Chiffres sous-évalués, tests inefficaces : des documents chinois confidentiels révèlent les erreurs de Pékin à l'apparition du Covid-19

Ce mardi, CNN a publié une enquête portant sur des documents chinois confidentiels rédigés par les autorités sanitaires locales lors des premiers mois de la crise du Covid-19. Ils révèlent une tendance à la sous-évaluation des bilans, l'inefficacité des premiers tests, la lenteur des diagnostics et les égarements bureaucratiques des institutions du pays.

117 pages, en provenance du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies de la province de Hubei, toutes confidentielles, toutes destinées aux seuls regards des autorités. Et toutes en contradiction avec le récit que la Chine avait donné de sa gestion des premiers mois de l'apparition du Covid-19 sur ses terres, avant son explosion mondiale. Ce mardi, un an jour pour jour après le premier signalement d'un individu porteur des symptômes de cette "mystérieuse pneumonie" qu'on reconnaîtrait bientôt comme un "nouveau coronavirus" avant de la labéliser "Covid-19", CNN a publié une longue enquête fondée sur des dossiers ayant "fuité" depuis la Chine.

Le média américain précise qu'il les doit à un "lanceur d'alerte" anonyme, affirmant travailler dans le domaine de la Santé en Chine. CNN concède ne pas savoir comment ces documents ont été obtenus et pourquoi ce sont ceux-ci en particulier qui lui ont été transmis. Mais les six experts sollicités ont authentifié ces textes et ces données et assuré de leur véracité.

Quatre éléments ressortent de leur analyse: les autorités chinoises ont à plusieurs reprises sous-évalué le bilan des contaminations et des victimes du virus ; les premiers tests étaient inefficaces ; le délai des diagnostics était initialement bien trop long pour permettre une lutte sérieuse contre la propagation ; et, en décembre, le surgissement du Covid-19 dans le Hubei s'est doublé d'une grippe particulièrement virulente dans la région.

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Mauvaise appréciation

Le 7 juin dernier, le Conseil d'État chinois a pourtant publié un livre blanc absolument dithyrambique sur sa propre action au cours des premiers mois de la diffusion de la maladie. "Tout en déployant un effort total pour endiguer le virus, la Chine a aussi agi avec un sens aigu de sa responsabilité vis-à-vis de l'humanité, de ses citoyens, de la postérité, et de la communauté internationale. Elle a fourni des informations sur le Covid-19 d'une manière efficace et professionnelle de bout en bout. Elle a produit des informations détaillées et incontestables dès que possible et à échéances régulières, répondant concrètement aux préoccupations de l'opinion et élaborant un consensus public", pouvait-on notamment y lire.

Après avoir passé en revue les nouveaux documents, le professeur William Schaffner, professeur en infectiologie à l'Université américaine Vanderbilt, a contré l'autosatisfaction des dirigeants chinois auprès de CNN:

"Ils ont semblé minimiser l'impact de l'épidémie à chaque étape. S'ils avaient inclu les patients suspectés d'avoir contracté l'infection, à l'évidence, ça aurait étendu l'ampleur de la crise et aurait permis, je pense, une meilleure appréciation de la nature de l'infection et de ses dimensions".

Sous-évaluations en série

Par exemple, le 10 février, les chiffres officiels recensent 2478 nouveaux cas au cours des dernières 24 heures dans la province de Hubei, épicentre de la catastrophe sanitaire. Les fuites entrées en possession de la chaîne américaine portent ce nombre à 5918. Le 17 février, on compte 93 morts, toujours dans la province de Hubei, mais les rapports confidentiels en relèvent 196. A la date du 7 mars, on estime devant le grand public que 2986 personnes ont perdu la vie dans la région depuis le début de l'épidémie, tandis que dans les cercles bien informés c'est la statistique de 3456 morts qui circule.

Enfin, alors qu'on sait désormais que les racines de la pandémie remontent à l'automne 2019, il est toujours malaisé de savoir précisément combien de personnes ont été infectées l'an passé. Cependant, alors que dans un rapport à l'Organisation mondiale de la Santé le 3 janvier 2020, la Chine note 44 cas, ces documents internes parviennent déjà à la somme de 200 patients.

"Faux négatifs" et vrais retards

La question du matériel est aussi l'un des enjeux majeurs des premiers mois de la crise dans le Hubei. Les éléments révélés par CNN pointent le sous-financement du système de santé et son manque d'équipements adéquats. C'est avant tout le dépistage qui concentre ces critiques précoces. Soignants et scientifiques dénoncent l'inadaptation des kits de dépistage, leur inefficacité, au point que les premiers résultats paraissent douteux. Début février, les tests délivrent en moyenne des taux de positivité allant de 30 à 50%. Le centre de contrôle et prévention des maladies du Hubei souligne même la récurrence de "faux négatifs".

Cette situation a contraint les médecins et les personnels hospitaliers à prendre l'habitude de tester de façon répétée les cas suspects. Surtout, cette technique de dépistage déficiente s'est accompagnée d'une conséquence particulièrement néfaste. Le 7 mars, l'écart séparant en moyenne l'apparition des symptômes chez un individu et l'établissement de son diagnostic était encore de 23,3 jours.

La lenteur du procédé n'a pu que réduire la visibilité autour du phénomène, compromettant les stratégies pour l'endiguer. Le Dr. Amesh Adalja, de l'Université Johns-Hopkins, contacté lui aussi par CNN, a commenté: "Vous regardez des données qui ont trois semaines et vous essayez de prendre une décision pour aujourd'hui".

Une épidémie qui en a caché une autre

Tous les États ont connu leurs errements face à ce virus d'un genre nouveau, et la Chine, de surcroît, a dû essuyé les plâtres. Cependant, l'un des experts ayant consulté ces documents a estimé que certaines de ces erreurs étaient évitables. "Il est clair que les autorités chinoises ont fait des erreurs - et pas seulement des erreurs commises en raison du caractère inédit du virus - mais aussi des fautes politiques et bureacratiques dans la gestion retenue", a ainsi affirmé Yanzhong Huang, chercheur en santé mondiale au Council of Foreign Relations (le "Conseil des relations étrangères"), un think-tank sis à New York.

Un dernier élément, indépendant du fonctionnement des instances chinoises et jusqu'ici tenu secret, apparaît à la lumière de ces fuites. Aux premiers jours de décembre, tandis que le Covid-19 prenait inexorablement son envol, le Hubei était en proie à une épidémie particulièrement grave de grippe. Dans certains endroits, les taux de malades ont multiplié par 20 ceux de l'année précédente. Wuhan était la troisième localité la plus touchée par cette fièvre, après les villes de Yichang et Xianning.

Si les scientifiques ont bien noté que rien ne permettait de dire que les deux maladies entretenaient un lien quelconque, cette extension de la grippe a pu grandement contribuer à déstabiliser un système de soins déjà à bout de ressources.

Article original publié sur BFMTV.com

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