« Ce que je cherche » : on a lu le livre de Jordan Bardella (mais on vous en conseille un autre)
POLITIQUE - Tout ça pour ça. 316 longues pages de contrôle total sur lesquelles Jordan Bardella s’échine exclusivement à écrire sa légende. Dans « Ce que je cherche », qui sort ce samedi 9 novembre chez Fayard, le président du Rassemblement national invente la confession sélective, proposant la narration éculée d’un (jeune) homme dont la carrière politique lui a été imposée par un destin s’accordant miraculeusement avec ses idées.
Sur la réforme des retraites, le Rassemblement national s’est piégé à son propre jeu
Le récit, le voici : c’est bien parce qu’il a grandi à Saint-Denis, dans l’une de ces cités caractéristiques de ces quartiers « sensibles », en proie à la criminalité, au trafic de drogues ou à l’islamisme « conquérant » que Jordan Bardella, descendant d’immigrés italiens aux conditions matérielles modestes, a été « appelé » par la politique. Comme d’autres entreraient dans les ordres. D’ailleurs, cette trajectoire, présentée sous l’angle de la méritocratie — et non sous celui (plus correct) de l’ascension d’apparatchik— ne lui permet-elle pas d’analyser le « réel » comme nul autre aspirant aux plus hautes fonctions ?
Bardella ne se raconte pas, il se vend
Tel est le fil rouge de « Ce que je cherche » : une introspection calibrée visant à raconter une histoire mise au service d’une ambition politique. Ce qui, fatalement, rend souvent la lecture poussive, tant on peine à déceler les rares fois où Jordan Bardella consent effectivement à fendre l’armure, à sortir de cet hypercontrôle qui donne à ce premier ouvrage des airs de publication autopromotionnelle. L’auteur ne se raconte pas. Il se vend, en occultant très souvent les aspects les moins reluisants de son parcours ou de sa famille politique.
Quand il ne tombe des mains, « Ce que je cherche » offre parfois des surprises qui arrachent un sourire. Comme lorsque, le plus sérieusement du monde, Jordan Bardella écrit ceci : « en politique, la sincérité, la responsabilité et la constance ne sont pas des options mais des obligations ». Un principe qui s’accommode mal des (très) nombreux revirements programmatiques entrepris par ses soins lors de la campagne des législatives (retraites, défense, éoliennes, TVA, abattage rituel…), mais qui confine au comique lorsqu’on se souvient que le parti qu’il préside prônait la sortie de l’euro il y a moins de dix ans.
Tout appliqué à promouvoir son bon sens politique et sa trajectoire hors norme, le président du RN empile les contradictions. Ainsi, page 101, il ironise sur les insoumis qui ont « appelé à voter Élisabeth Borne, à l’origine de la réforme des retraites qu’ils ont tant combattue quelques mois plus tôt ». Alors que, à peine quelques pages auparavant, il vantait l’alliance scellée avec Éric Ciotti… Lequel militait pourtant en faveur de cette même réforme des retraites, quand celle-ci était contestée par le RN. Au sujet de l’ancien président LR, Jordan Bardella offre, sans le vouloir, une autre pépite au lecteur, en révélant avoir proposé le ministère des Armées à Éric Ciotti en cas de victoire aux législatives. Une perspective que le député des Alpes-Maritimes a accueillie « avec enthousiasme », même si tout le monde sait dans le microcosme qu’il avait fait en sorte d’échapper au service militaire.
Mémoire sélective
En résumé, Jordan Bardella ne fait rien d’autre que d’offrir un récit calqué sur ses ambitions, le tout en faisant la démonstration d’une mémoire particulièrement sélective. Ainsi, quand il accuse ses adversaires (dont la presse) d’avoir monté en épingle la « polémique malheureuse » sur l’interdiction de la double nationalité, il oublie de mentionner la sortie du député RN Roger Chudeau qui jugeait que Najat Vallaud-Belkacem n’aurait jamais dû, car franco marocaine, exercer comme ministre de l’Éducation nationale, la jugeant coupable d’une « double loyauté ».
À d’autres moments, on n’est pas loin de se demander si Jordan Bardella ne se moque pas du lecteur quand il affirme qu’il ignorait « tout » de l’histoire du Front national, « de ses fondateurs et même de Jean-Marie Le Pen » quand il y a adhéré. Lui, qui se vante plus loin d’avoir obtenu son bac économique et social avec la mention « Très bien » (ce qui implique un minimum de culture générale) et qui assure s’être esquinté les yeux sur les archives politiques de l’INA durant son adolescence. Ainsi, le livre, présenté comme des « confessions », se limite au storytelling tiède, épousant les objectifs de normalisation d’un Jordan Bardella qui, à plusieurs reprises, fait des clins d'œil appuyés à Nicolas Sarkozy, dont il loue la capacité à « réunir les classes populaires et la bourgeoisie conservatrice ».
Pour autant, hormis quelques anecdotes invérifiables et qui n’ont, par ailleurs, pas grand intérêt, et des piques assassines adressées à Emmanuel Macron, le livre satisfait moyennement ceux qui voudraient en connaître davantage sur le président du RN. Ceux-ci devraient davantage se tourner vers « La Machine à gagner », l’enquête du journaliste Tristan Berteloot publiée chez Seuil au mois de septembre. Dans cet ouvrage, on apprend que « la vie de Jordan Bardella a pourtant été bien moins pénible qu’il ne le prétend », ayant par exemple bénéficié d’un « appartement de haut standing que son père lui prête dans la petite ville cossue de Deuil-la-Barre » et circulait « dans la Smart que papa lui a offerte, pour lui éviter les déplacements en RER ». Un épisode qui est balayé en quelques mots (et très partiellement) dans « Ce que je cherche », dans lequel l’ambitieux s’éternise surtout sur les faibles moyens de sa mère. Jordan Bardela consacre par ailleurs une petite partie de son ouvrage à dézinguer l’auteur de cette enquête, le qualifiant de « plumitif subventionné à l’abri des risques ».
Tiré à 150 000 exemplaires, l’ouvrage qui s’ouvre modestement sur une citation de Napoléon est un pur exercice de communication, censé démontrer que l’accession du RN au pouvoir est inexorable. En témoigne cet extrait, un brin mielleux, dans lequel, au gré d’une croisière au large du fort de Brégançon, il sonde Marine Le Pen pour savoir si elle s’imagine un jour dans cette résidence des présidents de la République. « Le regard au loin, sa réponse, simple, déterminée, belle : “J’en suis convaincue”. Le courage de Marine m’oblige. Son stoïcisme incandescent aussi ». S’il est obligé…
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