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Chien de garde : "Il est toujours à l'affût du danger et des explosions de violence de son frère"

Dans "Chien de garde", la réalisatrice canadienne Sophie Dupuis suit avec intensité et des émotions à fleur de peau les pas de deux frères, collecteurs de dettes dans un quartier de Montréal. Rencontre.

Chien de Garde
JP et son jeune frère Vincent, un être impulsif et instable, sont comme deux petits princes de la rue. Leur royaume ? Verdun, quartier de Montréal, qu’ils sillonnent en « collectant » pour leur oncle, un petit malfrat plus dangereux qu’il n’y paraît. Dans le même appartement bruyant s’entassent les deux frères, leur mère Joe, alcoolique aux périodes de sobriété fragiles, et Mel, la fiancée de JP, qui, comme lui, aspire à mieux. Mais peut-on jamais échapper à son milieu, à son sang ?

AlloCiné : "Chien de garde" est votre premier long métrage. Et donc, de fait, une histoire qui vous tient énormément à cœur. Pourquoi cette histoire en particulier ? Comment est-elle née ?

Sophie Dupuis (réalisatrice) : Il y a longtemps, j’avais entendu parler d’une mère qui avait appris que son fils, avec qui elle avait une très belle relation, était un collecteur de dette. Afin de conserver cette belle relation avec lui, elle avait su omettre complètement cette grosse partie de la vie de son fils. L’ignorer complètement, pour arriver à continuer de l’aimer. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de beau là-dedans, de fort, où c’est l’amour qui l’emportait. Ça m’a inspiré le personnage de Joe et JP. Puis le reste est venu de ma fascination pour les relations fraternelles. Étant enfant unique, je ne pourrai jamais expérimenter cette forme d’amour que j’admire. Cette impression que ça donne de ne jamais être seul, même dans l’absence. C’est un sujet qui revient souvent dans mes scénarios.

 

Même s'il y a deux personnages féminins majeurs, le film, de par son sujet et sa dynamique, est très masculin. Était-ce compliqué en tant que réalisatrice de monter un tel projet ?

Je ne crois pas qu’il y ait des sujets ou des personnages qui appartiennent aux hommes et d’autres aux femmes. La violence, par exemple, est quelque chose dont les femmes sont aussi capables que les hommes, qu’elle soit physique ou psychologique. Pour moi, il n’est pas plus difficile d’écrire des rôles masculins que féminins. Je crois qu’écrire, c’est se mettre dans la peau des personnages, avoir de l’empathie pour eux et les comprendre. Je crois que le cinéma, c’est des émotions et les émotions n’ont pas de sexe.

Pouvez-vous expliquer votre titre, "Chien de garde" ?

Le personnage de JP joue plusieurs rôles, celui du père de famille, du protecteur, du sauveur, de celui qui montre les crocs quand on veut s’en prendre à un membre de sa famille. Il est toujours à l’affut du danger et des explosions de violence de son frère. C’est lui le Chien de garde.

 

La dynamique familiale est très crédible, comment avez-vous travaillé avec les comédiens pour créer cette proximité et ce passé ?

Nous avons fait cinq semaines de répétitions où nous avons eu le temps d’approfondir et de complexifier chacun des personnages et des relations qui les lient. Mais ce moment était surtout important pour créer des liens entre les acteurs, une réelle amitié, une réelle affection. Avant de se lancer dans le tournage, les acteurs se connaissaient bien. On savait comment chacun fonctionnait et travaillait. On pouvait donc se faire confiance et se respecter dans nos bulles et nos limites. C’est pourquoi nous sommes tous restés très proches après le tournage d’ailleurs. Les relations créées pendant ces répétitions ont dépassé le simple travail. Nous étions une vraie famille.

Théodore Pellerin est très impressionnant : comment, en tant que réalisatrice, cadrer une telle performance qui peut facilement déborder ? Quelles latitudes avait-il pour improviser afin d'illustrer au mieux l'imprévisibilité du personnage ?

Théodore n’avait que 19 ans lorsque nous avons tourné le film et il ne ressemble en rien au personnage de Vincent. C’est un petit génie ! Je ne suis pas gênée de le dire. Il n’a pas du tout été difficile de le "cadrer" parce qu’il a tout de suite su doser et équilibrer son personnage. Et à force de travailler en répétition, Théodore et moi, on s’est compris. Il y a eu un moment où nous avons su que nous allions dans la même direction. Il était très risqué de perdre le contrôle de Vincent, autant pour moi que pour Théodore, qu’il devienne caricature ou simplement désagréable. Mais Théodore a su lui insuffler beaucoup d’amour. On s’attache à son personnage, même s’il est impulsif, explosif et violent. Après plusieurs semaines de répétitions, vient un moment où je crois que les acteurs me dépassent dans leur compréhension et leur maîtrise de leur personnage. À partir de là, je leur fais confiance et je leur laisse essayer des choses, improviser, proposer. Et souvent, c’est leurs propositions qui sont retenues au montage puisqu’ils sont justes, c’est eux qui détiennent la vérité de leur personnage.

 

On ne peut s'empêcher de voir une sorte de connexion entre son personnage et celui incarné par Antoine-Olivier Pilon dans "Mommy" de Xavier Dolan. Y-a t-il un lien conscient ou inconscient ?

J’aime beaucoup ce que fait Xavier. Mais j’ai envie depuis très longtemps d’écrire des personnages plus grands que nature, explosifs et bouillonnants. De plus, le sujet de la famille fait partie de ma cinématographie depuis toujours. Chien de garde a été écrit avant que Mommy sorte sur les écrans. C’est la vie ! Ça arrive. Ce n’est pas la première fois que l’on voit des sujets et des personnages qui se recoupent dans l’histoire du cinéma.

ATTENTION - SPOILER : La question qui suit dévoile des informations sur le dénouement du long métrage.

Le personnage de JP, joué par Jean-Simon Leduc, est le coeur du film, et doit faire face à un choix difficile entre l'éclatement de la cellule familiale qui est un cocon toxique, et son propre avenir. Avez-vous hésité sur la conclusion à donner au long métrage ?

Non. Au contraire. Parce que l’enjeu de quitter sa famille qui nous fait plus de mal que de bien faisait partie de mon écriture dès le début. Je voulais justement confronter mon personnage à cette question douloureuse. Quitter parce qu’il souffre de la lourde responsabilité de toujours s’occuper des autres. Quitter parce qu’il n’arrive plus à garder sa tête hors de l’eau. Quitter même s’il les aime profondément, même s’ils lui font du mal. Est-ce que JP aura le courage de le faire ?