C’est quoi le flufénacet, ce perturbateur endocrinien présent dans l’eau potable des Français ?

Une molécule issue de ce pesticide, utilisé principalement pour le traitement des cultures de céréales, contamine massivement les ressources d'eau en France.

Photo d'illustration
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Le 27 septembre, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a pris une décision qui pourrait faire des noeuds au cerveau des autorités : elle a décidé de reconnaître comme un perturbateur endocrinien le flufénacet. Lorsqu'il se dégrade dans la nature, le flufénacet libère une molécule : l’acide trifluoroacétique (TFA), un "polluant éternel" non réglementé et donc non surveillé par les autorités sanitaires, qui contamine les ressources d'eau en France et en Europe, dévoile Le Monde.

Conséquence de cette reconnaissance du flufénacet comme perturbateur endocrinien, une majorité de Français pourrait prochainement se retrouver avec une eau potable "non conforme" aux critères de qualité. Car lorsqu'une substance active est un perturbateur endocrinien, ses métabolites, les molécules qu'elle relâche dans la nature, sont soumis à un seuil à ne pas dépasser : 0,1 microgramme par litre.

Selon l'Anses, depuis 2017, la dégradation du flufénacet mène à des concentrations en acide trifluoroacétique (TFA) jusqu’à 10 µg/L, soit jusqu’à 100 fois supérieures à cette limite. Une situation qui pourrait rapidement virer au casse-tête puisque les collectivités peuvent distribuer de l'eau non conforme que six ans au maximum, rappelle le quotidien du soir.

À l'origine de cette pollution des eaux, le flufénacet, un des herbicides les plus vendus en France avec plus de 900 tonnes par an, et dont les ventes ont plus que doublé entre 2019 et 2022. Il est utilisé principalement pour le traitement des cultures de céréales.

Le TFA retrouvé dans l'eau est principalement issu de la dégradation des pesticides comme le flufénacet, qui appartiennent tous à la famille des PFAS, et des gaz fluorés utilisés dans les systèmes de refroidissement. Les rejets industriels des fabricants de TFA et les stations d’épuration constituent également d’autres sources de contamination.

Des relevés réalisés montrent une concentration en TFA qui va largement au-delà des seuil autorisés dans trois échantillons d'eau testés sur quatre dans l'Hexagone par le réseau Pesticide Action Network (PAN) Europe, et dans 86% des analyses réalisées en UE.

À Paris, l'eau du robinet testée a un taux 20 fois supérieur au seuil de qualité, toujours selon ces analyses. L'eau en bouteille ne serait pas épargnée avec 12 des 19 échantillons avec des traces de TFA, à des teneurs moyennes toutefois inférieures à celle de l’eau du robinet.

Une interdiction prochaine ?

Au niveau européen, l'autorisation du flufénacet a expiré depuis le 31 décembre 2013 mais elle a fait l’objet de neuf procédures de prolongation dont la dernière expire en juin 2025 dans l’attente que son évaluation soit finalisée.

Contacté par Le Monde, le ministère de la Transition écologique mise sur une non-réapprobation du flufénacet par l’UE en juin 2025, un processus qui pourrait aboutir à une interdiction au mieux à l’été 2025.

Quels risques pour la santé ?

Aux Pays-Bas, l’Institut national de la santé publique et de l’environnement redoute de possibles répercussions sur le système immunitaire, mais fait également part d'effets documentés sur le foie. L'institut considère que le TFA est potentiellement aussi toxique que les autres PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées).

Face à ces craintes la Commission européenne a mandaté l’Organisation mondiale de la santé pour analyser l’impact potentiel des TFA sur la santé, et le cas échéant, de proposer des nouvelles valeurs seuils" explique au Monde Stefan De Keersmaecker, porte-parole chargé des questions de santé au sein de la Commission européenne.

Plus globalement, l’exposition aux PFAS, dont le flufénacet fait partie, est associée à certains cancers, à des troubles endocriniens et du système reproducteur, ou encore à une baisse de la réponse immunitaire aux vaccins. Mais aucune épidémiologique n'ayant été dédiée à la toxicité du TFA, la situation reste floue.

En Europe, seuls les Pays-Bas ont fixé une valeur sanitaire indicative pour le TFA dans l’eau potable, à 2,2 µg/l. Une valeur qui ne serait dépassée que dans 3% des cas en Europe.

En Allemagne, l’Office fédéral de la protection des consommateurs et de la sécurité sanitaire a écrit à deux fabricants (Corteva et Adama) bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché pour des pesticides à base de flufénacet, pour les avertir de son intention de les retirer.

Les autorités allemandes ont également proposé à l’Agence européenne des produits chimiques de classer le TFA comme toxique pour la reproduction.

Les systèmes de traitement qui équipent actuellement les stations d'épuration ne parviennent pas à éliminer le TFA de l'eau traitée. Seule la technique dite de "l’osmose inverse" serait efficace. Mais cette technologie est très consommatrice en eau, très énergivore et coûte très cher : en Île-de-France, le syndicat des eaux prévoit d’investir plus d'un milliard d’euros pour équiper ses trois usines d’ici à 2030.

À l'échelle européenne, la Commission a lancé une étude de faisabilité sur le traitement du TFA dans l’eau potable.