TOUT COMPRENDRE - Qu'est-ce que le Novitchok, utilisé dans l'empoisonnement d'Alexeï Navalny?

Alexeï Navalny - Image d'illustration  - Evgeny Feldmand
Alexeï Navalny - Image d'illustration - Evgeny Feldmand

Les circonstances de l'empoisonnement d'Alexeï Navalny semblent de plus en plus claires. Ce mercredi, l'Allemagne a affirmé que l'opposant russe avait été touché par un agent neurotoxique de type "Novitchok", ouvrant une nouvelle phase de crispation avec la Russie, à qui Berlin demande de s'expliquer.

Ce sont des examens approfondis effectués par un laboratoire de l'armée allemande sur l'opposant, hospitalisé à Berlin depuis fin août, qui ont permis de détecter l'emploi de cette substance. Ces tests ont apporté une "preuve sans équivoque", a révélé le gouvernement allemand.

> Qu'est-ce qu'un agent innervant?

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que cet agent neurotoxique fait les gros titres ces dernières années. Il avait par exemple déjà été utilisé contre l'ex-agent double russe Sergueï Skripal et sa fille Ioulia en 2018 en Angleterre selon les autorités britanniques. Une affaire qui a provoqué une crise diplomatique entre Londres et Moscou.

En termes scientifiques, un agent neurotoxique, également appelé agent innervant, est une substance hautement toxique. Interrogé par le site Sciences et Avenir, Jean-Pascal Zanders, spécialiste des armes biologiques et chimiques et chercheur associé à la Fondation française pour la recherche stratégique, en donnait une définition assez précise.

"Un agent innervant affecte le système nerveux en interrompant les fonctions de communication du cerveau avec les organes principaux et les muscles." Synthétisés pour la première fois par l'Allemagne nazie dans les années 1930, ils ont à notre époque été utilisés en Syrie depuis 2013, mais également dans l'assassinat du demi-frère du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un en février 2017.

Ces poisons peuvent être administrés en pénétrant par la peau, par inhalation, ou bien par ingestion.

> Une relique de la Guerre Froide?

En ce qui concerne le Novitchok en particulier, il a été mis au point par les Soviétiques dans les années 1970, en plein coeur de la Guerre Froide, et se présente le plus souvent sous la forme d'une fine poudre susceptible de pénétrer les pores de la peau ou les voies respiratoires.

En réalité, il est encore difficile d'estimer les substances qui le composent, tant ces dernières sont dosées pour rester indétectables par les médecins légistes. Comme l'expliquait BFMTV.com il y a plusieurs années, la vérité sur le poison a toutefois en partie été levée en 1991 par Vil Mirzayanov, scientifique russe installé depuis 1995 aux Etats-Unis, qui a participé au développement de ces armes chimiques dites de quatrième génération.

"Seuls les Russes" ont mis au point ces agents toxiques, avait-il assuré à l'AFP en mars 2018 au moment de l'affaire Skripal. "Ils les ont gardés et les gardent toujours au secret."

Cette substance toxique aurait été conçue à partir de produits agrochimiques afin que sa production n'interpelle pas. Et, selon un rapport de 2014 publié par le Nuclear Threat Initiative, organisation basée aux Etats-Unis, la Russie aurait eu à sa disposition plusieurs milliers de tonnes de ce poison.

Les agents Novitchok sont des "agents binaires": "les substances qui les composent sont transportées séparément, forme sous laquelle elles sont sans danger, et sont ensuite mélangées pour activer le poison. C'est extrêmement toxique", explique le Dr Richard Parsons, spécialiste de toxicologie au King's College de Londres, cité par l'organisme britannique Science Media Centre.

> Existe-t-il un antidote?

Pour combattre les effets des agents innervants, la procédure de soins classique est de stabiliser les fonctions vitales du corps (respiration, battements du coeur), mais il n'existe pas d'antidote à proprement parler.

Parallèlement, il faut administrer au patient de l'atropine, qui bloque les récepteurs de l'acétylcholine pour empêcher son accumulation dans le système nerveux. Le temps, si le traitement fonctionne, de permettre au corps d'évacuer le toxique et de produire à nouveau l'enzyme qu'il ciblait.

Mais même si la personne empoisonnée s'en sort, elle peut garder des séquelles. A Salisbury, là où Sergueï Skripal avait été contaminé, le travail de décontamination s'était terminé début 2019, près d'un an après l'empoisonnement. La maison de l'ancien espion russe était le dernier parmi 12 sites à avoir été minutieusement nettoyé.

> Quelles condamnations à l'internationnal?

Logiquement, l'annonce par l'Allemagne de l'utilisation du Novitchok dans l'empoisonnement d'Alexeï Navalny ne laisse que peu de place aux doutes. Ce vendredi, le directeur du Fonds contre la corruption créé par l'opposant a directement accusé le régime de Vladimir Poutine.

"Seul l'Etat (FSB, GRU) a pu avoir recours au Novitchok. C'est au-delà de tout doute raisonnable", a estimé sur Twitter Ivan Jdanov, citant les acronymes des services spéciaux russes.

A l'antenne de la radio Echo de Moscou, il a par la suite relevé qu'il s'agissait d'une "substance toxique militaire". "Cela montre clairement qu'une attaque d'une telle ampleur a pu être organisée par l'Etat", a ajouté le responsable de l'organisation anticorruption, spécialisée dans les enquêtes sur l'élite politique russe et l'entourage de Vladimir Poutine.

En début de soirée, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, dans un communiqué, a condamné "l'utilisation choquante et irresponsable" de l'agent neurotoxique.

Ces nouvelles révélations risquent également de tendre un peu plus les relations entre la Russie et l'Union Européenne. Ce jour, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a dénoncé un "acte méprisable et lâche, encore une fois."

De son côté, le Royaume-Uni a appelé la Russie à "dire la vérité", jugeant "absolument inacceptable" l'usage d'une "arme chimique interdite." Peu après, la Russie s'est dite prête à "coopérer entièrement" avec l'Allemagne.

Article original publié sur BFMTV.com