com