Cinéma: le festival de Saint-Sébastien célèbre un film réchappé de la censure franquiste

Des boîtes de pellicules contenant des films classiques au laboratoire FlixOlé dans la "Cité de l'image" à Madrid, le 16 septembre 2024 (OSCAR DEL POZO)
Des boîtes de pellicules contenant des films classiques au laboratoire FlixOlé dans la "Cité de l'image" à Madrid, le 16 septembre 2024 (OSCAR DEL POZO)

Le festival de cinéma de Saint-Sébastien (20-28 septembre) dans le nord de l'Espagne fait lundi un saut dans le passé pour mettre en valeur un film espagnol de 1951 qui avait miraculeusement pu voir le jour en dépit de l'impitoyable censure du régime franquiste.

La projection d'une version restaurée de cette œuvre, "Surcos" ("Les Déracinés" en français), illustre une tendance récente des festivals du 7ème art, celle de projeter des classiques qui ont bénéficié des progrès de la numérisation et de la restauration.

Mis en scène par José Antonio Nieves Conde, "Surcos" (qui signifie "sillons") dont le titre se réfère à la terre, relate l'histoire sordide et tragique d'une famille misérable qui abandonne la campagne pour la ville à la recherche d'une vie meilleure, comme des centaines de milliers d'Espagnols le firent à cette époque, une douzaine d'années après la fin de la guerre civile (1936-1939).

Le film s'inspire clairement du néoréalisme italien et ses récits de la misère urbaine tels que "Le voleur de bicyclette", le chef d'oeuvre de Vittorio De Sica, sorti trois ans plus tôt.

Qualifié d'"extrêmement dangereux" par la censure de la dictature du général Franco (au pouvoir jusqu'à sa mort en 1975), qui n'appréciait pas l'image peu reluisante qu'il donnait de l'Espagne franquiste, le film "connut beaucoup de problèmes", rappelle Enrique Cerezo, le président de FlixOlé, plateforme de "streaming" spécialisée dans la diffusion de films espagnols et qui a assuré la restauration de "Surcos".

- Sauver les classiques de l'oubli -

"N'oubliez pas qu'à cette époque, le cinéma était le loisir numéro Un dans ce pays", affirme M. Cerezo dans une interview avec l'AFP réalisée à Madrid.

Malgré ces handicaps, "Surcos" parvint à passer presque miraculeusement entre les ciseaux des censeurs, au point d'être sélectionné en compétition au festival de Cannes de 1952.

Mais l'autre miracle, qui rend possible aujourd'hui la découverte de ce film, ainsi que d'autres classiques, c'est sa restauration.

"Depuis toujours" dans le monde du cinéma, il y a eu "un grave problème, qui est que le producteur, quand un film (était) achevé, (laissait) la bobine au laboratoire, ou dans des entrepôts, et l'oubliait pendant des années", alors même qu'elle se détériorait, explique M. Cerezo.

Beaucoup de ces pellicules ont ainsi fini recouvertes "d'une espèce de vinaigre, qui rend quasiment impossible leur récupération, ou souffrent d'autres maladies", poursuit M. Cerezo, un des principaux producteurs espagnols de cinéma, également président de la société de distribution Mercury Films et, dans un autre registre, du club de football Atlético de Madrid.

Dans la pénombre des laboratoires de FlixOlé et de Mercury Films, en plein coeur de la "Cité de l'Image", un complexe entièrement dédié à l'audiovisuel situé au nord-ouest de Madrid, des spécialistes travaillent sans relâche pour sauver des pellicules de la destruction et de l'oubli.

Rappelant une époque révolue, les bobines de 35 mm défilent rapidement devant un rai de lumière.

Un scanner les copie image par image, les transformant en un fichier numérique qui servira de base au travail de restauration.

- Travail de détective -

Mais avant d'en arriver là, il y a eu une première étape, digne d'un travail de détective: retrouver le négatif de la pellicule ou, à défaut, l'une des copies qui en ont été faites: celles-ci peuvent être disséminées dans le monde entier, explique à l'AFP Sophie de Mac Mahon, directrice générale de FlixOlé.

"C'est un travail très long, qui n'est pas tant un travail de laboratoire, mais plutôt d'investigation", résume-t-elle.

Lorsqu'une copie numérique a été localisée, commence alors le travail d'étalonnage, réalisé avec un logiciel plan par plan, image par image, pour corriger la lumière, les couleurs et le contraste, afin de redonner au film la tonalité voulue par son réalisateur.

La troisième étape est la restauration proprement dite, qui consiste à éliminer image par image taches, rayures ou traces de moisissure.

Le résultat final, dans une résolution haute définition 4K, est un film "qui peut se voir dans des conditions d'image encore meilleures que lors de sa sortie", se félicite Aarón Ortega, responsable de la communication de FlixOlé.

al/mdm-CHZ/mig/ref