En Côte d'Ivoire, la désinformation alimente une dangereuse campagne anti-LGBT+
Depuis août, la Côte d'Ivoire est en proie à une vague d'agressions verbales et physiques alimentée par les réseaux sociaux, qui vise les personnes homosexuelles ou transgenres. Plusieurs vidéos publiées début septembre montrent des scènes de mobilisation citoyenne avec des légendes appelant à la violence et font croire à des manifestations massives ou des lynchages en cours à Abidjan. Mais attention, ces vidéos n'ont rien à voir avec cette dangereuse campagne homophobe.
La vague de haine a démarré sur les réseaux sociaux début août, après des rumeurs dénonçant un cas de pédocriminalité qui aurait impliqué une personne homosexuelle.
Depuis, plusieurs activistes de la cause LGBT+ en Côte d'Ivoire ont exprimé leur inquiétude après une série d'"agressions homophobes" verbales et physiques alimentée par les réseaux sociaux, qui vise les personnes homosexuelles ou transgenres.
"Depuis le début du mois d'août, une trentaine d'agressions homophobes physiques ont été enregistrées" par le Mouvement social LGBT+ de Côte d'Ivoire, qui regroupe différentes associations, selon Brice Donald Dibahi, fondateur de l'ONG Gromo, l'une des plus actives de la communauté dans le pays.
Les appels à s’en prendre aux personnes gays se sont ainsi multipliés en ligne, certains de façon voilée, d’autres appellent ouvertement à les agresser.
En Côte d'Ivoire - où la loi ne pénalise pas l'homosexualité, contrairement à de nombreux pays africains - il "y a toujours eu de l'homophobie, que ce soit dans la rue ou sur les réseaux sociaux, mais je n'ai jamais vu ce genre de soulèvement", s'inquiétait l'activiste lors d'une interview avec l'AFP début septembre.
Plusieurs publications ont également appelé à une marche à Abidjan contre les "woubis", un mot né en Côte d'Ivoire et que la communauté LGBT+ a d'abord utilisé pour se désigner avant qu'il ne devienne péjoratif.
Une campagne de désinformation
Plusieurs vidéos montrant des scènes de mobilisation citoyenne avec des messages appelant à la violence contre les personnes homosexuelles font croire à des manifestations massives ou même à des lynchages en cours à Abidjan. Mais attention, ces dangereuses publications, qui cherchent à alimenter la violence contre la communauté LGBT+, utilisent des vidéos sorties de leur contexte.
Dans cette première vidéo publiée plus de 1.200 fois depuis le 1er septembre, des centaines de manifestants, certains tenant des gourdins, marchent sous la surveillance d'hommes en uniforme. La légende de la publication affirme qu'il s'agit d'une marche organisée en Côte d'Ivoire contre le communauté LGBT+.
On remarque sur la vidéo que l’uniforme porté par les hommes ne correspond pas à celui des militaires, policiers ou gendarmes ivoiriens. En outre, les écritures en anglais sur les affiches aux abords de la rue suggèrent plutôt un pays anglophone. C’est d’ailleurs ce que confirment les commentaires laissés sous la vidéo d’origine partagée premièrement sur Tik Tok. Ils évoquent le Nigeria. Un journaliste au sein du bureau de l'AFP au Nigeria confirme que cette vidéo a été filmée dans son pays, probablement lors des récentes manifestations contre le gouvernement.
Il confirme que "l’uniforme des officiers armés est celui de la police nigériane". "Les manifestants s’expriment en haoussa et on peut les entendre chanter +Bamayi+ qui signifie +nous en avons fini avec cela+ et +karya'ne + qui signifie +ce ne sont que des mensonges+". Ces deux phrases sont des chants de protestation populaire dans le nord du Nigeria lors de manifestations anti-gouvernementales récentes.
Cette deuxième vidéo montre un attroupement de personnes dans un fossé, et une foule autour d'eux les observant et clamant "attrapez-le" ou "ils l’ont attrapé.
Une recherche par image inversée nous permet de découvrir qu’il s’agit d’une opération de capture d’un crocodile par les populations de Yopougon, un quartier populaire de Abidjan. La vidéo n’est pas récente et elle a fait son apparition sur Facebook durant le mois de juin 2024 où des inondations et éboulement de terrain lié aux fortes pluies ont eu lieu dans la capitale économique ivoirienne.
Plusieurs vidéos du même évènement, mais avec différents angles, ont été publiées en juin sur internet et notamment Facebook. Les mêmes hommes en train de capturer le crocodile, et identifiables par leurs vêtements (comme l'homme en tee-shirt bleu et jaune, ou encore celui portant un bonnet rouge) sont également présents dans la vidéo virale que nous cherchons à vérifier.
Lors des récentes pluies diluviennes à Abidjan, plusieurs crocodiles de différentes tailles ont été retrouvés dans des égouts ou des caniveaux
Cette troisième vidéo tout aussi virale et publiée elle aussi début septembre, montre une foule avancer en courant vers des hommes en uniforme qui se replient vers des véhicules stationnés.
Il s'agit en réalité d’un affrontement tendu entre les populations du quartier d’Abobo Anador et les forces de l’ordre ivoirienne lors d’une opération de déguerpissement (archivé ici). Grâce à une recherche par image inversée, AFP Factuel a pu retrouver cette même vidéo partagée par différentes pages et comptes Facebook dès la mi-août 2024.
Abobo, quartier le plus peuplé d’Abidjan, abrite un espace de vente de pièces détachées et de garages connus sous le nom de Casse d’Abobo. Le lieu devenu insalubre et en proie à une importante délinquance est dans le viseur des autorités ivoiriennes. Les opérations de démolition des magasins et garages ont entraîné des jets de pierres et des tirs de gaz lacrymogène comme on peut le voir sur la vidéo.
En Côte d’Ivoire, l’homosexualité n’est pas illégale. Cependant, les membres de la communauté LGBT+ sont victimes de stigmatisation.
Fin 2021, la question de l'homosexualité avait surgi dans le débat public après de vifs échanges à l'Assemblée nationale. Elle avait finalement adopté un article du code pénal qui ne faisait plus mention de "l'orientation sexuelle" comme discrimination, contrairement au projet initial.
Sur le continent africain, l'homosexualité est criminalisée dans une trentaine de pays et certains ont récemment durci leurs lois, comme le Burkina Faso, le Ghana ou l'Ouganda. La Côte d'Ivoire est souvent considérée comme un des pays les plus libéraux d'Afrique de l'Ouest en matière de moeurs.