TOUT COMPRENDRE - Pourquoi Benjamin Netanyahu met-il en pause une réforme très contestée en Israël?

Une réforme de la justice sur "pause", annonce Benjamin Netanyahu ce lundi soir. Et pour cause: le chef du gouvernement israélien fait face à une très forte pression contre son texte, qui vise à donner plus de pouvoir aux élus sur le système judiciaire, et contre laquelle des milliers de personnes manifestaient depuis dimanche soir dans plusieurs villes du pays. Des foules de protestataires s'étaient rassemblés ce lundi devant le Parlement israélien, à Jérusalem, pour exiger que le gouvernement abandonne son projet.

Portée depuis janvier par une coalition regroupant le parti conservateur Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahu et plusieurs partis d'extrême-droite, la réforme venait d'entrer dans la phase finale de son parcours législatif. Mais les appels au retrait du texte, ou au moins à sa suspension, s'étaient multipliées ces derniers jours, y compris au sein de la coalition gouvernementale. Le Premier ministre s'offre donc un délai, sans pour autant envisager de renoncer.

· En quoi consiste le projet de réforme controversé?

Annoncée début janvier, la réforme de la justice voulue par le gouvernement comprend notamment une modification du processus de désignation de nomination des juges pour octroyer plus de pouvoir aux forces politiques. Mais surtout, elle prévoit de donner la possibilité au Parlement d'annuler une décision de la Cour suprême. Benjamin Netanyahu et ses alliés d'extrême-droite et ultra-orthodoxes estiment nécessaire ce projet de réforme pour rétablir un rapport de force équilibré entre les élus et la Cour, qu'ils jugent politisée.

La plus haute juridiction, seule contre-pouvoir institutionnel, est depuis plusieurs années la cible des partis de droite et d'extrême-droite israéliens. Ils la jugent trop à gauche et lui reprochent d'avoir annulé des lois de la droite ainsi que des nominations, dont celle d'un proche de Benjamin Netanyahu au ministère de l'Intérieur en décembre

C'est notamment pour passer outre les avis de la Cour que le ministre de la Justice, Yariv Levin, porte une "clause de contournement" qui permettrait au Parlement d'organiser un nouveau vote sur un texte invalidé au bout de trois mois, comme le détaille le Journal du Dimanche dans cet article. Un vote favorable à la majorité simple permettrait alors de faire adopter le texte.

Selon ses détracteurs, le texte met en péril le caractère démocratique de l'État d'Israël en soumettant la justice aux volontés du politique. Les opposants à la réforme craignent aussi que le gouvernement, le plus à droite de l'histoire du pays, veuille faire sauter les garde-fous qui l'empêchent aujourd'hui de s'en prendre directement aux LGBTQ+, aux Palestiniens et aux femmes. Les opposants considèrent aussi que la réforme pourrait aider à casser une éventuelle condamnation de Benjamin Netanyahu, jugé pour corruption dans plusieurs affaires.

· Pourquoi la contestation a-t-elle pris de l'ampleur?

Les premières manifestations ont commencé dès l'annonce de la réforme. Les autorités ne communiquent pas les chiffres des rassemblements mais selon plusieurs observateurs, il s'agit de l'un des plus grands mouvements populaires contre une réforme depuis la naissance d'Israël en 1947.

Mais la pression sur le gouvernement est encore montée d'un cran dimanche avec le limogeage du ministre de la Justice, pourtant issu du Likoud. Évoquant le risque que posaient les tensions actuelles pour "la sécurité d'Israël", Yoav Gallant s'est dit favorable, lors d'un discours prononcé samedi, à "la suspension" pour un mois du processus législatif. Une dissidence que n'a pas toléré le Premier ministre Benjamin Netanyahu, dans un contexte où la majorité est déjà fragilisée par la rue.

Dimanche soir, des milliers de personnes se sont massées à Tel Aviv, ville libérale épicentre de la contestation, ainsi qu'à Jérusalem. Les forces de l'ordre ont utilisé des canons à eau pour disperser les manifestants.

Ce lundi, avant la suspension, les appels à la grève contre le texte se sont multipliés, la plus grosse centrale syndicale du pays appelant même à la "grève générale". L'Association médicale israélienne a elle aussi décrété une grève générale risquant d'affecter les hôpitaux et services médicaux publics. Si les effets de la grève ne sont pas forcément immédiatement visibles dans les rues de Jérusalem ou Tel Aviv, où nombre de commerces restent ouverts, l'aéroport international Ben-Gourion a annoncé l'arrêt des vols départ, alors que des dizaines de milliers de personnes devaient quitter le pays ce lundi.

Ce lundi matin, le président israélien Isaac Herzog, dont le rôle est essentiellement protocolaire, a lui-même appelé à la suspension de la réforme: "Nous avons été témoins la nuit dernière de scènes très difficiles", a-t-il déploré sur Twitter, estimant que la "nation entière est en proie à une profonde inquiétude".

"Ceux qui pensent qu'une guerre civile ne peut pas se produire se trompent", avait-il déjà déclaré le 16 mars.

Les États-Unis, où vit la plus grande communauté juive hors Israël, se sont déclarés "profondément préoccupés" par la situation en Israël, après le limogeage du ministre de la Justice, et ont rappelé la nécessité d'un "compromis" entre les différentes parties. Le pays a ensuite salué la mise en pause du texte. En France, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a appelé le gouvernement israélien "à suspendre la réforme" afin de "rétablir au plus vite le calme et le dialogue avec toute la société".

· Quelles seraient les conséquences d'un retrait de la loi?

Selon les médias israéliens, plusieurs membres de la coalition au Parlement ont fait part de leurs réserves sur le texte dans le contexte actuel. La coalition gouvernementale n'est donc pas certaine d'avoir la majorité pour faire passer le texte, malgré un premier vote gagné ce lundi matin. Dans ce contexte, la décision de suspendre le texte pourrait affermir la majorité.

Il n'est toutefois pas certain qu'une suspension apaise la rue et le gouvernement pourrait finalement être contraint d'abandonner le texte. Le ministre de la Sécurité intérieure, Itamar Ben-Gvir, aurait menacé de quitter le gouvernement et de mettre fin au soutien de son parti d'extrême-droite, Force juive, à l'action du gouvernement.

Une telle décision pourrait entraîner la chute du gouvernement. Benjamin Netanyahu pourrait alors être amené à en composer un nouveau, avec le risque qu'un échec se solde par de nouvelles élections. Israël, en proie à une instabilité politique chronique, a déjà connu cinq scrutins en quatre ans.

Article original publié sur BFMTV.com