Boxe: pourquoi Ngannou a déjà gagné avant son combat contre Fury
Un tweet et une déclaration pour raconter un rêve devenu réalité. En début de semaine, à quelques jours de monter dans un ring de boxe en Arabie saoudite pour affronter Tyson Fury, champion WBC des lourds, Francis Ngannou a pris la plume sur les réseaux sociaux pour prendre du recul sur son parcours: "Je suis assis sur le balcon d’une suite présidentielle à Riyad, avec ma famille, à regarder la ville et à apprécier à la vie. Quelle vie ça a été!"
Quelques semaines plus tôt, lors de leur première conférence de presse commune avant l’événement, son adversaire avait résumé la chose au micro (et en retirant sa casquette): "Je tire mon chapeau à Francis pour son histoire, d’où il vient, le combat, la détermination, tout ce qu’il a fait pour en arriver là. C’était juste un enfant en Afrique avec un grand rêve. Tout le monde a dû se moquer de lui dans son pays quand il a dit qu’il partir à Las Vegas et devenir champion du monde à l’UFC. Tout le monde a aussi dû se moquer de lui quand il a dit qu’il combattrait Tyson Fury. Mais je ne me moque pas car je sais les galères qu’il a traversées."
En quelques mots, le "Gypsy King" britannique reconnaissait une chose: le "Predator" camerounais a déjà gagné son plus beau combat avant même de croiser les gants avec lui. Opposé à un des meilleurs boxeurs de la planète pour sa première dans le noble art, dans un combat qui s’apparente plutôt à une exhibition (le résultat n’apparaîtra a priori pas dans le bilan professionnel de Fury), Ngannou a peu de chances de battre son adversaire entre les cordes. Il a une chance, celle du puncheur comme on dit, et c’est tout.
Sur le plan de la boxe, Fury évolue dans un autre monde
L’ancien champion des lourds de l’UFC (MMA) possède une puissance capable d’abattre n’importe qui, Fury compris, même si ce dernier a déjà prouvé face à Deontay Wilder qu’il savait prendre la foudre et se relever. Mais sur le plan de la boxe, on ne va pas se mentir, le Britannique est supérieur. En tout. Même la puissance, sur laquelle il s’appuie bien plus ces dernières années grâce à sa collaboration avec coach Sugarhill Steward du Krong Gym, peut se débattre. Bref, il faudrait un miracle. Mais l’important est ailleurs. Si Ngannou a déjà gagné, symboliquement en tout cas, il le doit à son histoire. On ne va pas vous le refaire en détails, elle est archi connue, mais les grandes lignes rappellent l’ampleur du chemin parcouru.
La jeunesse sans le sou dans son pays, le travail dans une mine de sable avant même l’adolescence, le voyage semé d’embûches – et c’est un euphémisme – pour rejoindre l’Europe avec des rêves de boxe (qu'il avait déjà pratiquée au Cameroun) en tête, les nuits dans un parking à Paris, la découverte du MMA sous l’égide de Fernand Lopez, l’arrivée à l’UFC, les victoires fracassantes qui le rapprochent du titre, l’échec face au champion Stipe Miocic, le retour vers le sommet, la quête du Graal en détrônant Miocic pour prendre sa ceinture, le départ de l’UFC pour défendre ses intérêts après un dernier succès contre Ciryl Gane, la signature au PFL pour l’avenir en MMA, la matérialisation du choc qu’il attend "depuis quatre ans" contre Fury et la garantie d’un chèque à huit chiffres (au moins 10 millions de dollars) qui l’accompagne pour une bourse "plusieurs fois" supérieure dixit son manager Marquel Martin à tout ce qu’il avait touché pour ses quatorze combats (dont trois pour le titre) à l’UFC.
En moins de quarante ans, trente-sept exactement, le Camerounais a vécu plusieurs vies. Qui mises bout à bout formeraient un formidable scénario hollywoodien (il serait dingue de ne jamais voir de film sur lui). Beaucoup l'ont critiqué pour son choix de quitter l'UFC, persuadés qu'il dirigeait sa carrière vers un mur. Raté. "Ne doutez jamais d’un homme avec de l’espoir et de la foi", philosophait-il sur les réseaux sociaux en juillet, le jour de l’annonce du combat contre Fury. Parti de rien ou presque, le "Predator" a construit son destin à l’abnégation. Il va en récolter les fruits ce samedi, coaché par le plus jeune champion du monde de l’histoire des lourds, la légende Mike Tyson.
"Tout est possible", rêve-t-il à voix haute au sujet du combat. La vitesse de ses mains dans ses vidéos d'entraînement publiées raconte le contraire. Mais il y a sûrement une part de bluff pour celui qui comprend les critiques du monde du noble art mais compte lui faire mettre de la considération sur son nom. "Je ne m’attends pas à ce que la communauté de la boxe me respecte. Je dois gagner mon respect. Ce n’est pas quelque chose qu’on vous donne mais quelque chose qu’on doit mériter. C’est mon but: gagner ce respect." Sauf cataclysme, Tyson Fury – qui a déjà signé pour affronter l’Ukrainien Oleksandr Usyk fin décembre ou en janvier pour l’unification de tous les titres des lourds, choc le plus attendu depuis longtemps dans cette catégorie – devrait bien finir l'affaire la main levée. Mais il ne faudra surtout pas considérer Francis Ngannou comme le perdant. Sa victoire va bien au-delà du ring.