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Champigny-sur-Marne, Herblay... le ras-le-bol des policiers s'intensifie

Une voiture dégradée face au commissariat de Champigny-sur-Marne, au lendemain des attaques qui l'ont visé samedi 10 octobre 2020 - Stéphane de Sakutin - AFP
Une voiture dégradée face au commissariat de Champigny-sur-Marne, au lendemain des attaques qui l'ont visé samedi 10 octobre 2020 - Stéphane de Sakutin - AFP

"On est passé à côté d'un drame, mes collègues me l'ont dit, ils ont failli crever", s'agace ce policier après la violente attaque contre le commissariat de Champigny-sur-Marne samedi soir. Le ministre de l'Intérieur a prévenu que "les petits caïds n'impressionnent personne" tandis qu'une quarantaine d'individus munis de barres de fer s'en sont pris au bâtiment devant lequel se trouvaient deux policiers en pause cigarette. Onze mortiers d'artifice ont également été retrouvés sur place. Les six policiers présents ce soir-là ont pu s'enfermer.

Déjà en juin, les policiers avaient exprimé leur mal-être en déposant symboliquement leurs menottes à terre. Après un été meurtrier côté forces de l'ordre avec la mort notamment d'un policier au Mans et d'une gendarme près d'Agen tués par des chauffards, puis plus récemment l'agression de deux policiers en intervention à Herblay, cette nouvelle attaque contre l'institution semble celle de trop. Des rassemblements ont eu lieu devant les commissariats à l'appel du syndicat Unité SGP Police FO, avec un mot d'ordre: " Ça suffit."

"Je pense qu’on paie des axes qui ont été pris il y a pas mal d’années en terme d’effectifs, de moyens, de budget", estime sur BFMTV Grégory Joron, secrétaire général adjoint du syndicat. "Le nerf de la guerre, c’est ça. On est détesté, ce n’est pas nouveau. La partie de la population qui avait déjà une certaine défiance envers la police, s’est radicalisée et aujourd'hui nous trouve dangereux. C’est une réalité."

"Casser du flic"

Depuis le début de l'année, les commissariats de Jouy-le-Moutier, d'Argenteuil, des Mureaux ou encore de Boissy-Saint-Léger ont été la cible de violences. A Champigny-sur-Marne, cette défiance est connue depuis des années. Il y a 20 ans de mémoire de policiers, le commissariat, installé au coeur du quartier sensible du Bois-l'Abbé, était attaqué tous les jours. "C'est un climat habituel, quand vous avez un service de police implanté dans un quartier populaire, il cristallise les crispations", raconte Patrice, délégué Unité SGP Police FO qui a travaillé à Champigny pendant deux ans et 15 ans en Seine-Saint-Denis. "Se faire attaquer parce qu'on porte l'uniforme, ça m'est arrivé."

"La relation entre la police et les jeunes de quartier s’est détériorée progressivement depuis plus de 40 ans maintenant", constate Frédéric Ploquin, journaliste et auteur de La peur a changé de camp. "De génération en génération, ça se durcit terriblement. On a une génération qui est perdue, je crois qu’il faut s’occuper de la suivante. Sinon, on va avoir à chaque génération une classe d’âge plus violente, plus dure, plus prête à tout, et plus en rupture avec la police. Avec une haine de la police qui devient de plus en plus forte."

Le ministre de l'Intérieur considère que la violence contre la police sert à "casser du flic", dénonçant des "actes d'une grande sauvagerie". "On a conscience du risque inhérent du métier, une interpellation peut mal se passer, il peut y avoir une blessure, il peut y avoir aussi des morts en service, ça existe mais là on n’est plus sur un risque inhérent au métier mais sur une volonté de tuer du fonctionnaire de police parce qu’il est fonctionnaire de police", abonde Perrine Sallé, porte-parole de l'association Femmes de forces de l'ordre en colère.

"Délinquants chevronnés, alcoolisés et drogués"

Cette violence du quotidien s'accentue pour les effectifs de nuit. "Ce n'est pas uniquement dans les quartiers: les contrôles routiers, ça peut partir au clash à n'importe quel moment, vous n'enregistrez pas une plainte assez vite, vous vous faites insulter, tout est prétexte pour s'en prendre aux policiers, la nuit plus particulièrement", résume William Maury, le secrétaire général de l'organisation Option nuit. "La violence est en train d'exploser. Je n'ai jamais mis autant de personnes en garde à vue que ces 24 derniers mois."

"Cette violence, elle peut venir de toute personne qui va commettre un délit", poursuit-il. "Pour justifier leur acte, on s'en prend à la police. La violence est démultipliée la nuit. Travailler la nuit, c'est faire face à des délinquants de plus en plus chevronnés, alcoolisés, drogués."

Chez les policiers se posent désormais la question de raccrocher les menottes. "C’est un sujet qui lui passe par l’esprit mais il se voit rien faire d’autre parce que c’est sa vocation d’être au service d’autrui", confie Perrine Sallé au sujet de son compagnon policier. "Être au service des autres lui donne envie de se lever le matin mais la situation est de plus en plus compliquée." Parmi les effectifs de nuit, en manque de reconnaissance, il y a toutefois de plus en plus de ruptures conventionnelles de contrats.

Réponse pénale

Les syndicats policiers vont être reçus mardi soir par le ministre de l'Intérieur avant de rencontrer jeudi le chef de l'État. "On espère que le président de la République pourra nous rassurer et avoir des réponses concrètes", appelle de ses voeux Grégory Joron. "C'est au chef du gouvernement et au président de donner le la pour remettre l’autorité des policiers dans le bon sens, faire en sorte qu’on soit respecté et faire en sorte que les auteurs d’agression envers les policiers, envers les pompiers, envers tous ceux qui assurent une mission de service public soient sévèrement punis."

"On n'avancera pas tant qu'on n'aura pas une police qui travaille avec la justice et une justice qui travaille avec la police", résume William Maury.

Pour endiguer cette violence contre les forces de l'ordre, outre les moyens et les effectifs, les policiers appellent à une réponse pénale forte. Ils réclament notamment une circulaire similaire à celle prise par le ministre de la Justice le 7 septembre dernier demandant aux procureurs de renforcer le suivi judiciaire des auteurs d'infractions commises contre les élus. Ils appellent, par exemple, à la création d'une véritable cellule police-justice à l'intérieur des commissariats pour obtenir une réponse immédiate, notamment pour combattre la délinquance juvénile.

Article original publié sur BFMTV.com