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Brésil: Autour de Bolsonaro, des généraux reconvertis en politique

par Brad Brooks et Anthony Boadle

BRASILIA (Reuters) - Une douzaine de généraux à la retraite et d'universitaires aux idées conservatrices, réunis au sein du "groupe de Brasilia", ont largement contribué à favoriser l'ascension politique de Jair Bolsonaro, que les sondages donnent largement vainqueur du second tour de l'élection présidentielle brésilienne dimanche.

L'un d'eux, Augusto Heleno Ribeiro Pereira, 70 ans, général quatre étoiles à la retraite, devrait devenir le prochain ministre de la Défense en cas de victoire du candidat d'extrême droite.

Il est le doyen du petit groupe d'officiers généraux retirés du service qui a secondé et conseillé Bolsonaro ces derniers mois "pour remettre de l'ordre dans le pays", comme l'a promis le Parti social libéral (PSL) pendant la campagne électorale.

Ces militaires en retraite du "premier cercle" de Bolsonaro ont gardé des contacts étroits avec l'armée d'active. L'un d'eux, le général Antonio Hamilton Mourão, candidat à la vice-présidence, a pris sa retraite il y a seulement huit mois.

Même s'ils ne portent plus l'uniforme, ces militaires rassemblés autour de Bolsonaro inquiètent certains Brésiliens qui se rappellent la dictature qui a dirigé le pays d'une main de fer entre 1964 et 1985. Dictature dont Jair Bolsonaro a reconnu à plusieurs reprises avoir la nostalgie.

Ces dernières années, la criminalité galopante et la corruption, l'effondrement des services publics, la crise économique et l'inefficacité des gouvernements successifs ont poussé de nombreux électeurs brésiliens dans les bras de l'extrême droite, autour de son principal mot d'ordre - guerre aux criminels et aux corrompus.

"Les gens ont fini par comprendre que les militaires peuvent remettre de l'ordre dans la maison", a déclaré récemment Augusto Heleno. "Mais évidemment, pas question de putsch. Le chemin à suivre ne peut être que celui des élections."

RÉUNIONS HEBDOMADAIRES À L'IMPERIAL HOTEL

Depuis plus d'un an, Heleno et ses collègues du "groupe de Brasilia" se réunissent une fois par semaine dans une salle de conférence de l'Imperial Hotel, à trois kilomètres seulement du palais présidentiel

C'est là, autour d'une table noire, qu'ils ont mis au point la stratégie de leur candidat, tenté de juguler ses emportements et de modérer ses envolées verbales qui lui ont bâti une réputation de misogyne, d'homophobe et de raciste.

Interrogés par Reuters, des membres du "groupe de Brasilia" sont restés évasifs sur la manière dont pourrait travailler, concrètement, un gouvernement sous la présidence de Jair Bolsonaro.

Invariablement, ils sont constamment revenus sur les grands thèmes qui ont fait le succès de leur candidat: la loi, l'ordre et la sécurité.

L'an dernier, près de 64.000 personnes ont été assassinées au Brésil, un record mondial. Et le pays est encore sous le choc des affaires de corruption qui ont discrédité les plus hautes sphères du monde politique et économique.

Au premier tour du scrutin présidentiel, le 7 octobre, Jair Bolsonaro a recueilli plus de 49 millions de suffrages, pas très loin de la majorité absolue qui lui aurait permis d'éviter un second tour face au candidat du Parti des travailleurs (PT), Fernando Haddad.

Si de nombreux électeurs s'inquiètent de voir s'instaurer un gouvernement autoritaire qui rappellerait la dictature, d'autres ne voient pas d'autre solution et acceptent sereinement cette idée.

"Ce sont les bandes criminelles qui font la loi aujourd'hui au Brésil. Vous croyez qu'on a peur de voir les militaires au pouvoir ? Vu la situation, ce serait formidable !", déclare Kenyson Santos, un commerçant de Brasilia âgé de 24 ans.

"ORDRE ET SÉCURITÉ"

Un avis que ne partage pas Michael Albertus, politologue à l'université de Chicago, qui juge que le Brésil "vit un moment dangereux". "Un gouvernement Bolsonaro laisserait carte blanche aux militaires dans des tas de domaines", dit-il.

En 2013, des millions de Brésiliens étaient descendus dans les rues pour dénoncer la pression fiscale, le naufrage des services publics et la corruption. L'année suivante, la candidate de gauche Dilma Rousseff avait battu de peu à la présidentielle son adversaire conservateur.

Moins de deux ans plus tard, elle était destituée pour avoir maquillé les comptes publics. Une vaste campagne anti-corruption a ensuite fait tomber de nombreux hommes politiques et hommes d'affaires, sur fond de récession économique.

C'était l'occasion pour Jair Bolsonaro, député depuis 1990 mais qui n'avait jusqu'alors guère fait parler de lui, sauf pour ses "sorties" polémiques, de se présenter comme le candidat des "honnêtes gens", avides d'ordre et de sécurité.

Il s'est d'abord tourné vers le général en retraite Oswaldo Ferreira, ancien chef du corps du génie de l'armée brésilienne. Les deux hommes se sont connus à l'Ecole militaire d'Agulhas Negras.

Ferreira a ensuite "recruté" Heleno, qui en 2004 avait aidé à écraser les bandes criminelles en Haïti, alors qu'il commandait les casques bleus de l'Onu sur place.

Parmi les autres conseillers de Bolsonaro issus de l'armée, le général à la retraite Paulo Chagas n'a pas réussi ce mois-ci à devenir gouverneur de Brasilia. Aujourd'hui, Chagas prédit la victoire de Bolsonaro et assure que les "fauteurs de troubles", notamment les "corrompus", ont vraiment du souci à se faire.

"QUELQUE CHOSE DANS L'AIR"

Le langage martial de ces militaires à la retraite, reconvertis en politique, inquiète des groupes de défense des droits de l'homme.

"J'ai connu la dictature. Au fond de moi, je commence à ressentir quelque chose de comparable, une atmosphère, quelque chose dans l'air", déclare sous le sceau de l'anonymat un responsable gouvernemental chargé des questions de sécurité. "C'est la pire des situations que je pouvais imaginer."

A l'Imperial Hotel, deux membres du "groupe de Brasilia", Ferreira et Alessio Ribeiro Souto, qui pourrait devenir ministre de l'Education, tiennent à souligner qu'ils ne sont que des conseillers techniques aux ordres de Bolsonaro.

Ferreira, qui a quitté l'armée en 2017, a passé sa carrière militaire à construire des routes et des ponts, principalement dans la forêt amazonienne. Une des priorités d'un gouvernement Bolsonaro, dit-il, sera de mener à bien les centaines de projets abandonnés par les précédents gouvernements.

Quant à Souto, s'il prend le portefeuille de l'Education, il entend que le créationnisme soit enseigné dans les écoles au même titre que la théorie de l'évolution, ce qui ne peut que réjouir les chrétiens conservateurs qui constituent une bonne partie de l'électorat du PSL et de ses alliés.

Il souhaite aussi que la période de 1964 à 1985 ne soit plus présentée dans les livres d'histoire comme celle de la "dictature" mais comme celle de "la bataille contre le communisme".

"Ce n'est que par la démocratie que nous pouvons obtenir la paix et l'harmonie. Et les piliers de cette démocratie, ce sont la liberté, la vérité, le courage et la moralité", martèle-t-il.

(Guy Kerivel pour le service français)