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De "cancres" à "adultes accomplis": quand la réussite fait suite à l'échec scolaire

Une salle de classe à Clermont-Ferrand (photo d'illustration) - Thierry Zoccolan
Une salle de classe à Clermont-Ferrand (photo d'illustration) - Thierry Zoccolan

Leur parcours scolaire a été chaotique et pourtant ils ont réussi à trouver leur voie. Comme le journaliste Jean-Michel Aphatie, le chef Thierry Marx ou l’écrivain Daniel Pennac, ils ont connu l'échec scolaire. Mais s’en sont sortis. Alors que se tient ce mercredi la journée nationale de lutte contre l’échec scolaire, deux jeunes hommes et une jeune femme racontent à BFMTV.com comment leur destin a basculé.

Bêtises et pitre en classe

Lucas Tupin a 22 ans et des rêves plein la tête. Ce jeune homme vient de décrocher son bac hôtellerie (sciences et technologie de l'hôtellerie et de la restauration) après avoir effectué un stage dans un restaurant deux étoiles. Pourtant, il revient de loin. Au collège, il assure qu'il ne faisait "pas grand chose" mais "beaucoup le pitre en classe", témoigne-t-il pour BFMTV.com.

"Les profs me répétaient que j'avais des capacités, mais ça me passait au-dessus de la tête, je n'utilisais pas beaucoup mon cerveau."

Il y a quelques années, il finit par décrocher "totalement" avec l'école. À l'époque, il vit en région Paca et a quitté le domicile maternel "où ça ne se passait pas bien" pour aller vivre chez sa grand-mère.

"Je n'étais pas livré à moi-même mais pas loin."

Le jeune homme sait qu'il veut travailler dans la restauration - "j'ai grandi dans le restaurant où travaillait mon père, je savais que je voulais faire ça". Après une première tentative de CAP cuisine, il se lance dans un CAP service. Mais le jeune homme a 17 ans et la tête ailleurs.

"Je m'ennuyais derrière un bureau. Pour moi, j'avais bien mieux à faire en dehors du lycée. Je préférais m'amuser. C'était n'importe quoi, je n'allais plus du tout en cours. J'ai fait pas mal de bêtises, je ne partais pas sur le bon chemin."

Il sait qu'il doit quitter le Sud pour "avancer". Son père et son frère résident en région parisienne, il décide de les rejoindre. Mais le contexte est loin d'être idéal.

"Mon père vivait une situation compliquée, on s'est retrouvé à trois dans un foyer. Je ne suis pas arrivé à Paris dans les meilleures conditions. Mais je me suis dit que si je voulais m'en sortir, je ne pouvais que compter sur moi."

80.000 jeunes sans emploi, sans stage ou formation

Il se tourne alors vers la fondation des Apprentis d'Auteuil, où son frère est déjà scolarisé. Le "feeling" passe tout de suite. Il reprend sa scolarité, voyage en Irlande et au Japon et se réconcilie avec l'école. Cette année, il devait même partir au Canada poursuivre ses études mais le Covid-19 a chamboulé ses plans. Un départ en principe repoussé à l'année prochaine. En attendant de s'envoler pour le Québec, il peaufine sa formation de barman.

"C'est un bagage en plus, je ne voulais pas perdre une année."

Aujourd'hui, Lucas Tupin se dit "libre". Il a son propre appartement et vit avec sa compagne. Tous deux font des projets, dont celui d'ouvrir un gîte. Les choses sont même déjà précises dans leur esprit.

"Ce ne serait pas un gîte classique mais aussi une ferme pédagogique pour accueillir les enfants et leur faire découvrir les animaux. Mais on sait que ce n'est pas pour tout de suite."

En plus de ceux accueillis dans le cadre de la protection de l'enfance, les Apprentis d'Auteuil scolarisent chaque année 7000 jeunes du primaire au lycée. Certains d'entre eux sont "pas mal cabossés", indique à BFMTV.com Thomas Etourneau, coordinateur du pôle prévention du décrochage scolaire au sein de la fondation. La recette des Apprentis: valoriser les talents des jeunes, quels qu'ils soient, artistiques ou sportifs, pour leur redonner confiance en eux.

"Souvent, ils ne veulent pas montrer leurs talents ou ne les voient plus, poursuit-il. On travaille beaucoup sur des pédagogies de projet, cela peut passer par l'équithérapie ou la cuisine. On a parfois des publics très éloignés de la question scolaire, cela permet de les remobiliser et de faire sens pour eux. On essaie de trouver d'autres chemins et surtout de leur proposer un parcours individualisé qui répond à leurs besoins spécifiques."

Bien qu’en baisse ces dernières années, le taux d’abandon scolaire reste de 8,2%. L’année dernière, quelque 80.000 jeunes étaient sans emploi, sans stage ou formation. Comme l’analyse le Centre national d’étude des systèmes scolaires, différents facteurs entrent en jeu dans le décrochage scolaire: le milieu socio-économique défavorisé, la structure familiale, des difficultés scolaires précoces, des expériences scolaires négatives, des troubles psychologiques ou encore un contexte territorial difficile.

"Ça n'a pas été facile tous les jours"

Pour d'autres, c'est la maîtrise de la langue française qui fait défaut. Adoren Rozario a 27 ans et réside à Toulouse. Si elle vient d'obtenir un master en études anglophones, sa scolarité a pourtant connu des moments difficiles. Car elle est arrivée en France en 2009 sans parler un seul mot de français. Mais après une année en classe d'accueil et beaucoup de travail, la jeune femme originaire du Bangladesh a pu reprendre sa scolarité au lycée et même décrocher un bac scientifique, du premier coup.

"Ça n'a pas été facile tous les jours", reconnaît-elle pour BFMTV.com.

La lycéenne a même connu des moments de découragement mais elle est fière aujourd'hui de ne jamais avoir redoublé, elle qui avait deux ans de retard lorsqu'elle est entrée au lycée.

"Mes parents ne pouvaient pas m'aider à l'école, ils ne parlaient pas le français, mais ils m'ont toujours encouragée. J'ai des copines qui viennent de mon pays, elles n'ont pas continué jusqu'au bac, certaines ont même arrêté avant le brevet."

En plus du soutien de ses parents, la jeune femme a été accompagnée par l'Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev), qui intervient dans les quartiers populaires.

"Pendant quatre ans, jusqu'en fin de terminale, un étudiant m'a aidée deux heures par semaine. On lisait, on parlait, c'est comme ça que j'ai appris le français, que je me suis améliorée. Sans lui, je ne serais pas arrivée là."

Et estime lui devoir beaucoup.

Durant ses études, Adoren Rozario est ainsi à son tour devenue bénévole pour l'Afev. Eunice Lunetta Mangado, directrice des programmes de l'association, assure que sa structure accompagne chaque année 8000 élèves du CP à l'université.

"Ce n'est pas une recette miracle mais nos évaluations montrent que le mentorat apporte des résultats positifs, détaille-t-elle pour BFMTV.com. Sa force, c'est l'individualisation."

Pour certains, les résultats scolaires augmentent. Pour d'autres, c'est le comportement qui s'améliore.

"Evidemment, les profils des jeunes que nous accompagnons sont très différents, poursuit Eunice Lunetta Mangado. Mais cela représente parfois pour eux un petit déclic. Alors que la famille a l'impression que l'enfant ne va pas s'en sortir, l'étudiant aide à dédramatiser et à changer le regard. Cela participe à créer une dynamique positive."

Un premier 17/20

Certains ont pris une revanche sur la vie. C'est le cas de Fabien Joulin, 27 ans, originaire d'Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, aujourd'hui consultant en management et entrepreneur. Le jeune homme vient de lancer Mawuena, un site de ventes en ligne de mode ethnique. Diplômé d'une grande école de commerce et major de sa promotion, il a pourtant été longtemps fâché avec l'école. Son parcours est d'ailleurs évoqué dans le livre Visages, plaidoyer pour l'égalité des chances, publié par l'association Article 1, dont les portraits sont affichés sur les grilles de l'Hôtel de ville de Paris jusqu'au 30 septembre.

"Dès l'entrée au collège, je n'ai pas compris ce qu'on faisait, se souvient-il pour BFMTV.com. Je n'étais pas motivé. Je n'avais pas de repère, pas de projection. J'ai fait beaucoup de bêtises et j'ai été renvoyé de plusieurs établissements. J'étais ce qu'on appelle un élève perturbateur."

A l'origine de ce désamour: un contexte familial difficile en fin de primaire et de premières difficultés scolaires. Si l'adolescent réussit à passer dans la classe supérieure jusqu'en 3e malgré son peu d'investissement, au lycée, il "lâche prise".

"Je me suis retrouvé en seconde en échec scolaire, poursuit Fabien Joulin. En fin d'année, on ne voulait plus de moi."

Sa mère parvient à l'inscrire en catastrophe dans une classe ouverte d'urgence - une seconde mécanique - dans un lycée professionnalisant. Peu d'élèves mais de grosses difficultés et des problèmes de comportement.

"Il y avait beaucoup de violence, des chaises qui volent, des cris, des insultes. Pour moi, c'était une filière que je n'avais pas choisie. Je n'acceptais pas cette condition et je ne voulais pas qu'on m'assigne une place qui n'était pas la mienne. Alors je me suis dit qu'il allait falloir que je travaille. Je me suis donc mis à travailler dans une ambiance difficile. Mais j'ai quand même eu mon premier 17/20."

L'étiquette de cancre

Le jeune homme veut faire du commerce. Sur les conseils d'un enseignant qui soutient sa démarche, le lycéen s'oriente vers une première STI génie électronique dans un très bon établissement avec la perspective de poursuivre ses études.

"C'était le jour et la nuit. Il y avait le silence en classe, les élèves travaillaient, je n'avais jamais connu ça."

Le jeune homme a du retard à rattraper mais il est motivé.

"Je posais beaucoup de questions aux enseignants mais je me sentais jugé, déconsidéré. Ils avaient une attitude différente avec moi."

S'il remonte la pente pour parvenir à devenir un élève "moyen", il continue de souffrir de l'étiquette de cancre.

"En terminale, le professeur principal nous a demandé nos souhaits d'orientation. Quand j'ai dit que je voulais avoir un bac+5, elle a ri et s'est moqué de moi devant toute la classe. Ça m'a fait beaucoup de mal au début, mais finalement, j'en ai fait une force. Je me suis dit: 'Si tu ne crois pas en moi, moi, je vais croire en moi'. Ma grande phrase, à cette époque, c'était: 'Sur la vie de ma mère, je vais y arriver'. Et j'y suis arrivé."

Le bachelier intègre un IUT réputé. Il apprend à travailler et s'y épanouit: s'il n'est pas le meilleur élève, on le surnomme rapidement "le promoteur" du fait de son investissement dans la vie de l'établissement. Et rêve d'une grande école de commerce.

"Pour HEC, c'était trop tard. En plus, ils regardent les notes depuis la seconde, c'était cuit."

Il passe un train de concours, se dégote un costume avec l'aide d'un ami pour les oraux - "je n'avais pas d'argent pour en acheter un" - et finit par être accepté dans plusieurs établissements de renom. Il choisit l'Institut Mines-Télécom, notamment parce que la scolarité est gratuite.

L'étudiant, qui souhaite avoir "le meilleur CV possible", enchaîne les stages dont un chez Allianz. Ce dernier se passe si bien que le groupe lui propose de créer un service de développement informatique alors qu'il est encore en alternance. Une fois son diplôme en poche, il devient même consultant pour l'entreprise. Aujourd'hui, Fabien Joulin s'est même offert le luxe de quitter un poste qui lui permettait de très bien gagner sa vie pour se lancer dans l'entrepreneuriat. Et assure avoir d'autres projets en tête.

Article original publié sur BFMTV.com