Champs-Elysées Film Festival 2018 - Pierre Deladonchamps : "Mon premier choc de cinéma, c’est Fargo"

AlloCiné : En tant que membre du jury du Champs-Elysées Film Festival, qu’est-ce que vous attendez, qu’avez-vous envie de voir ?

Pierre Deladonchamps : J’ai envie de voir des choses différentes, qui me font voyager. J’ai envie d’être surpris. Surtout, ce que j’aime dans un film, c’est quand il y a une vraie proposition de cinéma, une signature, quelque chose qui sort de l’ordinaire, que ce n’est pas trop linéaire ni trop attendu. 

Vous êtes plutôt cinéma français ou cinéma américain ? 

Plutôt français, car il y a énormément de films à voir et que je me concentre plus sur les films de mon pays, les gens qui font des films dans mon pays, pour m’intéresser à des gens avec qui je pourrais être amené à collaborer par la suite. Je regarde aussi quelques grands auteurs internationaux et puis je découvre quelques surprises parfois, par plaisir. 

Quel est votre premier souvenir de spectateur ?

Mon premier gros souvenir de cinéma, c’est Fargo des frères Coen, avec ma mère, à Nancy, et ça nous avait scotchés. C’était le premier film des frères Coen que je voyais et depuis je n’en ai raté aucun. Ma mémoire me fait souvent défaut, mais c’est le premier film qui me vient. J’étais assez jeune, je devais avoir 18 ans. 


"Fargo" des frères Coen (1996)

Où allez-vous au cinéma ? 

Je vais au Cameo, à Nancy, la ville où j’habite. Parfois à l’UGC, qui propose une programmation différente. J’ai vécu à Paris dix ans et j’allais beaucoup au MK2 Bibliothèque, j’adore cette salle. 

Est-ce que vous avez une place de prédilection ?

Je déteste être trop devant. Si j’ai l’impression que mon champ de vision n’est pas assez large, ça m’énerve, et les images qui vont vite, on ne comprend rien. Pour les sous-titres, même chose, s’il faut relever la tête, c’est trop tard, donc je dirais vraiment centre et milieu. 

Vous ne préférez pas le premier rang, pour être complètement dans le film ?

C’est vrai qu’hier, j’étais assez près pour le film de John Cameron Mitchell [How To Talk To Girls At Parties], c’était un rang de jury donc je n’avais pas choisi, mais je dois dire que pour certaines images, j’avais l’impression d’avoir un casque à 360° et c’est vrai que c’était agréable. 

Quel est le film qui vous a fait le plus rire ?

Il y en a tellement... Il y en a un que j'aime vraiment beaucoup, c'est La Cité de la peur. C'est à la fois très drôle et intelligent, c'est bien joué, ce sont des artistes que j'aime beaucoup, dont j'aime beaucoup le parcours. C'est celui qui me vient en premier lieu, mais évidemment, la troupe du Splendid, Le Père Noël est une ordure, en pièce comme en film, Les Bronzés, Les Bronzés font du ski, pas le 3... (Rires) J'ai aussi adoré Burn After Reading, des frères Coen justement, qui m'a fait beaucoup rire, même s'il est très cinglant. Brad Pitt, dedans, est incroyable. Dans le Tarantino aussi, Inglourious Basterds, quand il joue le capitaine avec son chewing gum et quand il essaie de faire l'accent italien, il est génial. 


"La Cité de la peur" d'Alain Berbérian (1994)

Quel est le film qui vous a fait le plus pleurer ? 

Il y en a deux, pour des raisons différentes qui touchent à des choses personnelles. Il y a eu La Mauvaise éducation d'Almodóvar et Mia Madre de Nanni Moretti. Mia Madre, parce que je venais de perdre ma grand-mère et que j'ai vraiment eu l'impression de vivre le deuil en direct en regardant ce film, ça m'a énormément affecté, mais positivement. Le cinéma a eu un affet psychanalytique sur moi. 

Celui qui vous a fait le plus peur ? 

Le Silence des agneaux, parce que je l'ai vu jeune et qu'il m'a hanté pendant des années. Je trouve qu'on peut rester beaucoup plus longtemps marqué par quelque chose de manipulatoire, que par un bras coupé ou une tête de mort. Les thrillers psychologiques, c'est machiavélique. La façon dont c'est écrit, la manière dont on découvre la personnalité de ce serial killer cannibale, c'est quelque chose qui reste. 

Quel est votre cinéaste de chevet ? 

Almodóvar. Je n'aime pas tout de lui, mais je suis content de ne pas tout aimer, je ne suis pas groupie, mais je suis admiratif de son travail. J'aime ne pas aimer certains films et il y en a d'autres que j'adorerai toute ma vie et que je pourrais me repasser des dizaines de fois. J'aimerais beaucoup qu'il revienne au côté pop, enlevé, acidulé, de ses premiers films, où il y avait une désinvolture post-franquisme. Je sais qu'il a cette fantaisie et j'aimerais beaucoup revoir ça dans un de ses films, même si bien sûr ses grands classiques sont magnifiques : Parle avec elle, Tout sur ma mère, La Mauvaise éducation, Talons aiguilles. Ce que j'aime beaucoup dans le cinéma d'Almodóvar, c'est la place qu'il donne aux femmes. Elles ne sont jamais des femmes qui servent les plats, et ça, c'est trop rare. 


"La Mauvaise éducation" de Pedro Almodóvar (2004)

Quel est l'acteur, ou l'actrice, qui vous inspire ?

Il y en a plusieurs. Il y en a tellement, mais aujourd'hui, j'ai envie de vous dire Niels Arestrup. Je voue aussi un culte énorme pour Isabelle Huppert. C'est toujours une proposition de jeu intelligente, surprenante et racée. Côté international, j'aime beaucoup Michael Fassbender, qui a un côté très nordique, senti, tenu, et Joaquin Phoenix. Je vais parfois voir des films juste pour eux et je me dis que s'ils ont été faire ce film, c'est que je dois le voir. J'aime aller voir des films où je sens que l'acteur a fait ce choix pour être fier du film à la fin. C'est comme ça que moi, je choisis mes films, en tout cas. 

Qu'est-ce que ça vous fait de vous voir à l'écran ? 

Plein de choses... Ca fait du mal, parfois, enfin ça peut donner des complexes, de la gêne... Je mets un point d'honneur à toujours voir les films dans lesquels je joue, pour me juger, voir si ce que j'ai ressenti et voulu faire passe comme je le voudrais, pour progesser... Parfois aussi pour être content, parce que ça m'arrive d'être heureux d'une scène, de la trouver belle. 

Avez-vous eu un choc cinématographique en tant qu'acteur ?

Le film de Christophe Honoré a a été un choc dans ma carrière, je pense pouvoir dire que c’est le film dont je suis le plus fier. D’ailleurs, ça n’a pas pour vocation à blesser les autres réalisateur, c’est simplement que le travail que j’ai pu faire dans ce film est différent de ce que j’ai fait avant et ça m’encourage à me libérer, à être plus confiant. J’admirais tellement le travail d’Honoré avant qu’être dans un de ses films et entendre parfois que c’est l’un de ses meilleurs, ça me touche énormément. Je me dis que j’ai beaucoup de chance et j’aime beaucoup ce film. J’adore aussi Métamorphoses, qui a été boudé par plein de gens, mais je peux comprendre qu’on reste à côté. Parfois, on n'accepte pas de voyager et on reste à quai. 


Pierre Deladonchamps avec Vincent Lacoste dans "Plaire, aimer et courir vite" de Christophe Honoré (2018)

Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné ?

On m'a dit que pour durer, ce qui compte, ce n'est pas les films qu'on fait, mais ceux qu'on refuse. Ca revient au même, mais j'ai appris parfois, à faire beaucoup de films à la suite parce qu'ils me plaisent tous, et à d'autres moments, ne pas en faire du tout parce qu'aucun ne me plait. J'essaie de ne pas avoir la frénésie de quelqu'un qui a peur que ça s'arrête. J'ai le luxe qu'on me propose des films et c'est un luxe qui me plait beaucoup !

Il y a des réalisateurs avec lesquels vous aimeriez vraiment travailler ? 

Oui ! Mais je ne le dirai jamais ! Si j'ai envie d'envoyer un appel du pied, je préfère envoyer une lettre ou passer un coup de fil, discret, plutôt que le faire dans une interview. Je trouve ça plus élégant. 

On va beaucoup vous voir cette année !

Oui, j'ai trois films qui sortent à la rentrée : Photo de famille, avec Vanessa Paradis, Camille Cottin, Chantal Lauby et Jean-Pierre Bacri, qui sort le 5 septembre, Le Vent tourne avec Mélanie Thierry, qui sort le 26 septembre, et Les Chatouilles, qui sort le 14 novembre. J'espère que les gens ne vont pas se dire qu'ils me voient trop ! C'est le hasard des calendriers. Le film d'Honoré, tout le monde le sait, il devait se faire avec Louis Garrel donc il n'était pas prévu dans mon année 2017 et il s'est rajouté parce que je ne pouvais évidemment pas lui dire "non", j'avais beaucoup trop envie de lui dire "oui". Et c'est une grande fierté, vraiment, pour Christophe, Vincent, Denis et moi, et tous les autres acteurs. On était ravis que l'apogée ait lieu dans le plus grand festival du monde. C'est grisant ! Ceux qui disent le contraire sont des menteurs.

Et passer derrière la caméra, ça vous tente ? 

J'ai réalisé un des courts métrages des Talents Cannes Adami cette année, on était cinq acteurs et actrices. J'ai tellement aimé ça que je suis en train de développer mon premier long métrage, dont je ne peux pas trop parler car ce n'est pas un scénario original, c'est une adaptation d'une pièce que je veux porter au cinéma. J'ai beaucoup d'enthousiasme à l'idée que ça puisse voir le jour ! 

La bande-annonce de Plaire, aimer et courir vite, actuellement au cinéma :