Budget : Avec son recul sur les retraites, Barnier enterre-t-il son discours sur l’effort partagé par tous ?

En reculant sur les retraites, Barnier (ici avec Laurent Wauquiez en janvier 2024) enterre-t-il son discours sur l’effort partagé par tous ?
EMMANUEL DUNAND / AFP En reculant sur les retraites, Barnier (ici avec Laurent Wauquiez en janvier 2024) enterre-t-il son discours sur l’effort partagé par tous ?

POLITIQUE - En fin de comptes. Alors que la saison budgétaire bat son plein au Parlement, le gouvernement procède à un premier recul majeur. Michel Barnier souhaitait décaler de six mois l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation, pour économiser environ 4 milliards d’euros. Il n’en sera rien, les pensions augmenteront bien dès le 1er janvier.

Revalorisation des retraites : pourquoi c’est Laurent Wauquiez qui a fait l’annonce

C’est Laurent Wauquiez, le président du groupe de la « droite républicaine » à l’Assemblée qui a annoncé la nouvelle, lundi 11 novembre au soir dans le journal télévisé de TF1. « La première justice dans un pays, c’est de faire en sorte qui ceux ont travaillé vivent dignement », a-t-il expliqué, très satisfait d’avoir obtenu ce changement de pied de l’exécutif à un milliard d’euros environ.

Concrètement, l’ensemble des retraites sera revalorisé à hauteur de 0,9 % c’est-à-dire la moitié de l’inflation, dès le mois de janvier et celles « en dessous du SMIC » bénéficieront d’un deuxième coup de pouce en juillet. Un rétropédalage peut-être apprécié, mais qui semble mettre à mal la promesse originelle du Premier ministre sur le partage de l’effort.

Quand Barnier voulait un « effort juste »

C’était il y a quelques semaines. En présentant ses textes budgétaires, Michel Barnier n’a cessé de défendre des « mesures impopulaires », mais nécessaires pour rattraper les comptes publics en dérive absolue. « Je sais bien que c’est difficile. Je demande un effort à tout le monde, il sera juste et proportionné », expliquait-il par exemple sur le plateau de France 2, pour défendre ses propositions concernant les retraités, parties intégrantes de sa stratégie pour rétablir les finances.

Un terrain miné, pour un sujet tabou. En France, les aînés ne sont pas le segment de la population le plus fragile économiquement, si l’on regarde les données globales et les analyses des économistes. Loin de là. Les pensions sont régulièrement revalorisées sur l’inflation (4 fois sur les deux dernières années), qu’elles soient modestes ou élevées. Ce qui n’est pas le cas des salaires.

On peut donc remarquer, entre autres chiffres, que les retraités ont, en moyenne, un niveau de vie et d’épargne supérieur aux actifs, et sont sous-représentés parmi les Français sous le seuil de pauvreté. Certes, ces données ne rendent pas compte des différences entre retraités modestes et aisés. Il n’empêche, elles montrent une situation assez unique en Europe, où seule l’Italie fait mieux (ou pire) dans le décalage entre les retraités et les actifs.

Dans ce contexte, et alors que les pensions représentent une part massive des dépenses publiques chaque année, environ 25 % (14,4 % du PIB contre 11,9 en Europe), la stratégie de Michel Barnier ne paraissait pas incongrue. Mieux, demander un effort aux retraités (4 milliards d’économies sur les 60 prévus) permettait au chef du gouvernement de vanter une réponse collégiale sans privilégiés, à l’heure où les entreprises, les foyers aisés et l’ensemble des ménages sont amenés à régler la facture.

Boîte de Pandore

Raté. Laurent Wauquiez et son groupe ont donc réussi à se faire entendre du locataire de Matignon. De quoi faire perdurer le tabou ? Il est tout de même intéressant de noter que la solution finalement choisie par Michel Barnier est de nature… À ne satisfaire personne et à engager une forme de surenchère sur ces questions.

Pour cause : si tous les retraités vont pouvoir bénéficier d’un coup de pouce en janvier, celui-ci sera moindre que l’augmentation promise par le gouvernement six mois plus tard, en juillet. En clair, alors qu’ils pouvaient espérer une revalorisation de 2 % environ (suivant l’inflation) à l’été, ils n’auront que 0,9 % cet hiver (sans compter les coups de pouce pour les très petites retraites.)

Dans ce contexte, une bonne partie de la classe politique dénonce « l’arnaque » de Laurent Wauquiez. Même au sein du « socle commun » censé soutenir l’action du gouvernement, la porte-parole des députés macronistes Prisca Thevenot parle de « double mauvaise nouvelle », pour les comptes publics et les retraités. Plus singulier, son collègue Guillaume Gouffier Valente regrette lui l’abandon de « l’effort demandé aux retraités (...) au regard des inégalités générationnelles. »

Reste que la boîte de Pandore est ouverte. Depuis lundi soir, la gauche et le Rassemblement national s’engouffrent dans la brèche ouverte par le gouvernement pour réclamer une revalorisation complète dès janvier, de toutes les pensions, sans distinction. Tant pis pour les milliards d’euros d’économies espérées par l’exécutif (4 pour la version Barnier, 3 pour la mouture Wauquiez) ?

Derrière cette levée de boucliers, et ce désir de choyer les retraités, difficile de ne pas déceler le poids électoral des plus de 65 ans. Un segment qui vote davantage que les autres classes d’âge depuis plusieurs années. Un argument semble-t-il suffisant pour mettre de côté, dans un sens comme dans l’autre, les considérations budgétaires ou les impératifs de justice.

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