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"Les Bronzés 3", le come-back doux-amer des amis du Splendid

Thierry Lhermitte, Marie-Anne Chazel, Michel Blanc et Christian Clavier dans
Thierry Lhermitte, Marie-Anne Chazel, Michel Blanc et Christian Clavier dans

Enorme succès de l’année 2006, avec 10.355.928 entrées, Les Bronzés 3 - Amis pour la vie, est sans doute l’une des suites les plus décevantes de l’histoire du cinéma français. Joué par la troupe du Spendid et réalisé par Patrice Leconte, le film ne mérite pourtant pas les critiques dont il fait l’objet depuis quinze ans. Si Michel Blanc n'a jamais caché son inimitié pour ce troisième opus, Christian Clavier l’a toujours ardemment défendu, brandissant un argument imparable dans les colonnes de Première en 2016: "Quand un film fait plus de 10 millions d’entrées, vous pensez sincèrement qu’il n’est pas apprécié?"

Un argument auquel se range Patrice Leconte: "Si Les Bronzés 3 avait été vraiment une merde, on n’aurait pas dépassé les dix millions d’entrées. Et je ne dis pas ça pour me rassurer." Le réalisateur s’est rendu dans les salles obscures. Il a vu de ses propres yeux des foules de spectateurs et de spectatrices "en train de se gondoler de rire": "Le film faisait vraiment marrer les gens!", assure-t-il. Alternant comédies populaires et drames historiques, Patrice Leconte a été tour à tour acclamé et conspué. Il est habitué à cette hystérie de la presse:

"Je ne sais pas si les critiques sont utiles pour ce genre de film, s'il faut prendre en compte ce qu’ils écrivent", expose-t-il avec un sourire. Il poursuit, relatant une de ses anecdotes favorites: "Un jour, j’avais rendez-vous dans mon bureau avec un journaliste. Il me dit: 'Je ne vais pas vous dire ce que j’ai pensé des Bronzés 3, parce que je ne sais pas quoi en penser. Quand j’ai vu Les Bronzés, ce n’est que dix ans après que je les ai trouvés formidables. Donc dans dix ans, je vous dirai ce que j’ai pensé de celui-là.' J'ai trouvé ça nuuuuul!"

Le journaliste ne l’a jamais recontacté, mais nous voici quinze ans après, en train de réhabiliter Les Bronzés 3. Patrice Leconte tient à mettre les choses au clair. Conçu après l’abandon du Astérix que souhaitait réaliser Gérard Jugnot avec le Splendid, Amis pour la vie n’est pas du tout un coup de producteur, en l’occurrence Christian Fechner, connu pour la collaboration avec Claude Zidi. "Au départ, il y avait vraiment l’opportunité, la joie, la gaieté et l’enthousiasme de se retrouver à nouveau tous ensemble pour faire du cinéma", insiste Patrice Leconte. "Comme le film ne s’est pas fait, l’opportunité proposée par Christian Fechner de faire Les Bronzés 3 est tombée à pic."

"Je me suis dit qu’ils n'avaient pas pensé à moi"

Lorsque le projet est lancé, Patrice Leconte n’est pas mis dans la confidence. Le cinéaste en découvre l’existence par hasard, en regardant un soir de 2004 Les Enfants de la Télé. "C'était bizarre d’apprendre ça à la télévision", raconte, encore un peu vexé, le réalisateur. "Je me suis dit qu’ils n'avaient pas pensé à moi". Le lendemain matin, un dimanche, Thierry Lhermitte l’appelle: "Je ne sais pas si tu es au courant, mais on va faire Les Bronzés 3. T’es avec nous, j’espère?" Leconte est évidemment des leurs.

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L'idée d'un troisième volet n’est pas neuve. En 1980, dans la foulée des Bronzés font du ski (1979), la troupe avait déjà réfléchi à un troisième volet en Amérique, rappelle Patrice Leconte: "Yves Rousset-Rouard, le producteur de l’époque, avait financé un voyage pour Jugnot, Clavier et Lhermitte pour qu’il aille respirer le continent et avoir des idées, mais ça ne s’était pas fait."

Chacun s’en était allé de son côté, avec le succès que l’on connaît. Michel Blanc avec Marche à l’ombre (6 millions en 1984), Gérard Jugnot avec Une époque formidable (1,6 millions en 1991), Christian Clavier avec Les Visiteurs (13,7 millions en 1993), Josiane Balasko avec Gazon Maudit (3,9 millions en 1995), et Thierry Lhermitte avec Un Indien dans la ville (7,8 millions en 1994).

Yves Rousset-Rouard s’étant reconverti dans la viticulture et la députation, il cède sa place à Christian Fechner, dont Christian Clavier est proche. "Je pense que la petite graine a germé à partir de là. Tout s’est décidé assez vite. Fechner était un producteur formidable. Ces gens-là entreprenants et fous n’existent plus", déplore Patrice Leconte.

Une fin originale

Avec le temps, certaines personnalités de la troupe se sont affirmées plus que d’autres. "Le scénario de Amis pour la vie comme celui des Bronzés font du ski, n’a pas été écrit par eux tous, mais par Jugnot, Clavier et Lhermitte", révèle Leconte. Le trio suit pour ce film la même formule que les précédents: la bande se retrouve sur un nouveau lieu de villégiature, cette fois-ci en Sardaigne, dans un hôtel détenu par la femme de Popeye.

L’argument étant mince, ils décident d’ajouter à celle-ci une autre histoire, celle d’une "bête" voulant se débarrasser des Bronzés. Il sera révélé à la fin qu’il s’agit en réalité de "la folle", alias Christiane Weissmuller (Dominique Lavanant), qui cherche à se venger de Jérôme après une opération chirurgicale ayant mal tourné.

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Le Splendid décide aussi de multiplier les clins d’œil aux Bronzés font du ski. Jean-Claude Dusse se retrouve une nouvelle fois bloqué au milieu de nulle part ("ça peut être pris pour une facilité, mais je trouvais que c’était un bon truc", estime Leconte) et la bande se querelle lors de révélations sur la fameuse nuit passée avec les Italiens dans le chalet du Val d’Isère.

À cela, ils ajoutent une fin plus originale, où les Bronzés, punis pour leur arrogance, sont confondus avec des migrants et atterrissent dans un camp avant d’être renvoyés vers une destination inconnue. "On trouvait ça culotté, mais je ne sais pas si c’était tant déceptif que ça", s’interroge Patrice Leconte. "Je trouve la fin parfaite. C’est une fin plutôt originale, à laquelle on ne s’attend pas."

Cette fin ressemble néanmoins beaucoup à celle de la sitcom Seinfeld (1989-1999), où Jerry, George, Kramer et Elaine sont eux aussi punis pour leur arrogance et leur égoïsme et se retrouvent emprisonnés après avoir refusé d’aider une personne en train de se faire braquer. Toute ressemblance est purement fortuite: Patrice Leconte assure n’avoir jamais entendu parler de cette série qui figure pourtant au panthéon de la comédie américaine contemporaine.

L’ensemble est rythmé au son d’un tube du chanteur italien Zucchero, Baila Morena, dégoté par Christian Clavier, et utilisé à de multiples reprises dans le film: "Tant qu’à faire! On avait acheté les droits", se justifie Patrice Leconte. "Si on comprend l’italien, on se rend compte que ça ne parle pas de quelque chose de joyeux, mais au moins ça dépotait!"

"La limite du film"

Au cours de l’écriture, chaque membre de la troupe prend en charge son personnage. "Je sais que c’est Marie-Anne qui tenait absolument à avoir une poitrine vertigineuse", se souvient Patrice Leconte. "Michel Blanc s’est dit qu’il allait réussir dans la perruque, et avoir des postiches qui changent. Chacun avait des idées pour ce qui avait changé dans leur personnage. A mon sens, avec le recul, c’est la limite du film. La relative déception des spectateurs est liée au fait que tous les personnages du film ont réussi."

Et ils sont tous encore plus détestables que dans les deux premiers films: "Ils sont puants de fric. C'est pour ça que le personnage le plus attachant, le plus sympathique, c'est celui de Clavier. Il est vraiment à la ramasse, il est séparé de Gigi, il est rayé de l’ordre des médecins, il est au fond du trou."

Cinéaste de l’intime qui aime examiner les fêlures humaines, le réalisateur trouve avec le personnage de Jérôme, complexé par la réussite financière de ses amis, le point d’ancrage du film. Il loue l’interprétation de Christian Clavier: "Il a ceci qui force l’admiration: bien qu’au fond du trou, il y croit encore. Il a encore la niaque. Il n’a pas baissé la garde. Christian le joue parfaitement. Il a un sens inné du rythme et de la répartie."

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Patrice Leconte loue aussi l’autodérision de la troupe et en particulier celle de Gérard Jugnot, dont le personnage de Bernard est atteint d’une crise d'homophobie aiguë après le coming-out de son fils.

"C'est assez gonflé de sa part", s’enthousiasme Leconte. "Leur plus grande force, c'est l'autodérision. Ils arrivent à se moquer d'eux-mêmes d’une manière incroyable. Popeye, c’est quand même une merde qui fait croire qu’il a réussi. il n’est pas recommandable. Bernard et Nathalie, ils sont odieux. Odieux, ils le sont tous. Ils sont odieux comme le sont d’anciens soixante-huitards qui se sont embourgeoisés."

Sur le tournage, une énorme pression

Face à ces "champions du monde de la vanne", Patrice Leconte fait le modeste: "J’étais là pour être le coordinateur, pour que ça n'aille pas dans tous les sens." Il fait pourtant plus. Contrairement aux deux premiers films, il décide d’adopter un format d’image en scope et de tourner caméra à l’épaule:

"Le scope est mon format favori. Je n’avais pas eu le courage de sauter le pas sur Les Bronzés 1 et 2 alors que j’en brûlais d’envie. Quand on a fait Amis pour la vie, je maîtrisais davantage l’exercice de la mise en scène. Comme je cadrais, ça me permettait d’inventer une mise en scène assez différente de ce qu’il y avait dans les deux autres films." Il ajoute: "Il y a des films qui ont des projets de mise en scène précis, mais là il n’y en avait pas, à part l’efficacité et le rythme. Je devais savoir ce qui était drôle et pourquoi c’était drôle à chaque seconde, et je devais mettre ça en valeur pour qu’à l’arrivée la drôlerie espérée fonctionne. Je n’avais pas d’autre souci. Je ne cherchais pas à être joli, ou inventif."

Cette efficacité impose une certaine pression sur le plateau. Les scènes sont très écrites et la troupe n’improvise pas. "Si on a l’impression que c’est improvisé, c’est mieux", note toutefois Patrice Leconte, qui cherche toujours comment intégrer la burlesque et le rire dans la réalité. Si l’alchimie entre Clavier, Lhermitte, Jugnot, Balasko, Chazel et Blanc n’a pas bougé au fil des années ("C’est inouï: c’est comme s’ils s’étaient quittés la veille"), cette pression est palpable sur le plateau. "Il n’y avait pas autant d’insouciance ou de légèreté que sur les deux premiers", confirme Patrice Leconte.

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Deux raisons expliquent cette pression. Premièrement, rappelle le cinéaste, le budget était "ahurissant". "C’était très cher. Fechner avait beaucoup de qualités, dont celle de ne pas mégoter. Tout le monde était logé à la même enseigne. L'équipe était énorme. C’était un gros machin, alors que sur l’écran, c’est un film assez normal. Il n’y a pas de décors intempestifs."

Deuxièmement, les attentes autour de ce troisième film sont démesurément grandes: "On ne pouvait pas faire ce film et obtenir un petit succès. Il fallait que ce soit un succès énorme." Cette pression, contre toute attente, n’atteint pas Patrice Leconte: "Je ne la ressentais pas, parce que je n’avais pas l’impression de jouer aussi gros qu’eux. Si ça devait ne pas plaire, je pensais que ça serait plus grave pour eux que pour moi."

Les débuts, surtout, sont difficiles: "la machine s’est remise en marche petit à petit, mais les premiers jours de tournage ont été un peu tendus", confirme le metteur en scène, qui ne garde pas du tournage un bon souvenir pour cette raison: "On a été libérés de ce poids quand le film est sorti." Et quand ils ont vu l’accueil triomphal réservé par le public.

Les Bronzés 4 par Thomas Langmann?

Fort du succès d’Amis pour la vie, le Splendid se pose la question d’un quatrième volet. "Fechner nous disait qu’il fallait le faire tout de suite", se souvient Patrice Leconte. Mais une question se pose: où situer ce nouveau film? dans un camp de migrants? dans une maison de retraite? L’idée, une boutade de Patrice Leconte, sera souvent lancée en interview pour rire par le réalisateur, pour répondre aux questions attendues sur la suite des Bronzés.

"C'était une blague, mais une blague qui ne me déplaisait pas", précise-t-il. "Au fond de moi, cela m’aurait amusé de faire un peu comme dans La Fin du jour de Julien Duvivier où des anciens artistes (joués par Michel Simon, Louis Jouvet) sont réunis en maison de retraite et sont odieux entre eux! Je voulais le faire en noir et blanc, faire un art et essai!"

Blague mise à part, un véritable quatrième opus des Bronzés a été imaginé un temps avec Thomas Langmann. "Il voulait absolument produire un quatrième volet. Il fallait inventer une histoire qui réunisse le Splendid et ce qu’on fait de mieux dans les comiques actuels", se souvient Patrice Leconte. "J’ai accepté, car je me disais que ça pourrait être assez marrant de faire une confrontation entre l’ancienne génération et la nouvelle."

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Le réalisateur accepte, mais dit au producteur de contacter aussi le Splendid: "Vous les réunissez tous devant votre bureau et vous leur dites ce qui vous trotte dans la tête. S'ils sont d’accord, on y va." Mais Thomas Langmann insiste: il veut d’abord un scénario. Patrice Leconte se lance dans l’écriture avec son collaborateur habituel, Jérôme Tonnerre. "On était payé pour inventer une histoire. Ce n’était pas un scénario complet, ni un synopsis de deux pages, mais un premier traitement sur lequel on pouvait commencer à travailler." Ce traitement, qui n’a jamais abouti, tournait autour d’un "projet assez foireux" de Jérôme sur son lit de mort, raconte Patrice Leconte:

"Il fait semblant d’être mourant, il convoque tous ses amis pour l’accompagner. Il leur dit qu’il a fondé un club de vacances et que ses jours sont comptés. Il y a derrière ça une odieuse entourloupe à la mort, évidemment: le club de vacances n’existe même pas, c’est un tracé au sol." Le projet n’a jamais vu le jour. "Je pense que ce projet n’est jamais passé entre les mains des gens du Splendid", déplore Leconte. "Je ne voulais pas être le messager Interflora. Il y avait un travail de producteur à faire, et qui n’a pas été fait."

Thomas Langmann a un autre souvenir de cette rencontre avortée: "Ils ont voulu les refaire partir je ne sais pas où! J’avais un pitch plus intéressant, un peu surprenant", assure le producteur. "Ils se retrouvaient pour partir en vacances sauf que dans la nuit il se passait tellement de trucs qu’ils n’arrivaient jamais à prendre leur avion le lendemain. C’était un Bronzés sans vacances! Je trouvais ça drôle." Mais c’était trop corrosif pour le Splendid.

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Article original publié sur BFMTV.com