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"C'est une honte pour la France": la colère des Marocains privés de visa pour l'Hexagone

"C'est une honte pour la France": la colère des Marocains privés de visa pour l'Hexagone

Samia* est "dégoûtée". Cette retraitée marocaine de 67 ans n'a pas vu son fils cadet - qui poursuit ses études supérieures en Savoie - depuis trois ans faute d'avoir pu obtenir un visa pour la France et lui rendre visite. "Ce n'est pas demain que je referai une demande", confie-t-elle à BFMTV.com. "Il va me falloir du temps pour guérir de cette offense."

Cette ancienne professeure de langue et de littérature française, qui réside à Marrakech, avait pourtant l'habitude de venir faire du tourisme en France. Son fils aîné y a également fait ses études avant de s'installer en région parisienne pour devenir ingénieur en robotique.

Mais ses deux dernières demandes de visas ont été refusées. Avec pour motif "les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions de votre séjour ne sont pas fiables" pour le premier refus. "Il existe des doutes raisonnables quant à votre volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa" pour le second.

"Je n'en croyais pas mes yeux", s'en étonne encore Samia, qui dénonce une décision arbitraire. "J'ai pourtant fourni mes relevés de compte courant, de mon compte épargne, un certificat d'accueil fait dans les règles par mon fils aîné."

"Mon billet d'avion aller-retour était acheté, une location avait été réservée pour passer des vacances ensemble, les frais de visa avaient été payés", poursuit-elle. "Tout ça pour rien. Je suis en colère."

Un artiste privé de concert, des médecins de congrès

Depuis septembre 2021, la France a décidé de diviser par deux le nombre de visas accordés aux citoyens marocains et algériens, et de réduire de 30% ceux octroyés aux Tunisiens - cette restriction a récemment été levée pour la Tunisie. Une décision que le Maroc a jugé "injustifiée". À l'origine de ces mesures: la France reproche à ces trois pays leur manque de coopération pour rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière dans l'Hexagone.

Cet été, le sujet a fait polémique lorsque le rappeur marocain El Grande Toto a dû annuler son concert à Sète faute de visa, avant que l'ambassade de France ne fasse finalement marche arrière, rappelle l'hebdomadaire marocain Tel Quel. Quelques mois plus tôt, c'était une délégation d'ophtalmologues marocains qui se voyaient privés de visas, les empêchant ainsi de participer à un congrès médical et de présenter leurs travaux, rapporte Le Monde.

Des refus de visas qui suscitent l'indignation au sein de la société marocaine. L'écrivain Mokhtar Chaoui s'en est d'ailleurs irrité dans une publication sur sa page Facebook, appelant la population marocaine à "snobe(r) cette France qui vous humilie".

Une mesure "absurde"

Des restrictions de visas "absurdes", déplore pour BFMTV.com le sénateur LR Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères et président du groupe d'amitié France-Maroc. "Cette mesure s'applique sans aucun discernement, ça n'a pas de sens." Il a d'ailleurs récemment alerté le gouvernement français sur le sujet.

Car selon lui, cette situation pourrait mettre en péril les relations de la France avec le royaume. "Le Maroc, pays ami avec lequel nous entretenons des liens très forts, tant sur le plan militaire, économique, intellectuel que culturel, prend très au sérieux cette affaire", met-il en garde.

"C'est très humiliant pour les Marocains. La question des visas va devenir un véritable obstacle à toute discussion et sur n'importe quel sujet avec le pays."

Ces refus de visas sont vécus comme une punition collective par les Marocains concernés. Badr*, un ingénieur informatique de 30 ans, n'a ainsi pas pu assister au mariage de sa sœur, franco-marocaine, cet été.

"J'ai présenté une garantie de ressources de 13.000 euros cumulés, donné mes fiches de paie, celles de ma sœur, son avis d'imposition, son passeport, une attestation de mon employeur certifiant que j'étais bien en congé", raconte-t-il à BFMTV.com. "Ça n'a pas suffi."

Sa demande de visa a été refusée, comme celles des autres membres de sa famille qui souhaitaient participer à la fête.

"Tout ça pour partir quatre jours. Au mariage de ma sœur, il n'y avait personne de sa famille. C'était vraiment triste pour elle et pour nous."

"Une mère a vendu sa maison pour rien"

Artistes, médecins, avocats, entrepreneurs, étudiants ou retraités refusés de visas... Youssef El Idrissi El Hassani, le président de l'Association franco-marocaine des droits humains (AFMDH), accuse la France de mener une politique "injuste" vis-à-vis de la population marocaine.

"J'ai eu au téléphone des personnes en pleurs qui ne savent plus quoi faire", s'indigne-t-il pour BFMTV.com. "Une mère m'a dit qu'elle avait vendu sa maison pour financer les études de son fils en France, mais il n'a pas pu partir. Certains ont pris des crédits et se sont endettés pour rien."

"La France veut faire payer le gouvernement marocain, mais que vient faire le peuple dans tout ça?", interroge-t-il.

Il évoque des situations ubuesques, comme cette Marocaine titulaire d'un titre de séjour mais qui a perdu le précieux document. Elle avait pourtant signé un contrat d'intégration républicaine et était convoquée à une formation début octobre. Privée de visa de retour, elle reste bloquée au Maroc quand son mari, résident en France, se trouve de l'autre côté de la Méditerranée.

"C'est une honte pour la France"

Bel Miloudi El Kebir est tout aussi indigné. Cet ancien inspecteur divisionnaire en chef des impôts, membre du bureau central de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) et représentant pour la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), n'avait jamais rencontré aucune difficulté pour obtenir un visa pour la France lors de ses précédents voyages. Mais il a cette année essuyé deux refus, qu'il vit très mal.

"C'est une atteinte à la dignité", s'insurge-t-il pour BFMTV.com. "Je ne suis pas un terroriste et je ne cherche pas à immigrer clandestinement! Je suis victime de la politique française."

Ce retraité de 64 ans qui vit à Khémisset, dans la région de Rabat, avait prévu de se rendre en France en début d'année pour retrouver des amis et rencontrer des représentants de la société civile. Il devait également passer par la France pour rejoindre la Belgique et rendre visite à sa fille sur le point d'accoucher. "J'ai été privé du droit de voir ma petite-fille. C'est une honte pour la France."

En septembre 2021, invité de BFMTV-RMC, Gérald Darmanin assumait cette politique. "Une partie des compatriotes algériens, marocains, tunisiens qui sont sur le sol français ne sont plus acceptés par ces pays", indiquait le ministre de l'Intérieur. "Vous ne reprenez pas vos compatriotes, on n'accepte pas vos compatriotes." Un an plus tard, sollicité par BFMTV.com, le ministère de l'Intérieur n'a pas donné suite.

* Les prénoms des témoins ont été changés à leur demande.

Article original publié sur BFMTV.com