Comment l'affaire d’Outreau a-t-elle changé le fonctionnement de la justice ?
Une série de quatre documentaires diffusée à partir du mardi 17 janvier sur France 2 revient sur un des plus gros fiascos judiciaires français, l’affaire d’Outreau.
Tirer les enseignements du passé. C’est tout l’enjeu du docu-fiction en quatre épisodes intitulé "L'Affaire d'Outreau" diffusés les mardis 17 et 24 février sur France 2 à partir de 21h10. "Ce qui fait la spécificité de cette affaire est qu’à tous les niveaux, il y a eu des défaillances, une succession de maillons faibles", explique le co-réalisateur de cette série, Olivier Ayache-Vidal, sur BFMTV. Son travail consiste à montrer les coulisses d’une machine judiciaire défaillante qui a conduit au fiasco retentissant des années 2000.
Que s’est-il passé ?
À l’origine de l’affaire d’Outreau, quatre enfants placés sous assistance éducative en 2000. Ils dénoncent à leur assistante maternelle les sévices sexuels que leurs parents, Thierry Delay et Myriam Badaoui, leur ont fait subir. La mère reconnaît une partie des faits et dénonce au passage certains de ses voisins de la cité HLM de la tour du Renard à Outreau, dans le Pas-de-Calais, dans des lettres adressées au juge d’instruction de l’époque, Fabrice Burgaud. L’affaire prend un nouveau tournant en 2001 quand de nouvelles personnes sortant du voisinage sont accusées d’avoir pris part à ces actes pédophiles.
Par la suite, quatre personnes sont condamnées lors d’un procès d’assises à Saint-Omer en 2004 : Thierry Delay et Myriam Badaoui ainsi qu’un couple de voisins. Sur les 18 accusés, sept sont en revanche acquittés. Les six autres personnes condamnées en première instance et qui ont fait appel sont toutes acquittées un an plus tard, lors du procès de Paris de 2005. Au total, 14 personnes innocentes ont été incarcérées. L'une d'elles, François Mourmand, est morte en prison en 2002.
Dans ce fiasco judiciaire, "personne n'a été réellement sanctionné, précise l’autre co-réalisatrice du documentaire, Agnès Pizzini, à France Info. Le Conseil de la magistrature a juste donné un blâme au juge Burgaud qui a poursuivi sa carrière."
Qu’est-ce qui a changé depuis ?
"Le recueil de la parole de l’enfant, répond Olivier Ayache-Vidal à BFMTV. Il y a des formations pour les policiers, il y a des caméras." En effet, depuis l’affaire d’Outreau et la réforme Clément, alors ministre de la Justice, les auditions des enfants sont systématiquement filmées. Les policiers spécialisés sont aussi davantage formés et peuvent mieux évaluer le niveau de langage de la victime, sans jamais poser de questions fermées. Les souvenirs olfactifs de la victime sont aussi davantage sollicités. L’écoute a finalement devancé la sacralisation de la parole d’enfant.
Après cette affaire, les regards se sont également portés vers l’instruction, placée entre les mains d’un seul et unique juge. La commission d’enquête de l'Assemblée nationale a préconisé en 2006 la collégialité de l’instruction, avec trois juges au lieu d’un dans les affaires complexes. Faute de budget voté, les 300 magistrats nécessaires à la mise en place d’une telle mesure n’ont pu être recrutés et elle a finalement été abandonnée définitivement en 2016. Plusieurs juges d’instruction peuvent tout de même être co-saisis dans les affaires les plus graves, mais ils n’ont pas à partager les informations et à trancher ensemble. "La cosaisine est d'envergure variable, explique Pascal Gastineau, président de l'Association française des magistrats instructeurs (Afmi) au Figaro. Elle est ce que les juges en font."
La formation du cursus de l'École nationale de la magistrature (ENM) a également été réformée. Outre l’aspect technique, les candidats sont désormais scrutés sur le côté psychologique lors des audiences reconstituées. Leur tout premier stage doit impérativement se dérouler chez un avocat, pour leur faire mieux intégrer le regard de la défense.
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