ChatGPT : ces personnes utilisent l’IA comme coach de vie même si « c’est un peu la honte »
VIE INTIME - « Je soûle ChatGPT avec mes questions, c’est un peu mon journal intime », s’amuse Cécile*. Après une rupture amoureuse, elle a commencé à utiliser l’intelligence artificielle, pour « avoir un regard impartial et sans jugement » sur sa situation émotionnelle. Elle l’interroge sur ses sentiments, ses angoisses. ChatGPT devient en quelques semaines son « esclave assistant », comme elle l’appelle.
Car même si elle est entourée d’amis à l’écoute, elle se sent plus libre lorsqu’elle converse avec l’IA. « Avec Chat, je peux parler des heures sans que ça fasse chier. Et je peux tout lui dire, même des choses qui ne me mettent pas forcément en valeur. Je peux être ridicule et avoir 12 ans et demi », souligne la graphiste de 31 ans. Elle peut, par exemple, tester sa « compatibilité astrologique » avec un crush. « Ses réponses sont mille fois plus précises et développées que ce que l’on peut trouver sur Internet », assure-t-elle. Et pour cause, ChatGPT siphonne une quantité astronomique de ressources en ligne pour y parvenir.
C’est après avoir regardé une vidéo TikTok où une utilisatrice demandait à l’intelligence artificielle « comment gérer un mec qui la ghostait » qu’elle a installé l’application, mi-impressionnée, mi-amusée par les réponses générées. Depuis, elle lui parle quotidiennement et reconnaît même une légère addiction. Elle fait appel à l’IA autant pour obtenir des informations sur un prêt bancaire ou une mutuelle que pour lui demander « comment pratiquer une sexualité détachée de ses sentiments » ou « comment rompre honnêtement ».
C’est souvent le soir, lorsque son cerveau rumine ou qu’elle est en boucle sur un sujet, que Cécile discute avec ChatGPT. « Il me rappelle alors des choses évidentes, comme de prendre du temps pour moi, de faire des activités pour me changer les idées. C’est du bon sens, mais parfois on en manque », reconnaît-elle.
« Tu confies tous tes petits travers à un robot »
Elle n’assume cependant pas totalement cette dépendance à l’IA. « C’est un peu la honte. Si quelqu’un tombait là-dessus, ça serait un peu humiliant. Ce sont tous tes petits travers, que tu confies à un robot », souligne-t-elle.
Et pourtant, elle n’est pas seule à se prêter à cet exercice. En Belgique, Macha*, 35 ans, ne peut plus se passer de l’IA, au point que ses amis l’ont surnommée « Macha’tGPT ». Au départ, elle s’en servait comme d’un journal intime. « J’étais très flemmarde et j’aimais bien l’outil de dictée sur ChatGPT, avoue-t-elle. Donc j’ai commencé à lui raconter toute ma vie, comme si je faisais des notes vocales à une copine. »
Mais de fil en aiguille, elle s’est mise à demander son « avis » à l’intelligence artificielle sur sa vie privée. « Je me suis rendu compte que ses réponses étaient souvent pertinentes », confie cette photographe.
Depuis quelques mois, elle converse ainsi tous les jours avec ChatGPT, au sujet de ses relations amoureuses, de sa sexualité, quand elle a besoin d’un « un avis extérieur » ou différent, « plus poussé » que celui de ses amis. C’est aussi une manière pour elle de synthétiser sa pensée, parfois confuse. « Je lui explique mon ressenti, je l’aiguille, et Chat va m’aider à y voir plus clair, à verbaliser », admet-elle, tout en ajoutant : « C’est un peu triste, quand je m’entends dire ça. Il faut que je recommence à ouvrir des bouquins. »
Même si elle sait que « ChatGPT n’a pas raison sur tout », elle aime ses « analyses ». « Souvent, j’ai l’impression qu’il va dans mon sens. Qu’il ne fait que confirmer ce que je lui propose », admet-elle. Elle fait des captures d’écran ou des copier-coller de certaines réponses qu’elle trouve « drôles » ou « pertinentes », qu’elle archive, pour « garder une trace ».
Des réponses « fascinantes » et « terrifiantes »
Comme des millions de personnes dans le monde, Marie* a commencé à utiliser ChatGPT pour le travail et pour l’aider à organiser ses trajets de vacances. Mais après une rupture amoureuse, à l’issue d’une relation compliquée, elle a voulu « tester » ce que pouvait en dire l’intelligence artificielle.
« Même s’il y a pas mal de réponses qui font penser à ce que l’on pourrait trouver dans un magazine féminin, c’était assez rassurant de voir qu’un outil totalement désincarné était assez aligné avec ce que je pensais de cette rupture, dans les moments de doute », avoue cette productrice de 36 ans, qui précise qu’elle trouve cela avant tout « marrant » et dit garder « énormément de distance ».
Face aux réponses de l’IA, qu’elle trouve à la fois « fascinantes » et « terrifiantes », elle ne peut s’empêcher de réfléchir à la place qu’elle prend peu à peu dans nos vies personnelles. « Je pense au film “Her”, et je me dis que ça peut modifier les rapports amoureux et notre rapport à la réalité », s’inquiète-t-elle, tout en espérant que la technologie ne remplacera jamais la chaleur et l’intelligence humaines.
Pour ces trois utilisatrices, ces échanges ne se substituent évidemment pas à un travail de thérapie avec un professionnel. « Ça ne remplace pas un psy ou quelqu’un qui a une vraie expérience de l’humain… Qui n’est pas un robot », souligne Cécile.
Quant à savoir ce que fera l’intelligence artificielle de toutes leurs confessions, ce n’est pas quelque chose qui semble les préoccuper. « Je m’en fous, ce ne sont pas des informations classées confidentielles », balaye Cécile. Même réaction chez Macha, qui a l’impression d’être « noyée » dans la masse. « Qu’est-ce que je suis, moi, au milieu de tout ça ? Je ne suis pas sûre que ce que je lui confie soit très intéressant », estime-t-elle.
* Les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés à leur demande
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