Du bon usage des manifestes

On lira dans ce numéro deux textes, l’un fort court, tout juste une pétition, émanant de Turquie, l’autre beaucoup plus long, venu de Chine par le Net. Le premier, qui exprime la honte d’un certain nombre d’intellectuels turcs face au déni touchant le massacre des Arméniens en 1915, s’apparente au Manifeste des 121 qui secoua les consciences françaises en 1960 à propos du drame algérien. Le second texte, qui demande au pouvoir de Pékin plus de liberté, fait pour sa part penser à la Charte 77 des dissidents tchèques d’il y a trente ans.
Qu’il s’agisse du texte de Václav Havel ou de celui de Blanchot et Mascolo, ces manifestes n’ont guère eu d’effet politique à court terme. Mais ils ont semé quelques graines d’une idéologie nouvelle qui allaient germer dans les esprits. Il en sera de même des appels turcs et chinois. Mais, au Moyen-Orient, où sont les pétitions, où sont les manifestes porteurs d’une autre idéologie que la haine ? Il y eut dans le passé beaucoup de déclarations de bonne volonté. Il y a dans chaque camp des consciences modérées, ouvertes au dialogue entre Juifs et Palestiniens, mais elles sont de peu de poids face aux forces extrémistes – colons ou islamistes armés. Il y eut même en 2003 une “Initiative de Genève”, préparée par d’anciens ministres, Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, qui proposait une solution de paix… Mais, précisément, cet accord était peut-être trop pragmatique. Or, le conflit entre Israël et ses voisins est marqué par les symboles, l’idéologie, le religieux. C’est pourquoi il est temps pour chaque camp de dire les choses crûment, de mettre le doigt dans sa propre plaie, comme les intellectuels turcs. Début décembre, lorsque des colons juifs ont attaqué des civils palestiniens, Ehoud Olmert a osé employer le mot de “pogrom”. L’action du même Olmert à Gaza réduit malheureusement à néant l’audace de ses propos. Et Amos Oz, un écrivain souvent courageux, a appelé ces derniers jours à des représailles contre Gaza… Du côté palestinien, il faut aussi un appel qui dise son fait à la fois au Hamas et au Fatah. Car, ne l’oublions pas, le premier est sans doute minoritaire à Gaza, tandis que le second est largement discrédité. Tant que chaque peuple belligérant ne trouvera pas la force de regarder ses vérités en face, le conflit n’aura pas d’issue.

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