Collège Stanislas : qu'est-il reproché à cet établissement d'enseignement privé ?

Sujet du Complément d'Enquête de ce jeudi soir sur France 2, l'école privée catholique située dans le VIe arrondissement de Paris s'est retrouvée au cœur de plusieurs polémiques ces derniers mois.

Ciblé par plusieurs enquêtes et polémiques, le Collège Stanislas est dans la tourmente. (Photo : Thomas SAMSON / AFP)

Cas isolé ou symptôme des dérives de l'enseignement privé religieux en France ? Depuis quelques mois, l'école privée Stanislas, prestigieux établissement situé dans les beaux quartiers de Paris, n'en finit plus de faire la une de l'actualité. Après une succession de révélations dans la presse, il est ce jeudi 10 octobre le sujet principal du dernier numéro de Complément d'enquête sur France 2.

Le magazine d'investigation de France 2 s'est ainsi penché sur les "dérives" d'une "école d’excellence accusée d’autoritarisme, de sexisme et d’homophobie". D'où proviennent ces accusations et quelles sont-elles exactement ? Retour sur les différentes affaires récentes impliquant le Collège Stanislas.

Fondé au début du XIXe siècle par trois prêtres, Stanislas n'a jamais dérogé à sa tradition d'école privée catholique à destination des élites parisiennes. L'établissement propose aujourd'hui des formations allant de la maternelle aux classes préparatoires. Les tarifs confirment sa vocation élitiste, puisque Les Échos indiquent qu'il faut débourser, à l'année, 2027 euros pour inscrire un élève de primaire, 2238 euros pour un collégien et 2561 euros pour un lycéen.

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Ces dernières années, différentes enquêtes journalistiques, publiées notamment par Le Monde et Mediapart, avaient cependant dénoncé "l'univers sexiste, homophobe et autoritaire" dans lequel baigne l'autoproclamé "meilleur lycée de France". Saisie au printemps 2023, l'Inspection générale de l'Éducation nationale (IGEN), dont dépend cet établissement privé sous contrat, a mené une enquête et rendu à son ministère de tutelle un rapport édifiant en août dernier.

Gardées confidentielles pendant plusieurs mois, les conclusions des enquêteurs ont finalement été dévoilées en janvier 2024 dans un article de Mediapart. Celui-ci mentionnait notamment les propos choquants tenus par un professeur de catéchèse (enseignement de la religion catholique) devant ses élèves, en mai 2023.

"Il nous a parlé de l’homosexualité comme d’une maladie, et que si l’on se sentait homosexuel, il fallait se faire soigner dans une structure religieuse au Canada, témoigne un élève du Collège Stanislas, cité par le rapport. (...) Il nous a parlé de viol, en disant qu’il fallait pardonner au violeur et que c’était difficile." Comme le précise Mediapart, l'enseignant concerné a ensuite été "écarté" par la direction de l'établissement.

Le rapport dévoilé par le média d'investigation accuse par ailleurs le Collège Stanislas d'imposer à ses élèves une formation religieuse catholique et donc de contrevenir à la loi qui stipule que dans les établissements privés sous contrat, les enseignements de ce type doivent être facultatifs.

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Les enquêteurs de l'Éducation nationale ont ainsi pu constater que "les familles qui souhaitent inscrire leur enfant à Stanislas n’ont pas le choix". Au-delà de la présence de l'enfant aux cours religieux, les parents d'élèves doivent également signifier par écrit leur "adhésion au volet 'formation chrétienne' du projet éducatif". Là encore, l'atteinte au respect de la liberté de conscience semble manifeste.

Cette obligation d'enseignement religieux n'est pas la seule entorse à la loi commise par l'établissement. Le rapport de l'IGEN révèle ainsi que plusieurs professeurs du Collège Stanislas ont sciemment fait le choix de ne pas suivre les programmes scolaires, notamment concernant l'éducation à la sexualité, abordée normalement au collège en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT).

En lieu et place des cours d'éducation sexuelle, Stanislas propose ainsi des cours d'"éducation affective" au contenu bien différent. "Il ne s’agit pas d’une simple commodité de langage, mais d’un parti pris de mise à distance de la sexualité", affirme le rapport, qui explique que ces cours font l'impasse sur des sujets aussi importants que la contraception et les infections sexuellement transmissibles (IST), mais aussi qu'ils promeuvent une vision de la sexualité particulièrement rétrograde et sexiste.

La différence de traitement très marquée entre garçons et filles au sein de l'établissement est d'ailleurs un autre point important abordé par le rapport. Celui-ci dénonce l'existence de nombreuses classes non-mixtes, mais aussi leur répartition spatiale loin d'être anodine. S'appuyant sur les observation de l'IGEN, Mediapart affirme ainsi que les classes de garçons sont situées dans le prestigieux bâtiment principal, alors que les classes de filles sont "à la marge, dans un autre bâtiment", avec les classes mixtes.

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Quelques jours après la publication de cet article, Mediapart avait d'ailleurs révélé que la ministre de l'Éducation nationale de l'époque, Amélie Oudéa-Castéra avait placé ses trois fils, tous scolarisés à Stanislas, dans des classes non mixtes. Autre signe du sexisme ambiant au sein de l'établissement, le rapport de l'IGEN affirme que les élèves de sexe féminin doivent respecter un certain nombre d'interdits vestimentaires renvoyant tous "à une image sexuelle de son corps qui attire et perturbe les garçons".

Ces exemples semblent confirmer que la vision du monde véhiculée par le Collège Stanislas s'appuie sur des positions réactionnaires, directement inspirée par l'intégrisme catholique. Le rapport affirme par exemple que l'établissement baigne dans un "climat d'homophobie" qui avait notamment culminé au moment de La Manif pour tous, mouvement social de 2012 contre le mariage de personnes du même sexe.

À la suite de la révélation du rapport de l'IGEN, une plainte pour "discrimination homophobe" a en tout cas été déposée contre Stanislas par deux associations, comme le rapporte 20 Minutes. Cette action en justice concerne notamment l'exclusion brutale d'une élève qui avait eu le tort de dénoncer "le racisme et l’homophobie des membres du personnel de Stanislas", ainsi que celle d'une autre lycéenne, accusée pour sa part d'avoir porté "un pull LGBT".

Le rapport de l'IGEN évoque aussi une propension à contourner le dispositif national Parcoursup pour permettre à certains élèves d'intégrer les classes préparatoires du Collège Stanislas. "Certains élèves sont incités à renoncer à leurs autres vœux dans Parcoursup au moment de la finalisation du dossier en échange de la garantie d’être admis sur leur vœu dans une classe préparatoire de l’établissement", révèle ainsi le document transmis au ministère de l'Éducation nationale.

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"S'il faut faire autrement, nous ferons autrement, mais nous n'avons pas le sentiment de léser les élèves qui viennent de l'extérieur ni de tromper nos propres élèves", avait ensuite réagi le directeur de l'établissement, Frédéric Gauthier, dans des propos relayés par Franceinfo. Difficile, toutefois, de ne pas considérer que de telles méthodes de recrutement tendent à favoriser l'entre-soi des catégories sociales les plus aisés.

En plus de cette liste (non exhaustive) des dérives mentionnées par le rapport de 2023, le Collège Stanislas s'est retrouvé au centre d'autres polémiques ces derniers mois. En septembre dernier, un ancien responsable d'internat de l'établissement a en effet été condamné à un an de prison avec sursis "pour des violences commises entre 2013 et 2018 contre six élèves au sein de l’établissement parisien". D'après Le Monde, l'accusé avait pris pour habitude de distribuer des claques, mais aussi des insultes et des humiliations aux victimes.

Il y a quelques mois, en février 2024, un professeur d'histoire-géographie officiant notamment au Collège Stanislas a pour sa part été visé par une plainte pour agression sexuelle. Comme le rapportait à l'époque Le Parisien, l'enseignant concerné a immédiatement été suspendu "à titre conservatoire" et une enquête judiciaire a été ouverte à son sujet.

Pour compléter le sulfureux tableau, signalons que le Collège Stanislas a aussi été épinglé récemment pour son financement public particulièrement généreux. En août dernier, Mediapart a en effet révélé que l'établissement avait touché au total "1,5 million d’euros d’argent public entre 2016 et 2023", un chiffre excédant largement les obligations légales en termes de financement des écoles privées sous contrat.

Selon le média d'investigation, Stanislas avait notamment bénéficié (comme d'autre établissements d'enseignement privé) de juteux "bonus" accordés par la région, sans que ces derniers soient corrélés à des projets éducatifs spécifiques. L'intérêt de ces cadeaux accordés au privé pose évidemment question, a fortiori dans un contexte où l'enseignement public souffre depuis des années d'un manque de moyens flagrant.