"C'est le drame de la folie": le récit du calvaire de Lisa, 3 ans, victime de violences familiales
Quand les pompiers pénètrent dans cette maison sans prétention de Conches-en-Ouche, dans l'Eure, samedi soir, ils sont troublés. D'abord, parce que toutes les pièces sont dans un désordre sans nom. Ensuite, parce que le logement est sale, très sale. Mais ils n'ont pas le temps d'y penser. S'ils se sont déplacés, c'est parce qu'un enfant est en arrêt-cardio respiratoire. Il y a urgence.
Quelques minutes avant, la mère, Sandra, et le beau-père, Jonathan, ont appelé les secours. Leur fillette, Lisa, qui allait avoir quatre ans au mois d'octobre, ne respire plus, disent-ils à l'opérateur. À leur arrivée, les pompiers découvrent une petite fille inerte. Mais ce qui les frappe, ce sont les bleus qui recouvrent le corps de l'enfant, de la tête aux pieds. Elle en a partout, sur le visage, sur les bras, les jambes, le thorax et le pubis. Malgré ses efforts, le Samu ne réussit pas à la réanimer.
"Là, j'ai compris que c’était très, très grave"
Quelques minutes plus tôt, ce sont les gyrophares bleus des camions de pompiers qui sortent Sandrine* de sa torpeur. Comme d'autres voisins du lotissement, elle se presse pour voir ce qui se passe. Au milieu des véhicules de secours et de l'agitation, elle aperçoit les parents et le grand-frère de Lisa, Hugo, un petit garçon de six ans. Pour elle, ça ne fait pas de doute, il se passe quelque chose de dramatique.
"Ils m’ont dit que la petite était en train de faire une crise cardiaque et qu’ils essayaient de la réanimer."
Sandrine va chercher quelques bouteilles d'eau chez elle pour les pompiers. Mais en ressortant, elle voit arriver "le camion criminel". "Là, j'ai compris que c’était très, très grave", a-t-elle expliqué à RMC. Pourtant, à quelques mètres d'elle, la mère de l'enfant ne bronche pas. Pas une seule larme, observe la voisine. L'enfant est transportée au CHU Charles-Nicolle de Rouen. Son décès sera prononcé dimanche, au petit matin.
À l'hôpital, les médecins ont les yeux rivés sur les dizaines de bleus qui jonchent le corps de la fillette. La mère et le beau-père expliquent que la petite fille a piqué une crise, qu'elle s'est mise fort en colère. En s'énervant, la petite serait tombée et se serait blessée. Mais la version étonne. Selon les médecins, les hématomes ne datent pas d'hier. Ils sont "d’âges différents", expliquera Rémi Coutin, le procureur de la République d’Évreux, lors d'une conférence de presse, quelques jours plus tard. Très vite, leurs soupçons se portent sur la mère de l'enfant et son compagnon, qui n'est pas le père de Lisa.
"Lisa avait déjà perdu connaissance"
Pour les enquêteurs, la thèse d'une chute ne tient pas. Ils soupçonnent les parents d'avoir violenté la petite fille. La mère et le beau-père, âgés respectivement de 27 et de 29 ans, et tous deux au chômage, sont interpellés et placés en garde à vue. Mis face aux constats des médecins, les parents changent de discours. Le couple reconnaît des violences répétées sur leur fillette le soir de sa mort, mais aussi dans les mois précédents le drame. Des récits "difficilement soutenables", selon Rémi Courtin. Comme le craignaient les enquêteurs, dans la famille, les coups sont monnaie courante dès que la petite fille n'est pas sage.
C'est deux ou trois mois après leur mise en ménage, entre la fin de l'année 2022 et le début de l'année 2023, que le couple a commencé à frapper la petite fille, raconte la mère. Mais il y a trois ou quatre mois, quand son compagnon a perdu son père, les coups sont devenus plus violents, plus réguliers. Si Sandra reconnaît avoir déjà donné par le passé "des gifles" à sa fille, son concubin, lui, livre un récit glaçant. Lisa, il la bouscule pour la faire tomber et il l'étrangle, parfois même jusqu'à convulsion, détaille le procureur.
"À plusieurs reprises au cours des dernières semaines ou des derniers mois, Lisa avait déjà perdu connaissance du fait de ces violences".
Comme sa sœur, le petit garçon n'échappe non plus à la violence de sa mère et de son beau-père. Mais si les coups pleuvent régulièrement, ils sont moins intenses quand il s'agit de Hugo. “Il était très, très perturbé ce petit”, raconte Sandrine, qui la pris sous son aile pendant quelques heures, après le départ de Lisa avec les secours.
"Je lui ai donné du coca et des bonbons. Ensuite, je l’ai emmené chez moi pour le réconforter. Il est resté jusqu'à 4h du matin, puis la gendarmerie et les services sociaux sont venus le chercher."
"Comment ça se fait que personne ne s’en soit aperçu?"
Dans la petite commune de 5000 habitants, l'émotion est immense. Alors forcément, on en parle beaucoup. Et rapidement, les langues se délient. Dans la résidence, les voisins murmurent que les coups pleuvaient régulièrement dans le huis clos familial. À commencer par Sandrine qui se souvient d'une scène en particulier.
"Il y a quelques mois, j’ai entendu les enfants hurler, et des bruits qui tapaient. J’ai vu le beau-père des enfants en train de défoncer la voiture. Puis il a poussé violemment sa femme."
Laurence*, elle, a déjà entendu le couple crier: "On entendait les portes claquer. Lui, il était alcoolisé, il se droguait, elle n’était pas très tendre non plus”, a-t-elle expliqué à RMC. Mais l'émotion laisse place rapidement à la colère et à la culpabilité. La culpabilité de n'avoir rien vu, pour d'autres voisins.
"Je me suis mise à pleurer, comment ça se fait que personne ne s’en soit aperçu?"
Mais aucun des habitants ne soupçonne réellement la détresse dans laquelle sont plongés les deux enfants. Sauf peut-être l'une des amies du couple. Proche de la famille, elle sent que quelque chose cloche. Alors quelques jours avant le drame, elle prend son téléphone et compose le 119, le numéro de "Allô Enfance en Danger". Mais les opérateurs sont tous occupés, elle doit rappeler plus tard, lui dit le standard. Elle ne réitéra jamais son appel.
"C'est le drame de la folie"
Dans la tête de la directrice de l'école de Lisa aussi, l'idée germe depuis quelques temps. Deux semaines après la rentrée, elle avait vu Lisa arriver avec un bleu. Elle prend donc la décision d'en parler aux parents de Lisa, leur demande des explications et envisage de saisir les services sociaux. La semaine suivante, Lisa ne vient pas à l'école. Et elle n'y reviendra jamais.
Si Jérôme Pasco est particulièrement touché par le drame, c'est qu'il est maire de la petite commune de Conches-en-Ouche.
"On est désarmés, on est sidérés, complètement abasourdis par ce qui s'est passé".
Mais l'homme refuse de pointer du doigt la directrice de l'école, suspendue provisoirement par le rectorat. Pour lui, la responsabilité est "collective". "Quand vous avez un enfant qui arrive avec un bleu, que la mère dit ‘vous la connaissez, c’est Lisa, elle est speed, elle s’est cognée’, quand la fille est absente et qu’on appelle les parents et qu’ils nous disent oui elle est malade, elle à la grippe ou le Covid, vous avez un contexte de mensonge, de manipulation", déplore-t-il.
"C’est le drame de la folie, c’est le drame de l’isolement de personnes recluses, isolées, qui n’ont pas d'interaction sociale avec qui que ce soit".
Il en est persuadé, la mère et le beau-père de Lisa ont tout fait pour "cacher à tout prix l'indicible et les horreurs" que la petite fille a subi.
La mère de Lisa et son compagnon, tous deux déjà condamnés dans des affaires de stupéfiants, ont été mis en examen pour meurtre sur mineur et placés en détention provisoire.
* Les prénoms ont été modifiés.