Bombes anti-bunkers, renseignements... Comment Israël a éliminé Hassan Nasrallah au Liban
Une opération complexe. Israël a tué le vendredi 27 septembre le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah dans une frappe près de Beyrouth, portant un coup dévastateur au mouvement armé libanais soutenu par l'Iran. Une telle offensive est la conclusion d'un travail d'ampleur mené par les services de renseignements israéliens.
Vendredi, l'armée israélienne a envoyé plusieurs avions de chasse israéliens équipés de bombes anti-bunkers, direction le Liban, pour frapper le siège du Hezbollah. Après plusieurs heures d'incertitude, l'armée israélienne annonce samedi avoir "éliminé" Hassan Nasrallah. D'abord silencieux, le Hezbollah confirme la mort de son chef le lendemain.
Cyberguerre, electromagnétique et imagerie...
Selon un communiqué militaire israélien, Ali Karaké, présenté comme le commandant du front sud du Hezbollah, ainsi que d'autres cadres, ont été tués dans cette même opération. Abbas Nilforoushan, adjoint du chef des Gardiens de la Révolution, armée idéologique d'Iran, a également été abattu, d'après l'agence iranienne Irna. Le Hezbollah parle simplement de quatre morts ce lundi.
Pour mener une telle opération, alors qu'Hassan Nasrallah apparaissait rarement en public et était très discret sur ses déplacements, le Mossad a réalisé une importante préparation. "Nous avons utilisé les renseignements que nous avions recueillis depuis des années, nous disposions d'informations en temps réel et nous avons effectué cette frappe", a assuré vendredi à des journalistes le lieutenant-colonel Nadav Shoshani, porte-parole de l'armée israélienne.
Des déclarations que ne remettent pas en cause les experts. L'ancien colonel de l'armée américaine, Cedric Leighton, estime auprès de CNN que l'opération a nécessité une "préparation importante".
"(Le Mossad) devait non seulement suivre les déplacements de Nasrallah, mais aussi déterminer son mode de vie" avant de frapper, explique l'ex-colonel. Pour cela, les services de renseignement israéliens se sont appuyés sur différents types de sources, "d'origine électromagnétique, humains et d'imagerie", explique-t-il.
La réputée unité militaire 8.200 de l'armée israélienne, en charge du renseignement d'origine électromagnétique et de la cyberguerre, s'est notamment avérée précieuse, selon Raphaël Jerusalmy.
Une probable infiltration du Hezbollah
Pour Miri Eisen, colonel à la retraite et chercheuse à l'Institut international israélien de lutte contre le terrorisme de l'Université Reichman, en Israël, l'une des réussites du Mossad est d'avoir réussi à "s'infiltrer dans les sphères du Hezbollah".
L'ancien officier Raphaël Jerusalmy estime notamment que le Mossad a dû bénéficier d'une "confirmation visuelle" qu'Hassan Nasrallah était bien entré vendredi dernier dans le QG du Hezbollah. Cette confirmation "doit venir de quelqu'un qui est physiquement sur place et voit la cible pénétrer dans l'immeuble que l'on doit viser" pour que l'armée israélienne soit certaine de ne pas rater sa cible.
"Cette confirmation visuelle vient, en général, de complicité locale pour ne pas dire interne au Hezbollah, agent double ou pas", dit-il. Elle signe dans tous les cas "la profondeur avec laquelle Israël a pénétré le Hezbollah", note le spécialiste du Moyen-Orient James Dorsey.
Matthew Savill, analyste militaire pour le Royal United Services Institute (Rusi) britannique, abonde. L'élimination d'Hassan Nasrallah est le fruit de plusieurs "années à établir un plan complet" de l'organisation des renseignements du Hezbollah qui disposait forcément de "sources humaines" pour "le maintenir à jour", soutient-il auprès de Reuters.
Les communications du Hezbollah coupées
Selon plusieurs experts, l'explosion simultanée de bipeurs, puis de talkies-walkies du Hezbollah, survenue mi-septembre et attribuée à Israël, fait aussi partie de ce travail mené en amont.
Ces explosions ont "ramené les communications du Hezbollah à l'âge de pierre", écrit dans une note l'historien spécialisé dans le monde arabe Robert Satloff, de l'Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient.
Raphaël Jerusalmy, ancien officier du renseignement militaire de l'armée israélienne, estime auprès de BFMTV que cette opération de destruction des appareils de communication utilisés par le Hezbollah, couplée à "l'émission de signaux et de désinformation comme quoi Israël était sur le point de rentrer terrestrement au sud Liban et d'attaquer Beyrouth" a mis le Hezbollah au pied du mur.
"Ça a obligé les hauts dirigeants du Hezbollah à une réunion d'urgence et, n'ayant plus les moyens de communication qu'ils avaient par le passé, ils étaient obligés de se rencontrer physiquement", explique Raphaël Jerusalmy. Hassan Nasrallah s'est retrouvé ainsi contraint d'aller au siège du Hezbollah, sur lequel l'armée israélienne a pu lancer ses frappes vendredi.
Une technologie sophistiquée
En outre, l'opération israélienne s'est appuyée sur des "moyens technologiques" particulièrement sophistiqués pour mener son opération. Elle a frappé le QG du Hezbollah avec des chasseurs F-151, soit des avions de chasse puissants, capables de détruire des bunkers.
Selon le New York Times, l'analyse d'une vidéo de l'armée indique que les avions impliqués dans l'attaque étaient "équipés d'au moins 15 bombes de 2.000 livres" (environ 900 kg) chacune. Celle-ci montrait huit avions équipés d'au moins 15 bombes de 2000 livres, dont le BLU-109 de fabrication américaine. Ces bombes, connues sous le nom de "bunker-busters" (bombes anti-bunkers), peuvent pénétrer profondément sous terre avant d'exploser.
Justin Bronk, expert en aviation chez Rusi indique au Guardian qu'environ 100 munitions ont été utilisées et que des bombes ont été larguées "toutes les deux secondes", détruisant entièrement trois immeubles.
Pour l'analyste militaire chez Rusi, Matthew Savill, cette opération permet de voir sous un nouvel œil "l'échec de l'identification et de la prévention de l'opération du Hamas" par Israël le 7 octobre 2023. "Cela donne de la crédibilité à la théorie selon laquelle, (le Mossad) s'est concentré sur le Liban et l'Iran aux dépens de Gaza", estime-t-il.