Colbert, Bugeaud, Ferry : pourquoi ces rues et statues font polémique

La statue Jean-Baptiste Colbert devant l'Assemblée nationale.

Si Emmanuel Macron assure que la République ne “déboulonnera pas de statues”, Sibeth Ndiaye n’a pas exclu que certaines rues soient débaptisées.

En marge des manifestations racistes à travers le monde, plusieurs statues de personnages au passé sulfureux ont été déboulonnées par les manifestants. De la statue du négrier Edward Colston à Bristol à la statue de Christophe Colomb décapitée à Boston, le mouvement s’est propagé.

Au point d’inciter certains pays à envisager ou à retirer des statues. Exit la statue de Léopold II, roi de Belgique de 1865 à 1909, à Anvers. Aux Etats-Unis, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a demandé, mercredi 10 juin, à ce que les statues des généraux confédérés soient retirées du Capitole.

“La République ne déboulonnera pas de statue”

Hors de question de suivre le mouvement en France, a précisé Emmanuel Macron, lors de son allocution dimanche 14 juin. “La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue”, a clarifié le chef de l’Etat, en écho à ce mouvement.

Mais le lendemain sur France Inter, Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, n’a pas exclu que certaines rues soient débaptisées. Interrogée sur le cas de l’avenue Bugeaud à Paris, elle assume qu’on puisse "poser la question" de la débaptiser. Si le cas du général Bugeaud revient fréquemment au coeur du débat, d’autres rues qui portent le nom de personnages au passé sulfureux pourraient aussi être débaptisées.

  • Le général Thomas Robert Bugeaud

Le général Bugeaud, gouverneur général d’Algérie en 1845, est controversé pour ses méthodes violentes : massacres de civils, déplacements de populations, tortures, “enfumades” (il est accusé d’avoir enfermé des Algériens dans des grottes et les avoir enfumé) et politique de la terre brûlée. Une avenue à Paris porte son nom, ainsi que des écoles à Brest et Marseille. Des statues à son effigie sont érigées dans plusieurs villes de France dont Périgueux.

  • Jean-Baptiste Colbert

Ministre de Louis XIV, il est à l’origine du Code noir, qui réglemente le trafic des esclaves en France. Jean-Baptiste Colbert est mis à l’honneur dans de nombreux lieux de pouvoir en France. Une salle de l’Assemblée nationale porte son nom, tout comme un bâtiment du ministère de l’Economie et des Finances. Jean-Marc Ayrault, actuel président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, a demandé de changer le nom de ces deux lieux. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, a refusé.

“Je reconnais bien volontiers que ce n’est pas un personnage très sympathique,(...) mais c’est la Compagnie des Indes, la restructuration de l’industrie, la manufacture des Gobelins, la remise en état des Finances”, a nuancé Bruno Le Maire pour justifier le maintien du nom du bâtiment Colbert.

Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, remarque que Jean-Marc Ayrault a été maire de Nantes durant 23 ans, ville dans laquelle une rue est baptisée Colbert.

Dans de nombreuses villes de France, des établissements scolaires et des rues portent le nom de Colbert.

  • Les généraux Joseph Gallieni et Louis Faidherbe

Le général Gallieni, gouverneur général de Madagascar entre 1896 et 1905, est controversé pour avoir organisé le massacre de civils, notamment à Menalamba, lors de la colonisation de l’île. À Paris, une avenue, une station de métro et une gare routière portent son nom. Une statue à son effigie trône place Vauban, dans le VIIe arrondissement de la capitale.

Louis Faidherbe a également pris part activement à la colonisation, comme administrateur du Sénégal. Il est accusé d’y avoir organisé le massacre de civils à la moitié du XIXe siècle. Plusieurs villes ont érigé une statue ou donné son nom à des rues ou des établissements scolaires.

  • Jules Ferry

Si Jules Ferry est surtout connu pour avoir rendu l’école obligatoire et gratuite, il était également un fervent défenseur du colonialisme. En 1885, lors d’un débat à l’Assemblée sur la politique coloniale de la France, Jules Ferry déclare que “Les races supérieures ont un droit sur les races inférieures”.

En 2015, 642 établissements scolaires portaient son nom, selon Le Monde. Plusieurs rues portent son nom à Bordeaux, Paris ou encore Beauvais. À Saint-François en Guadeloupe, des associations souhaitent rebaptiser la rue Jules Ferry en la nommant George Floyd.

Les villes de l’Atlantique particulièrement concernées

En 2014, une association, la Fondation du mémorial de la traite des Noirs, recensait les rues qui mettaient à l’honneur des acteurs du commerce négrier. Les villes portuaires du littoral Atlantique, où transitaient les bateaux chargés d’esclaves, étaient particulièrement concernées : 22 rues à Bordeaux, 11 à Nantes, 5 à La Rochelle et au Havre, mais également 6 rues à Marseille.

Le débat sur les noms des rues est relancé et pourrait s’inviter au second tour des élections municipales, dans certaines villes. L’association Mémoires et Partages souhaite qu’une rue soit symboliquement débaptisée à Bordeaux, Nantes, La Rochelle et Le Havre, et que des plaques explicatives soit installées dans les autres rues portant le nom d’un négrier. “Il faut faire de la pédagogie, que les habitants sachent qui étaient l’homme qui a donné le nom à leur rue”, nous explique le directeur de l’association, Karfa Diallo.

Des sympathisants nazis, un élu condamné...

Au-delà des rues portant des noms de personnages ayant participé à l’esclavagisme ou à la colonisation, d’autres rues portent le nom de personnages sulfureux. Ainsi, à Béziers, le maire Robert Ménard, soutenu par le FN lors de son élection en 2014, a débaptisé la rue du 19 mars 1962, date des accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie. Son nouveau nom : Hélie Denoix de Saint-Marc, général fervent défenseur de l’Algérie française et qui a pris part au putsch en 1961.

A Nice, une rue est baptisée Jacques Médecin depuis 2019, du nom de l’ancien maire de la commune. Sauf que l’édile, décédé en 1998, a fui la justice pour l’Uruguay, alors qu’il était poursuivi pour malversations. Finalement extradé, il est déchu de ses droits civiques et passe 672 jours en prison, notamment pour ingérence, abus de confiance, corruption passive et recel d'abus de bien sociaux.

Une rue Pétain jusqu’en 2013

À Dijon, le stade qui accueille l’équipe de Ligue 1 de football s’appelle Gaston Gérard, maire de la commune de 1919 à 1935. Mais l’ancien maire est aussi connu pour avoir collaboré avec les nazis sous l’occupation. En 2017, le magazine l’Accent Bourguignon dévoile un "rapport des Renseignements Généraux daté du 4 octobre 1944 qui dresse la liste des 'sympathisants et adhérents à la Ligue Française'. Le nom de Gaston Gérard, sa profession et son adresse y apparaissent”.

À Rennes, Alexis-Carrel a donné son nom à un boulevard de la ville. Ce Nobel de médecine en 1912 est aussi connu pour sa proximité avec l’idéologie nazie et ses penchants eugénistes. Il estime que la sélection génétique est “nécessaire” pour perpétuer la race humaine. Une pétition est lancée pour débaptiser le boulevard, sans succès. La fac de médecine de Lyon a gommé son nom en 1996 et Nantes débaptisé un boulevard trois ans à son nom plus tôt.

Partout dans le pays, de nombreuses rues sont baptisées au nom du Maréchal Pétain, après la Première Guerre mondiale. La majorité sont débaptisées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, après sa collaboration avec l’occupant allemand. Belrain, en Lorraine, débaptisera sa rue Pétain en 2013.