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Attentats de janvier 2015: le repenti, le vétéran et le possible commanditaire entendus au procès

Au tribunal correctionnel de Paris, Farid Benyettou en mars 2008, Djamel Beghal en janvier 2005 et Peter Cherif, en janvier 2011.    - BENOIT PEYRUCQ et  LAURENCE DE VELLOU  / AFP
Au tribunal correctionnel de Paris, Farid Benyettou en mars 2008, Djamel Beghal en janvier 2005 et Peter Cherif, en janvier 2011. - BENOIT PEYRUCQ et LAURENCE DE VELLOU / AFP

Le repenti, le vétéran et le possible commanditaire. Au programme du procès des attentats de janvier 2015 ce jeudi est prévue l’audition de trois figures du jihad hexagonal: Farid Benyettou, Djamel Beghal et Peter Cherif. Le premier est libre, le deuxième se trouve en Algérie et ne devrait pas se présenter à l'audience, tandis que le troisième est actuellement en détention.

À la seule évocation de leurs noms défilent deux décennies d’activisme islamiste armé, au travers d’un engagement reconnu pour des groupes terroristes tels qu’Al-Qaïda. Mais si la cour d’assises spéciale a demandé à les entendre, c’est avant tout pour leurs liens étroits avec les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, ainsi que leurs rôles, de premier plan, dans la radicalisation des trois terroristes.

· Farid Benyettou, l’ancien prédicateur des Buttes-Chaumont

Plus de dix ans avant les attentats, aux alentours de 2004, Farid Benyettou, la vingtaine, troque sa tenue d'agent d’entretien pour celle d’instructeur religieux dans une mosquée du 19e arrondissement de Paris. Ses élèves sont des jeunes motivés par le jihad armé, parmi lesquels se trouvent Peter Cherif et les frères Kouachi.

“Il passait pour un érudit par rapport aux autres. Il n’a pas acquis son rôle de mentor par l’âge, mais par sa maîtrise et sa connaissance de l’Islam”, souligne auprès de BFMTV.com Jean-Charles Brisard, président du Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT).

Ses enseignements ne sont pas à proprement parlé des cours, mais plutôt des temps d’échange durant lesquels il les “arme idéologiquement” et les pousse à un entraînement sportif assidu au parc des Buttes-Chaumont. En 2008, Farid Benyettou est reconnu coupable d’avoir participé aux départs de nombreux volontaires en Irak au procès de la “filière irakienne” du 19e arrondissement et écope de six ans de prison.

Depuis sa sortie de détention, l’ancien guide spirituel assure avoir rompu avec l’islam radical. Après les attentats, il se présente volontiers dans les médias comme un repenti, aux côtés de Dounia Bouzar, travaillant sur le processus de “déradicalisation”. Pourtant, des liens, notamment téléphoniques, persistent avec les frères Kouachi jusqu’en 2014, d’après les services de renseignement. Des communications qu’il ne nie pas mais affirme, en se présentant spontanément à la DGSI le 8 janvier 2018 n’avoir aucun rapport avec les attentats. “C’est une figure ambivalente”, confirme le président du CAT.

• Djamel Beghal, l’idéologue apprécié de Ben Laden

Farid Benyettou n’est pas le seul mentor à avoir influencé les terroristes des attentats de janvier. En 2006, Cherif Kouachi et Amedy Coulibaly sont tous les deux incarcérés à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le premier pour sa tentative de départ en Irak, l’autre pour trafic de stupéfiants. Ils y rencontrent l’Algérien Djamel Beghal, condamné pour avoir projeté un attentat contre l’ambassade des États-Unis, après un séjour en zone pakistano-afghane. Celui qui se fait appeler “Abou Hamza” est connu des autorités pour avoir “rencontré le responsable de la logistique (ndlr: d’Al Qaïda)” et avoir eu la tâche d’organiser “des entraînements et l’accueil des volontaires jihadistes en Afghanistan pour le compte d'Oussama Ben Laden”, souligne les enquêteurs.

Derrière les barreaux, “il est une figure structurante et jouit d’une certaine aura pour avoir combattu sur zone et gagné les faveurs de hauts gradés de l’organisation”, explique Jean-Charles Brisard, ajoutant qu’il dispense “un avis religieux mais aussi des conseils opérationnels”.

Après sa détention, Djamel Beghal est assigné à résidence à Murat, dans le Cantal, où Amedy Coulibaly lui rend visite après 2010 “en moyenne toutes les trois semaines pendant 8 mois”, assure à l’époque Hayat Boumeddiene. Que se disent les deux jihadistes lors de ces rencontres en campagne auvergnate? Nul ne le sait. En 2013 ils se retrouvent aux côtés de Cherif Kouachi devant les tribunaux pour l’évasion manquée de Smaïn Aït Ali Belkacem, terroriste de l’attentat du RER B en 1995.

Placé en garde à vue après les attentats, l’Algérien affirme n’avoir, lui non plus, aucun lien avec les attaques. “Son rôle a été déterminant, il en sait beaucoup sur les intentions de Cherif Kouachi et Amedi Coulibaly”, nuance le président du CAT. En juillet 2018, Djamel Beghal est expulsé en Algérie, où il doit depuis être rejugé pour son "appartenance à un groupe terroriste". Son avocat Me Farouk Ksentini a fait savoir à l'Agence France Presse que son client ne serait donc pas présent au tribunal ce jour.

• Peter Chérif, l’intermédiaire entre AQPA et les Kouachi

Peter Cherif est un ami de longue date des frères Kouachi, avec lesquels il grandit aux Buttes-Chaumont. Dès 2004, il fait parti des premiers contingents de jihadistes français à partir combattre les troupes américaines en Irak. Arrêté par les autorités locales et rapatrié en France, il réussit à prendre la fuite pour le Yémen où il rejoint Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).

Son ami Chérif lui rend visite en 2011, à la période où de hauts dignitaires de l’organisation terroriste le chargent de recruter des combattants pour des opérations extérieures, d’après des informations de L’Express. Nous sommes moins de quatre ans avant les attentats et Peter Cherif gravite alors avec les hautes sphères d’AQPA, les mêmes qui ont placé le dessinateur Charb sur la liste noire des 10 personnes à éliminer. A-t-il été pour autant le commanditaire des attentats? Les enquêteurs n’ont en tout cas pas obtenu de preuves suffisantes pour le poursuivre dans la procédure actuelle. Mais il a depuis été mis en examen dans un volet disjoint du principal.

Après des années de cavale, Peter Cherif est arrêté en 2018 à Djibouti puis rapatrié en France. Lors de ses interrogatoires, il reconnaît avoir été en lien avec les dirigeants d’AQPA mais “circonscrit son rôle, niant toute complicité dans les attaques”, explique Jean-Charles Brisard. Un changement de positionnement lors de son audition devant la cour d'assise spéciale paraît peu probable.

Article original publié sur BFMTV.com