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TOUT COMPRENDRE - Internements, répression, stérilisations: pourquoi le sort des Ouïghours en Chine inquiète

Des femmes Ouïghoures et des soldats chinois à Urumqi, dans le Xinjiang, le 9 juillet 2009 après des journées d'émeutes. - Peter Parks
Des femmes Ouïghoures et des soldats chinois à Urumqi, dans le Xinjiang, le 9 juillet 2009 après des journées d'émeutes. - Peter Parks

Le monde est-il en train de prendre la mesure de la situation ouïghoure? Ce mardi, la France a proposé qu'une "mission internationale émanant d'observateurs indépendants", "sous la houlette" de la Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, se rende au Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, pour enquêter sur la situation de cette minorité musulmane.

Dans cette région, "il y a des pratiques injustifiables qui vont à l'encontre des principes universels inscrits dans les grandes conventions internationales des droits de l'Homme", a estimé le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devant l'Assemblée nationale, citant "l'internement des Ouïghours dans des camps, des détentions massives, du travail forcé, des stérilisations forcées, la destruction du patrimoine culturel des Ouïghours (...), la surveillance généralisée de la population, un système répressif global dans toute la région."

> Qui sont les Ouïghours?

C'est dans la région autonome du Xinjiang, dans le Nord-Ouest de la Chine, que se trouve la plus grande concentration de ce peuple turcophone de religion musulmane sunnite, peuplé de plus de 12 millions de personnes selon un recensement de 2017.

Depuis la moitié du XXe siècle, le régime chinois, inquiet des velléités d'indépendance d'une partie des Ouïghours, a encouragé une seconde ethnie à s'installer dans la région. Ainsi, à l'heure actuelle, dans la capitale Ürümqi, mais aussi dans les principales villes telles que Kachgar, la population de l'ethnie Han, majoritaire dans toute la Chine, est presque égale à celle des Ouïghours.

> Pourquoi sont-il persécutés par Pékin?

Ce sont les volontés d'indépendance d'une partie de la population ouïghoure qui semblent au coeur des préoccupations du régime chinois. Déjà dans les années 1930 et 1940 avaient été créés les deux premières Républiques du Turkestan oriental, avant d'être finalement réintégrées à l'empire communiste.

Dès lors, plusieurs groupes clandestins se sont mis en place, dont le Parti islamique du Turkestan, affilié à Al-Qaïda, une organisation terroriste et militaire d'idéologie salafiste djihadiste, dont certains membres ont rejoint les rangs de Daesh en Syrie. Au détour des années 2010, une série d'attentats dont celui d'Ürümqi en 2014, qui a fait 43 morts, a servi de prétexte au gouvernement pour resserrer un peu plus son joug sur la population locale et augmenter la répression.

Ces dernières années, plusieurs tensions entre la communauté ouïghoure et celle des Han ont éclaté, avec encore une fois la ville d'Ürümqi comme théâtre. En juillet 2009 se sont déroulées plusieurs émeutes antigouvernementales qui avaient comme point de départ une manifestation rassemblant entre 1000 et 3000 personnes. S'en sont suivi des attaques contre la communauté Han qui, selon le bilan officiel, ont fait 197 morts et 1680 blessés.

> Quelles formes prend la répression?

Depuis la nomination en 2016 par Pékin de l'ancien militaire Chen Quanguo à la tête de la région du Xinjiang, la situation des Ouïghours s'est grandement détériorée, et la répression peut prendre plusieurs formes. Dans un premier temps, la population locale musulmane est soumise à de nombreuses opérations de police, parfois mortelles, justifiées une nouvelle fois par le régime dans sa lutte contre le terrorisme et le séparatisme.

Puis, ont également été mis en place des camps d'internement, appelés de manière officielle "camps de transformation par l'éducation." De ces derniers, peu d'informations ont filtré, mais certains témoignages rapportés par Marc Julienne, doctorant à l’INALCO et chercheur associé résident à la Fondation pour la recherche stratégique, lors d'un programme de France Culture, font état d'internements de villages complets, bâtis sans raisons précises, et d'internements qui peuvent durer de plusieurs semaines à plusieurs années.

Les conditions de détention y seraient inhumaines et la torture une règle établie. À l'heure actuelle, on estime entre 500.000 et 800.000 les Ouïghours enfermés dans ces camps, dont 40% dans des villages.

"Il s'agit d'une politique extra-légale, il n'y a pas de raisons précises pour les arrestations et les mises en détention, c'est arbitraire et généralisé à toute la population. Cela ne concerne pas que les Ouïghours, mais tous les musulmans, dont la minorité kazakhe", expliquait le chercheur.

Comme le rapporte de son côté RTL, seuls quelques témoignages de Ouïghours ayant été emprisonnés dans ces camps existent. Courant juillet, Libération publiait celui de Qelbinur Sidik Beg, une femme depuis exilée en Europe, qui faisait état de tortures, viols, de conditions de vie inhumaines et de stérilisation forcée.

> Pourquoi parle-t-on de stérilisations forcées?

Un récent rapport réalisé par Adrien Zenz, grand spécialisté des minorités chinoises, et publié ces dernières semaines, met un peu plus en lumière l'horreur quotidienne à laquelle sont confrontés les Ouïghours. Et les chiffres sont éloquents: en l'espace d'une année (de 2018 à 2019), le taux de croissance de la population ouïghoure est passé de 11 pour 1000 à seulement 1 pour 1000. Ces statistiques ont été fournies par les autorités sanitaires locales, par les préfectures et par le ministère de la Santé.

Une baisse drastique qui correspond avec une politique de stérilisation des femmes ouïghoure et une campagne de stérilisation imposée, notamment par la pose de stérilets ou la séparation des couples. Comme le souligne ce rapport, la majorité des femmes emprisonnées le seraient pour avoir enfreint la loi sur la natalité. Selon plusieurs documents officiels, l'objectif serait ainsi de stériliser entre 14 et 24% des femmes en âge de procréer.

> Quelles réactions à l'internationnal?

Interrogé à de multiples reprises sur le sujet, le régime chinois est avare en explications. Réagissant aux propos de Jean-Yves Le Drian, l'Empire du Milieu avait tout juste dénoncé des "mensonges." La politique de Pékin au Xinjiang "ne vise aucun groupe ethnique spécifique ni religion", avait affirmé le porte-parole de Pékin, assurant que la politique de son pays dans la région ne relevait pas des droits humains ni de la liberté de culte, mais de la lutte contre "le terrorisme et le séparatisme."

"Puisqu'ils disent que mes propos sont infondés, nous proposons qu'il y ait une mission internationale émanant d'observateurs indépendants, sous la houlette de la Haut-commissaire aux droits de l'Homme Mme Bachelet, qui se rende sur place, qu'ils voient et qu'ils rendent témoignage, puisque si les autorités chinoises disent que ça n'existe pas alors il faut aller l'attester sur place", a repris de volée le ministre français.

Depuis la publication du rapport sur les stérilisations forcées, Américains et Européens ont appelé à cesser ces tortures.

Article original publié sur BFMTV.com