Boualem Sansal, Sahara occidental... Pourquoi les relations se tendent à nouveau entre la France et l'Algérie

Rien ne va plus entre Paris et Alger. Le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot a émis ce dimanche 5 janvier des "doutes" sur la volonté d'Alger de respecter la feuille de route des relations bilatérales franco-algériennes, au moment où les tensions entre les deux pays sont au plus haut.

"Nous avons en 2022 (...) rédigé une feuille de route (...), nous tenons à ce (qu'elle) puisse être suivie", a déclaré le ministre des Affaires étrangères lors d'un entretien sur la radio RTL.

"Mais nous observons des postures, des décisions de la part des autorités algériennes qui nous permettent de douter de l'intention des Algériens de se tenir à cette feuille de route. Parce que pour tenir la feuille de route, il faut être deux", a-t-il ajouté.

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"Nous souhaitons entretenir les meilleures relations avec l'Algérie (...) mais ce n'est pas le cas aujourd'hui", a regretté le ministre français.

Arrestation de Boualem Sansal

En 2022, après une crise entre Paris et Alger sur la question des visas accordés aux ressortissants algériens, les chefs d'État français et algérien avaient signé à Alger une prometteuse "déclaration pour un Partenariat renouvelé entre la France et l’Algérie". Mais ces derniers mois, plusieurs dossiers brûlants ont de nouveau agité les relations déjà houleuses entre les deux bords de la Méditerranée.

Le dernier épisode en date est celui de l'incarcération mi-novembre de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, connu pour ses critiques envers le régime d'Alger. Âgé de 75 ans, il a été transféré dans "une unité pénitentiaire de soins", selon son éditeur Antoine Gallimard, PDG des éditions du même nom.

L'auteur de 2084: la fin du monde, naturalisé français en 2024, est poursuivi en vertu de l'article 87 bis du code pénal, qui sanctionne "comme acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l'État, l'intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions".

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Selon Le Monde, le pouvoir algérien reproche notamment à Boualem Sansal son entretien au site identitaire français Frontières, dans lequel il reprend notamment la position du Maroc selon laquelle le territoire du royaume aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l'Algérie.

"Imposteur"

Fin décembre, face au parlement, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a évoqué pour la première fois l'arrestation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, en le qualifiant d'"imposteur" envoyé par la France, selon le site d'information algérien TSA.

"Vous envoyez un imposteur qui ne connaît pas son identité, ne connaît pas son père et vient dire que la moitié de l'Algérie appartient à un autre État", a-t-il asséné.

De son côté, Emmanuel Macron a estimé ce lundi 6 janvier que l'Algérie se "déshonore" en ne libérant pas l'écrivain franco-algérien. "L'Algérie que nous aimons tant et avec laquelle nous partageons tant d'enfants et tant d'histoires entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner. Ce n'est pas à la hauteur de ce qu'elle est", a-t-il dit devant les ambassadeurs français réunis à l'Élysée.

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"Et nous qui aimons le peuple algérien et son histoire, je demande instamment à son gouvernement de libérer Boualem Sansal", a-t-il ajouté.

Déjà ce dimanche, Jean-Noël Barrot s'était déclaré "très préoccupé par le fait que la demande de libération adressée par Boualem Sansal et ses avocats a été rejetée". "La France est très attachée à la liberté d'expression, la liberté d'opinion et considère que les raisons qui ont pu conduire les autorités algériennes à l'incarcérer ne sont pas valables", avait ajouté le ministre.

Tensions autour du Sahara occidental

L'arrestation de Boualem Sansal s'inscrit dans un contexte de fortes tensions diplomatiques depuis que la France a reconnu, l'été dernier, la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Cette ex-colonie espagnole est contrôlée à 80% par le Maroc mais est revendiquée par les indépendantistes du Front polisario, soutenus par l'Algérie.

En réponse, Alger a ordonné avec "effet immédiat" le retrait de son ambassadeur à Paris fin juillet, dénonçant un "pas qu’aucun autre gouvernement français avant lui n’avait cru devoir franchir".

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Depuis, les relations entre les deux pays n'ont cessé de se tendre. Début octobre, le président Tebboune a rejeté l'idée d'une visite à Paris. Le déplacement du président algérien, sans cesse repoussé depuis mai 2023, était dernièrement prévu entre fin septembre et début octobre 2024.

Mi-décembre, le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur de France à Alger pour adresser "une sévère mise en garde" à Paris, accusée d'avoir mené "des opérations et manœuvres agressives" pour "déstabiliser" le pays, sans préciser leur nature.

La guerre d'Algérie toujours débattue

Ces dernières semaines, le président Tebboune a également ravivé les tensions mémorielles de la colonisation française et de la guerre d'indépendance de l'Algérie. Dénonçant des "mensonges sur l'Algérie", il accuse la France d'avoir commis un "génocide" dans son pays.

Le président algérien a également demandé à Paris de "venir nettoyer les sites des essais nucléaires" réalisés par la France dans le Sahara Algérien entre 1960 et 1966. Des documents déclassifiés en 2013 ont révélé des retombées radioactives encore importantes, s'étendant de l'Afrique de l'Ouest au sud de l'Europe. Des accusations lourdes qui surviennent alors qu'un travail mémoriel avait été entamé entre les deux pays.

Après avoir dénoncé un "crime contre l’humanité" français en Algérie durant sa campagne de 2017, Emmanuel Macron s'était fixé parmi ses objectifs diplomatiques de réconcilier les mémoires française et algérienne, tout en refusant d'entamer une démarche de "repentance".

En 2020, il avait confié à l'historien Benjamin Stora la rédaction d'un rapport sur "les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie". Mais le texte a été qualifié de "non objectif" par Alger qui a critiqué l’absence de "reconnaissance officielle par la France des crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés pendant les 130 années de l’occupation".

Lors de sa visite de 2022, Emmanuel Macron et son homologue algérien ont annoncé la création d'une commission d’historiens français et algériens sur la colonisation, qui s'est réunie pour la première fois en 2023. Malgré les tensions entre les deux pays, Emmanuel Macron s’est dit en septembre dernier "déterminé" à "poursuivre le travail de mémoire, de vérité et de réconciliation".

Article original publié sur BFMTV.com