Publicité

CNews, LCI, BFM : les chaînes infos font-elles le jeu du Rassemblement national ?

Éric Zemmour à la "Convention de la Droite" à Paris le samedi 28 septembre 2019 . (Photo by Sameer Al-Doumy / AFP)
Éric Zemmour à la "Convention de la Droite" à Paris le samedi 28 septembre 2019 . (Photo by Sameer Al-Doumy / AFP)

Outre le retour d’Éric Zemmour sur CNews, il n’est plus rare de croiser des chroniqueurs étiquetés très à droite sur les chaînes d’infos. Une stratégie qui pourrait profiter au Rassemblement national ? Éclairage, avec des spécialistes.

Éric Zemmour sera de retour sur CNews dès lundi 14 octobre, malgré sa condamnation pour incitation à la haine raciale. Le polémiste l’a lui-même confirmé au Parisien. Outre le polémiste, la rédactrice en chef de Boulevard Voltaire, Gabrielle Cluzel, est souvent invitée sur CNews et LCI. Charlotte d’Ornellas de Valeurs Actuelles, est quant à elle une chroniqueuse habituée des plateaux de BFM et CNews...

Les chroniqueurs / éditorialistes, étiquetés à droite voire à l’extrême droite, ont désormais pignon sur rue dans les émissions de débats des chaines d’informations en continu.

Une stratégie “un peu cynique”

“Il y a un glissement vers l'extrême droite de la ligne éditoriale des chaînes infos”, pose d’emblée François Jost, sémiologue, spécialiste des médias. Un positionnement politique qui relève de la stratégie, selon lui : “Les trois chaînes (BFM, CNews et LCI, NDLR) ont un comportement un peu cynique, qui consiste à dire ‘Marine Le Pen a fait 34% au second tour de la présidentielle’, il faut parler à ce public-là”.

Pour Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans l'étude des médias, ce changement de ligne éditoriale des chaînes infos est une stratégie : “Il y a beaucoup de chaînes infos en France, pour un petit marché. En ayant une ligne éditoriale marquée, leur raisonnement est de chercher à fidéliser un public avec des idées proche de la ligne éditoriale, voire le conquérir”. Comprenez les idées proches de l’extrême droite.

Petit marché, grosse concurrence

Avec quatre chaînes d’information en continu, le marché est en effet très restreint. Sur l’année 2018, BFM fait 2,6% de part d’audience en moyenne, contre 0,7% pour LCI et CNews et 0,4% pour FranceInfo. Autant dire que chaque téléspectateur est important, quelles que soient ses idées.

Pour François Jost, l’exemple le plus marquant d’une ligne éditoriale marquée à droite est la chaîne CNews, qui accueillera Eric Zemmour pour une émission d’une heure, du lundi au jeudi. “Cela montre la volonté cynique de CNews de s’adresser à une partie de la population qui a des idées proches du RN. C’était déjà le cas avec Pascal Praud, qui décide des thèmes les plus populistes sur son plateau”.

Zemmour condamné, mais Zemmour rappelé

Pour François Jost, le retour du polémiste est un cas “symptomatique de l’époque”, qui “contraste” avec l’affaire Patrick Sébastien de 1995. Pour rappel, en 1995, l’animateur d’”Osons”, sur TF1, fait un sketch polémique. Grimé en Jean-Marie Le Pen, il chante "Casser du Noir", une parodie de Patrick Bruel. Dès le lendemain, il est suspendu d’antenne. “Aujourd’hui, on attire à l’antenne Éric Zemmour qui vient d’être condamné pour provocation à la haine raciale, cela en dit long”, conclut le sémiologue.

Alors que les lignes éditoriales des chaînes infos “glissent vers l’extrême droite”, le Rassemblement national prend du poids politique. De là à dire que les chaînes infos font le jeu du parti de Marine Le Pen ? Selon Thierry Vedel, politologue, l’impact reste limité.

“Ces émissions font du buzz, mais cela reste un phénomène de bulle”

“Le lien est à relativiser, car ces émissions de débat font peu d’audience”, explique-t-il. L’émission “L’heure des Pros” sur CNews rassemble environ 200 000 téléspectateurs, contre quelques milliers de plus pour l’émission de David Pujadas sur LCI. “Les électeurs peu politisés, ont tendance à peu regarder ce type d’émissions et sont donc peu influencés par les médias. A contrario, les téléspectateurs de ce genre d’émissions sont déjà politisés et regardent pour nourrir leurs arguments”, poursuit Thierry Vedel. “Ces émissions font du buzz, c’est viral, mais cela reste un phénomène de bulle”, appuie Jean-Marie Charon.

Des arguments que nuance François Jost. Pour lui, “banaliser ce type de chroniqueurs peut aider le RN. En recrutant Éric Zemmour, CNews est sûre de faire de la polémique. Donc des gens, qui n’ont pas les même idées, peuvent le regarder comme punching-ball méritant d’être regardé. Et cela peut amener des téléspectateurs à voter pour l’extrême droite”.

Une pétition contre le retour de Zemmour sur CNews

Preuve que ces émissions de débat sont fréquemment le lieu de propos polémiques : entre janvier et novembre 2018, le CSA a été saisi plus de 1 000 fois pour "L'Heure des pros"sur CNews, plus de 600 pour une autre émission de débat de la même chaîne, "Punchline", révélait France Info en novembre 2018.

Samedi 28 septembre, LCI a diffusé l'intégralité du discours du polémiste à la "Convention de la droite", durant laquelle il a tenu des propos anti-islam. Un choix éditorial discuté en interne, et qui a donné lieu, lundi à 12h, à près de 400 signalements au CSA, selon Le Parisien. La direction de la chaîne, interrogée par Le Monde, a reconnu une erreur. "A posteriori, le discours sans contradiction ne s'inscrit pas dans les formats de LCI. Le format de LCI, c’est le débat, dans des formats longs, avec des points de vue opposés et contradictoires", explique-t-elle. Une pétition contre le retour d’Éric Zemmour sur CNews a été lancée par SOS Racisme.

Mardi 1er octobre, le parquet de Paris annonce l’ouverture d’une enquête pour “injures publiques en raison de l'appartenance à une religion et provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence” après les propos tenus par Eric Zemmour sur l’immigration et l’islam.