Boxe: comment l’Arabie saoudite devient la nouvelle capitale du noble art, à coups de millions
Le monde de la boxe en rêve depuis des années. Tyson Fury (et avant lui Deontay Wilder) face à Oleksandr Usyk (et avant lui Anthony Joshua) pour la première unification totale des lourds depuis 1999. Les Russes Artur Beterbiev et Dmitry Bivol pour se disputer les quatre titres majeurs des mi-lourds. Et même Anthony Joshua contre Deontay Wilder si tout va bien. Entre difficultés à travailler entre promoteurs concurrents, désaccords sur les partages de bourse, obstacles sur la route avec les challengers obligatoires de chaque fédération et autres joyeusetés des coulisses de la boxe, monter ces chocs tant attendus a longtemps ressemblé à une chimère. Mais cette fois, on va y avoir droit. Avec un seul responsable derrière ce cadeau offert aux amoureux du noble art: l’Arabie saoudite.
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Tyson Fury et Oleksandr Usyk se retrouveront bien dans le ring le 17 février prochain. Pour Artur Beterbiev et Dmitry Bivol, c’est désormais dans les plans pour les prochains mois. Chaque fois à Riyad, capitale saoudienne, dans le cadre du festival Riyadh Season mené par le président de la General Entertainment Authority locale, Turki al-Alshikh. Où on retrouvera également une folle et rare soirée de boxe le 23 décembre prochain – date d’abord prévue pour Fury-Usyk mais le premier a dû prendre plus de temps après son combat face à Francis Ngannou fin octobre à… Riyad – avec au programme sur la même carte les deux autres stars des lourds, Anthony Joshua et Deontay Wilder, qui devraient ensuite revenir s’affronter en Arabie saoudite s’ils s’imposent contre respectivement Otto Wallin et Joseph Parker, mais aussi plusieurs autres étoiles de la discipline (Bivol, Jai Opetaia, Filip Hrgovic, Daniel Dubois).
Un événement dont la conférence de presse a réuni pour la première fois Joshua et Wilder devant les mêmes micros mais aussi les promoteurs rivaux Eddie Hearn (Matchroom Boxing) et Frank Warren (Queensberry Promotions), symbole du champ des possibles ouvert par le magot saoudien. Et la question de se poser: Riyad va-t-elle prendre la place de Las Vegas comme capitale de la boxe? "Il y a plus de plans dans les tuyaux", répond Warren, promoteur entre autres de Fury, dans l’émission The MMA Hour. Avec une raison simple à comprendre derrière. L’argent. Si al-Alshikh a convaincu Fury d’affronter Usyk, s’il a pu réunir Joshua et Wilder pour une soirée commune, s’il a pu faire partager la même pièce en public à Hearn et Warren avec un grand sourire sur le visage de chacun, il le doit aux largesses de son compte en banque.
"Une nouvelle aube pour la boxe"
L’argent n’est pas inépuisable, même en Arabie saoudite, mais ce pays n’hésite pas à l’utiliser pour se placer sur la carte du noble art, quitte à ne pas se soucier de rentrer dans ses frais. Et ça change tout. "C’est une nouvelle aube pour la boxe, poursuit Warren. L’Arabie saoudite a prouvé sans le moindre doute qu’elle allait devenir une destination pour les gros combats. Ils ont réussi à monter des combats et des cartes qu’on n’aurait pas pu mettre en place car cela n’aurait pas été viable financièrement. Eux l’ont fait. Si vous êtes fan de boxe, c’est le paradis par rapport à ça. Lors du combat Fury-Ngannou, avec Bob Arum (patron du célèbre promoteur Top Rank, ndlr), on se regardait sans y croire, à se dire qu’on n’avait jamais vu ça alors qu’on a 160 ans de promotion à nous deux. (Rires.)"
Un éden pugilistique qui ne compte pas à la dépense pour briller, comme lorsque toutes les légendes de la boxe sont invitées tous frais payés pour le combat Fury-Ngannou ou que Mike Tyson est recruté pour devenir le "coach" du Camerounais pour ce choc, et qui est appelé à durer. "Grâce à ça, vous verrez beaucoup de gros combats attendus se monter plus facilement dans les années à venir, reprend Warren. Tous les gros combats n’auront pas lieu à Riyad mais ce sera le cas pour beaucoup, surtout pendant la Riyadh Season qui court généralement d’octobre à mars. Les grands combattants vont moins s’éviter car ils vont moins chercher à faire monter les prix dans les négociations, ce qui fait parfois capoter les choses. Sous l’égide de son excellence Turki al-Alshikh, ces combats vont arriver car il fait en sorte qu’ils arrivent. C’est un moment très excitant pour la boxe."
Il s’agit bien sûr en partie de "sportswashing", l’idée d’utiliser les grands événements sportifs pour laver son image et la redorer, comme sait aussi très bien le faire le Qatar, mais cette réalité n’empêche pas le constat d’une boxe revitalisée par le flot de billets venus de l’Arabie saoudite. La situation brinquebalante de la discipline, même si ça va mieux ces dernières années, offre aux Saoudiens le cadre idéal pour devenir un de ses acteurs principaux au plus vite en offrant aux fans les combats qu’ils réclament. "C’est un peu une révolution qui arrive ici, analyse Warren. On peut aussi la voir en golf, en tennis, en Formule 1, en MMA avec l’UFC, en football où l’investissement est énorme. Ils sont de gros acteurs sur la scène mondiale du sport. Et heureusement, ils ont beaucoup d’amour pour notre discipline."
La chose durera-t-elle longtemps? Difficile à dire. Mais tant que Turki al-Alshikh et ses équipes décideront d’investir dans cette idée, les gros rendez-vous de boxe vont bel et bien se multiplier à Riyad. Et installer cette dernière pour de bon dans le paysage du noble art. "L’idée est de promouvoir Riyad et l’Arabie saoudite, rappelle Warren. C’est un peu comme quand Las Vegas a grandi. Les gens se demandaient pourquoi ils construisaient un tel truc dans le désert. Mais c’est ce qui s’est passé. Et regardez le résultat: Las Vegas est devenue la capitale du divertissement. Ils font de gros combats là-bas car les casinos sont prêts à payer cher pour attirer ces combats. C’est la même chose."
Et le promoteur de développer: "C’est comme pour tout. Au début, il faut payer cher son billet d’entrée pour pouvoir faire des choses. Mais au bout d’un moment, ça tourne. L’endroit devient incontournable, il faut y être, et c’est ce qui va arriver. Les Saoudiens ont le projet d’une nouvelle grande ville sans voitures, The Line, qui sera la capitale du divertissement. Et c’est le début de tout ça. (…) Ils ont un coup d’avance. L’investissement est énorme, bien sûr, et à un moment il faut que les comptes s’équilibrent. Je pense que ça arrivera quand ce lieu sera établi comme une grosse destination pour notre sport." Très bon vendeur, c'est son métier, Frank Warren conclut avec un argument pour convaincre un peu plus les fans de boxe qui vivent de notre côté de l’Atlantique: "Si vous êtes en Europe, vous pourrez voir ces combats en prime time et pas en pleine nuit comme quand c’est à Las Vegas. C’est une bonne nouvelle pour les fans européens!"