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"C'est le talent qu'on a assassiné ce jour-là": le récit poignant de la dessinatrice Coco, rescapée de Charlie Hebdo

La dessinatrice Corinne Rey, au procès des attentats de janvier 2015 à Paris, le 8 septembre 2020. - Thomas SAMSON / AFP
La dessinatrice Corinne Rey, au procès des attentats de janvier 2015 à Paris, le 8 septembre 2020. - Thomas SAMSON / AFP

Cette journée du 7 janvier avait commencé comme toutes les autres. Déposer sa fille à la garderie, prendre le métro pour rejoindre les locaux de Charlie Hebdo et assister à la conférence de rédaction. La réunion terminée vers 11 heures, Corinne Rey est descendue "discrètement" fumer une cigarette. "Coco!" Soudain, les terroristes ont "surgi" de nulle part et l'ont interpellée dans la cage d'escalier.

Ce mardi après-midi au procès des attentats de janvier 2015, la dessinatrice de l'hebdomadaire satirique a livré, courageusement, le récit dense et glaçant de la tuerie dans laquelle dix de ses collègues ont perdu la vie, et lors de laquelle elle a été épargnée. "C'est le talent qu'on a assassiné ce jour-là", a-t-elle lancé à la cour.

"Un silence de mort"

Ce jour de janvier 2015, celle qui travaille pour le journal depuis 2007 se retrouve alors face à deux individus "armés jusqu'aux dents avec des cagoules" qui l'attrapent par le bras et la traînent de force dans l'escalier. "On est Al-Qaïda au Yemen", clament-ils fièrement. "Charb dessinait tellement bien les armes que je savais que les leurs étaient des kalachnikovs", se souvient-elle. "C'était l'effroi en moi. J'étais en incapacité de réfléchir. J'ai avancé comme un automate." Sous la menace de Cherif et Saïd Kouachi, Coco est contrainte de taper le code qui ouvre la porte de la rédaction. "Je sentais que les terroristes approchaient de leur but, je sentais leur excitation à côté de moi."

"On veut Charb, on veut Charb", crient les assaillants dans les locaux de Charlie Hebdo, avant de tirer froidement sur Simon Fieschi, le webmaster. "J'ai couru sous le bureau de Riss pour me cacher." "Allahu Akbar, on a vengé le prophète", s'agitent les terroristes. S'ensuit une série de tirs interminable... Et puis soudain, "un silence de mort".

"J'ai vu un homme à terre et beaucoup de sang. Je me suis penchée vers lui, c'était Mustapha [Ourrad nldr]. (...) J'ai vu les jambes de Cabu, je les ai reconnues parce qu’il y avait des miettes de pain sur son manteau. J'ai vu le côté du visage de Charb, d'une pâleur extrême", se souvient la dessinatrice à la barre.

Dessiner, un "réflexe de survie"

Après l'attentat, Corinne Rey a souhaité, coûte que coûte, continuer de dessiner:

"Je n'ai pas hésité une seconde à dessiner, à refaire le journal. Je ne pensais qu'à ça. J'en avais besoin, c'était un réflexe de survie." Refusant de s'épancher sur sa vie privée, elle reconnaît que les mois suivant l'attaque furent douloureux: "J’avais l’impression de ramener un monstre à la maison."

Rendant hommage à ses collègues et amis, elle a salué ce mardi des "modèles", des gens "à la fois sérieux et déconnants, qui avaient un vrai regard sur le monde":

"C'est le talent qu'on a tué ce jour-là, c'était des modèles pour moi, des gens d'une extrême gentillesse. C'est pas facile d'être drôles, mais ils y arrivaient très bien."

Des "complices" dans la société

Cinq ans et demi après les attentats, Coco, 38 ans, reste intrangigeante: "le délit de blasphème en France n’existe pas." Devant la cour d'assises spéciale, "c’est la loi des hommes qui règne, a-t-elle souligné, pas la loi de Dieu comme les terroristes ont voulu le faire entendre."

La voix tremblante et le visage masqué, Corinne Rey a achevé sa prise de parole en s'en prenant directement aux "complices" de la société:

"Ce n'est pas moi la coupable. Les seuls coupables sont les terroristes islamistes et ceux qui les ont aidés. Et plus globalement, dans la société, ceux qui ferment les yeux sur l'islamisme et qui baissent leur froc devant une idéologie."

Article original publié sur BFMTV.com