Campagne précoce, image policée... Comment s'explique la progression de Le Pen par rapport à 2017

La candidate du Rassemblement national s'est inclinée dimanche face à Emmanuel Macron, avec 41,4% des voix, contre 58,6% pour le Président sortant. Une défaite, certes, mais avec 7,5 points de plus que lors du second tour de 2017.

À quelques heures de son dernier meeting à Arras (Pas-de-Calais) jeudi, Marine Le Pen ne se dépâtissait guère de son sourire. "Les Français vont se mobiliser pour mettre fin à un premier mandat qui a été dévastateur", lance-t-elle depuis la Somme. "J'ai toutes mes chances de gagner", clame alors la candidate, en ce lendemain de débat de l'entre-deux-tours.

"Si le peuple vote, le peuple gagne", haranguait la candidate d'extrême droite en campagne à destination des abstentionnistes. Les électeurs ont tranché, et maintenu Emmanuel Macron à la tête de l'État, avec 58,6% des voix, contre 41,4% pour Marine Le Pen, selon les estimations d'Elabe pour BFMTV et L'Express avec notre partenaire SFR.

"Un grand vent de liberté aurait pu se lever sur le pays. Le sort des urnes, que je respecte, en a voulu autrement", a commenté la candidate ce dimanche soir, actant sa défaite quelques minutes après 20 heures.

Bien que tenue en échec aux portes de l'Élysée, Marine Le Pen a grignoté un terrain considérable depuis 2012 et sa première candidature à la présidentielle. Cette année-là, alors que le sortant Sarkozy est défait par le socialiste Hollande, elle récolte 17,9% des voix et arrive troisième. Candidate aux législatives dans le Pas-de-Calais, comme en 2002 et 2007 (après une première tentative en 1993 à Paris), elle échoue à nouveau.

En 2017, elle franchit un palier et se qualifie au second tour face à Emmanuel Macron, avec 21,30% des suffrages. Elle se fait élire dans la foulée députée du Pas-de-Calais. Cinq plus tard, nouvelle qualification au second tour. Si elle reste cantonnée au rôle de finaliste, son score progresse encore: elle récolte 23,15% au premier tour, en hausse de deux points, et le second tour est beaucoup plus serré que cinq ans plus tôt. Elle avait largement perdu avec 33,9% en 2017, elle récolte là 7,5 points de plus.

"Elle est en campagne depuis 2017, voire 2012"

"Elle est sortie du parti, c'est sa campagne, elle est très libre, les gens l'ont vue telle qu'elle est", expliquait avant le premier tour Philippe Olivier, conseiller politique et beau-frère de la candidate, mettant en avant la "campagne de proximité" pour expliquer la dynamique observée.

La campagne, Marine Le Pen la bat de longue date. "Elle est en campagne depuis 2017, voire 2012", tançait ces derniers jours le député La République en Marche (LaREM) de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau.

Le 7 mai 2017, soir de défaite pour Marine Le Pen. Elle reconnaît son échec tout en préemptant dès les premières minutes la place de "première opposante" à Emmanuel Macron, la disputant à Jean-Luc Mélenchon au fil du quinquennat. En janvier 2020, deux ans avant l'échéance, elle profite de sa cérémonie des vœux à la presse pour annoncer sa troisième candidature à la magistrature suprême.

Ces derniers mois, la candidate a multiplié les déplacements dans les petites communes, la plupart du temps minutieusement choisies en fonction de la carte électorale et des zones favorables au RN. Une stratégie millimétrée et revendiquée de proximité, au cours de laquelle elle a accordé selfies avec les badauds, se prêtant aux bains de foule et déambulations sur les marchés.

"Le personnage est devenu beaucoup plus femme d'État, proche des gens", croit savoir Thibaut de La Tocnaye, conseiller régional RN du Centre-Val de Loire, qui juge que sa candidate est parvenue à "maturité".

"Elle-même a beaucoup évolué. Elle n'a pas fondamentalement changé, mais les gens la connaissent mieux" depuis cinq ans, considère l'eurodéputé Jean-Paul Garraud, transfuge de l'UMP passé au RN en 2018.

Le pouvoir d'achat mis en avant

De fait, si Marine Le Pen n'a pas délaissé les thématiques chères à sa formation politique, telle que la "préférence nationale" ou l'immigration avec la proposition d'un référendum sur le sujet, la candidate a axé sa campagne autour du pouvoir d'achat. Un thème qui a résonné avec l'actualité, dans un épineux contexte d'inflation et de forte hausse des prix de l'énergie.

"Elle a marqué des points dans la campagne parce qu'elle a eu l'intuition très tôt que la campagne allait tourner autour des questions économiques et du pouvoir d'achat, c'est ce qui lui a permis de dépasser Éric Zemmour de loin", observe Jean-Yves Camus, au lendemain du débat d'entre-deux-tours. "Tous ces sujets du quotidien qui étaient les préoccupations premières du mouvement des gilets jaunes", ajoute le chercheur.

Mouvement qui avait généré une crise majeure pour le pouvoir en place, percutant la première partie du quinquennat d'Emmanuel Macron, perçu par une frange de l'opinion comme le "président des riches". Mercredi, la publication d'une nouvelle enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) pour Le Monde et la Fondation Jean-Jaurès est venue confirmer les données de précédents sondages: à quatre jours du scrutin, le pouvoir d'achat était toujours la principale préoccupation des plus de 12.000 personnes interrogées.

Une candidate recentrée par Éric Zemmour

Dépouillée des sulfureux oripeaux de l'héritage paternel, Marine Le Pen? Méthodiquement, la candidate s'est employée à lisser certains aspects de son programme, abandonnant par exemple le rétablissement de la peine de mort (tout en indiquant lors d'un déplacement de campagne qu'il n'y avait "pas de débat interdit en démocratie") et la sortie de l'Union européenne. En 2017, elle avait aussi changé le nom du parti cofondé par son père, le Front national, en Rassemblement national.

"Elle a en effet policé son image personnelle, apparaît moins tranchante, fait campagne autour des vraies gens dans des petites villes", analysait avant le premier tour Jean-Yves Camus, joint par BFMTV.com.

Pour le politologue spécialiste de l'extrême droite, l'irruption d'Éric Zemmour dans la campagne a aussi finalement largement profité à la candidate d'extrême droite, générant une concurrence inattendue, mais dont "le style, la manière d'être (...) l'a fait paraître plus ronde".

Un effet "tout sauf Macron"?

Pour Roland Lescure, porte-parole de LaREM et député des Français de l'étranger, la progression de Marine Le Pen dans les urnes ne résulte pas que de la campagne, mais tient notamment au fait qu'au cours du quinquennat écoulé, "les partis traditionnels n'ont pas réussi à se réinventer". Le parlementaire pointe aussi une sorte de "'tout sauf Macron' un peu généralisé dans cette campagne".

Si Marine Le Pen a minutieusement labouré le terrain du pouvoir d'achat, "ce qui pêche néanmoins, c'est la précision", juge Jean-Yves Camus. "Il est évident qu'Emmanuel Macron a la supériorité du technocrate", ajoute-t-il, tout en tempérant: les électeurs de la candidate "en ont assez de la précision technocratique".

Outre sa campagne patiemment construite, Marine Le Pen a aussi bénéficié d'une réserve de voix plus importante qu'en 2017, où elle n'avait pu se targuer que du seul ralliement de Nicolas Dupont-Aignan. Au soir du premier tour, son concurrent à l'extrême droite Éric Zemmour, lesté de quelque 7% des voix, avait appelé à voter en faveur de celle qu'il avait raillée, la qualifiant d'"Arlette Laguiller de la droite nationale" en janvier. Non-négligeable, mais insuffisant pour permettre à la fille de Jean-Marie Le Pen de prendre ses quartiers à l'Élysée.

Article original publié sur BFMTV.com

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