Bure, pôle de développement ou poubelle nucléaire?

par Gilbert Reilhac

BURE, Meuse (Reuters) - Les tensions s'aggravent à Bure, commune meusienne de 82 habitants, à mesure que se précisent les échéances du projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique), qui doit accueillir, à 500 mètres sous terre, les déchets les plus radioactifs des centrales nucléaires françaises.

L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), doit déposer, en 2019, une demande "d’autorisation de création" de ce projet de 25 milliards d’euros, après une vingtaine d’années d’études menées dans les galeries de son laboratoire souterrain, à deux kilomètres du village.

Ses conclusions sur les capacités de confinement de l’argilite et les techniques de stockage ont été globalement validées par l’Autorité de sûreté nucléaire, le "gendarme du nucléaire", sauf pour certains colis bitumineux potentiellement inflammables pour lesquels une solution reste à trouver.

"Ici, la roche n’a pas bougé depuis plusieurs millions d’années. L’eau que contient l’argilite a entre 40 et 50 millions d’années, elle ne circule pas", explique Mathieu Saint-Louis, responsable de la communication du site, en réponse aux risques de contamination de la nappe phréatique.

A cheval sur la Meuse et la Haute-Marne, le futur centre de stockage aura une emprise en surface de 600 hectares, voies de circulation comprises, pour 30 km2 et 250 km de galeries en sous-sol. Le chantier pourrait être lancé en 2022 pour une mise en service en 2030, avec une phase de tests pendant cinq ans.

Pendant cent ans, les 70.000 m3 de déchets de moyenne activité et les 10.000 m3 de déchets vitrifiés de haute activité à vie longue (MAVL et HAVL) issus des combustibles irradiés, devront pouvoir être retirés si une meilleure solution s’impose.

A défaut, les puits seront fermés et scellés, les barrières de métal et de béton isolant les déchets, associées aux qualités de l’argile, devant confiner les radionucléides pour plusieurs centaines de milliers d’années, pour réduire leur dangerosité.

"ÇA VA DEVENIR INVIVABLE"

D’abord favorable à un projet qui l’inquiète désormais, Gérard Antoine, maire de Bure depuis 23 ans, refuse de parler aux journalistes avant de lâcher ce qu’il a sur le coeur.

"Si on me demandait de prendre une décision aujourd’hui, ce serait non", dit-il en assurant que tout le conseil municipal ferait de même. "J’avais seulement accepté un laboratoire de recherche. Maintenant, ça va devenir invivable à cause des déchets et des manifestants", affirme cet éleveur de blondes d’Aquitaine, une race bovine à viande.

La contestation est montée d’un cran, il y a deux ans, avec l’arrivée d’une trentaine de militants antinucléaires venus créer, à Mandres-en-Barrois, commune limitrophe de Bure, une "zone à défendre" dans le bois Lejuc, là où seront creusés les puits de descente du personnel et du matériel de Cigéo.

L’échange de terrains par lequel l’Andra doit devenir, après quelques péripéties et un recours encore pendant, propriétaire du bois, a divisé la population de Mandres – 124 habitants – et son maire, favorable au Cigéo, refuse de parler à la presse.

Chassés par les forces de l’ordre le 22 février, les occupants se sont repliés sur la "Maison de résistance", propriété d’associations antinucléaires en plein centre de Bure. Avec "une réelle volonté de faire revivre ce territoire" que Cigéo promet au "pourrissement", affirme «Blandine» (prénom d’emprunt).

Les gendarmes stationnent désormais à Bure et sillonnent routes et chemins alentour pour éviter la création d’un nouveau "Notre-Dame-des-Landes", où les "zadistes" ont donné beaucoup de fil à retordre aux gendarmes avant et même après l'abandon du projet d'aéroport sur ce site.

L'ARGENT AFFLUE

"Gérard Antoine n’est pas cohérent. Bure est la commune de Meuse qui a reçu le plus d’argent de l’Andra", s’agace Claude Léonard, le président Les Républicains du Conseil départemental.

Signe d’un nouveau statut social, la municipalité a fait construire, face à l’Andra, un hôtel-restaurant trois étoiles qui héberge ses visiteurs et tient lieu de cantine à ses employés.

A côté, une boulangerie industrielle également municipale sort de terre tandis que le village, doté d’une vaste salle polyvalente et de lampadaires à LED, bénéficie d’un réseau de chaleur reliant toutes les maisons à une chaufferie à bois.

La Meuse et la Haute-Marne, deux départements en déclin démographique et économique qui étaient candidats, en 1993, pour accueillir le laboratoire de l’Andra, bénéficient des "fonds d’accompagnement" apportés par l’Etat : 30 millions d’euros par an chacun auxquels s’ajoutent 400 euros par an et par habitant dans un rayon de 10 kilomètres autour du site.

Les acteurs publics du nucléaire, EDF, Orano (ex-Areva) et le Commissariat à l’énergie atomique, ont en outre implanté dans les deux départements des activités d’archivage, de maintenance ou de recherche.

"On appelle ça l’achat des consciences", s’insurge Corinne François, porte-parole de Burestop, collectif d’opposants au projet créé dès 1994.

"S’il n’y avait pas cet argent, tous les élus meusiens et haut-marnais seraient contre", ajoute Jean-Marc Fleury, ancien maire Europe Ecologie-Les verts de Varney, une commune proche de Bar-le-Duc et président fondateur de l’Eodra (Elus opposés à l’enfouissement des déchets radioactifs).

L’association réunit une cinquantaine de maires et de conseillers municipaux mais aucun député ni conseiller départemental ou régional, droite et gauche, hors écologistes, s’accordant, à l’instar du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, pour estimer que l’enfouissement profond est la "moins mauvaise solution".

"Vous avez toujours une manne financière quand vous avez un projet industriel", relativise Claude Léonard, qui refuse le qualificatif de "poubelle atomique" employé par les opposants pour un projet "unique" par ses caractéristiques, auquel s’intéresse "la communauté internationale". Un caractère inédit qui inquiète par là-même ses détracteurs.

(Edité par Yves Clarisse)