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En Chine, les manifestations anti « zéro Covid » sont du « jamais-vu » pour ces témoins à Shanghai

Manifestation à Shanghai le 27 novembre contre la politique « zéro-Covid ».
HECTOR RETAMAL / AFP Manifestation à Shanghai le 27 novembre contre la politique « zéro-Covid ».

TÉMOIGNAGES - « En Chine, toutes les semaines il y a un nouveau truc qui change, on ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé », résume Valentin*, un Français qui vit à Shanghaï depuis neuf ans. Il habite à quelques rues des dernières manifestations qui ont émergé le week-end dernier et qui visent directement le gouvernement et sa politique « zéro Covid » menée depuis près de trois ans.

Julia*, une expatriée italienne qui vit à Shanghaï depuis 13 ans, est rentrée chez elle samedi soir vers 2 heures du matin et s’est retrouvée au milieu des manifestants. « Je n’avais jamais vu de manifestations publiques dans la rue aussi importantes, témoigne-t-elle. Et surtout, qui durent plus d’une journée et avec le nom du président crié et critiqué de manière aussi directe. »

Pour ces résidents étrangers, ces récents mouvements de protestation sont « du jamais-vu ». Et sont clairement la conséquence des mesures draconiennes imposées à la population chinoise depuis le début de la pandémie, en particulier le dernier confinement strict, entre fin mars et début juin 2022.

« Ce confinement, ça a été un peu le traumatisme, raconte Valentin. Omicron est arrivé en Chine début février et ils n’ont pas réussi à le bloquer et faire le ‘zéro Covid’ comme avec Delta. »

Un confinement qui devait durer quatre jours

Un confinement sévère est alors mis en place, avec interdiction de franchir le palier de son domicile, sauf pour se soumettre aux tests quotidiens obligatoires. « Le confinement avait été annoncé à partir du 4 avril, mais dès le 29 mars, tout était verrouillé, se souvient Julia. On nous avait dit qu’il ne durerait que quatre jours. » Il a finalement duré deux mois. De nombreux habitants sont alors complètement pris au dépourvu.

« Ce qui a cristallisé la colère des gens, c’est que le gouvernement les a privés de nourriture et de revenus, analyse Julia. Il était impossible d’acheter de la nourriture. Tous les commerces étaient fermés. Il était aussi interdit de se faire livrer quoi que ce soit. » Il faudra attendre près de deux semaines pour que l’armée livre les premiers colis alimentaires et de l’eau potable.

« On a dû faire avec ce qu’on avait dans nos placards, se rappelle-t-elle. Et dans le colis, il n’y avait que quelques légumes de base : une carotte, deux choux, deux oignons et un poireau. » Petit à petit, des trocs et un marché noir se mettent en place.

Mais seules les personnes disposant d’un revenu ou d’économies suffisantes peuvent en profiter. « Certaines personnes avaient des autorisations spéciales pour se déplacer dans la ville et nous livraient des choses sous le manteau, à des prix exorbitants, indique-t-elle. Pour deux poires, quelques oranges et du raisin, j’ai payé 40 €. »

La colère aux balcons

La colère commence à monter et surtout à se voir. « Les gens sortaient de manière coordonnée sur leurs balcons et tapaient sur des casseroles, raconte Julia. Ils ne pouvaient plus se taire et étaient prêts à prendre des risques. »

Le gouvernement ne donne aucune information sur la durée du confinement. Tous les jours, à des heures différentes, les habitants doivent sortir de chez eux pour être testés en bas de leur immeuble. « C’était parfois à 6h du matin, pendant le dîner, ou au milieu de la journée, souligne Julia. Avec l’angoisse d’être positif et d’être emmené dans un camp d’isolement, sans rien. On n’en dormait pas la nuit. »

Les images de ces centres d’isolement anti-Covid, des hangars construits en préfabriqué alignés à perte de vue, ont fait le tour du monde. « Pas de douches, pas d’intimité. Il fallait trois tests négatifs pour en sortir, ce qui était compliqué car tout le monde autour était positif. Certaines personnes y sont restées pendant un mois », relate Julia, qui n’en a heureusement pas fait l’expérience.

L’épée de Damoclès du QR code rouge

Début juin, les mesures commencent à s’assouplir. Mais le traumatisme est toujours présent. « J’ai senti que les gens n’allaient pas juste retourner à leurs vies et que quelque chose avait changé, se souvient Julia. Le gouvernement avait franchi une ligne rouge en touchant aux moyens de subsistance. »

Six mois plus tard, la vie des Chinois est toujours suspendue à leur QR code. « On doit se faire tester tous les deux jours, sinon on ne peut rien faire, même aller à la boulangerie, développe Valentin. Il y a toujours cette épée de Damoclès permanente de voir son QR code devenir rouge. »

Les cas contact sont décrétés même sans contact direct. « Si je vais dans un shopping mall et qu’une personne y est détectée positive, je dois m’isoler pendant 3 jours, mon QR code devient rouge et je ne peux plus rien faire », explique Valentin.

« Ça risque de mal tourner »

Outre les restrictions quotidiennes, les ressortissants chinois ne peuvent toujours pas sortir du pays. Même d’une région à l’autre, les déplacements sont compliqués et coûteux. « C’est impossible de s’organiser. Tous les jours, il y a de nouvelles règles », commente Julia.

Une grande majorité des étrangers vivant en Chine ont quitté le pays. « Au niveau du business, tout a beaucoup chuté, confirme Valentin. Mon activité a baissé de 30-40%. Les règles ne sont jamais claires et ça freine la motivation ou les investissements. » Les petits commerces ont été obligés de mettre la clef sous la porte. Et l’incendie d’un immeuble à Urumqi (Nord-Ouest), qui a fait 10 morts le 24 novembre, a accentué la colère.

« Urumqui a montré à la population que sa sûreté était en jeu. Les gens se demandent combien de temps tout cela va encore durer. » Quant à savoir jusqu’où iront le gouvernement et la rébellion, c’est difficile à prévoir. Mercredi 30 novembre, de nouveaux heurts entre manifestants et police ont éclaté dans la métropole de Canton (Sud).

« Aujourd’hui, à Shanghai, des rumeurs de confinement tournent, souligne Valentin. Les réseaux sont encore plus censurés, le VPN saute régulièrement. Si ça tombe comme une punition, je pense que les Chinois vont se rebeller et que ça risque de mal tourner. »

*les prénoms des témoins ont été modifiés à leur demande

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