Les bois de Rouvray, ce "cimetière" d'Émile Louis où le tueur en série enterrait ses victimes
De nouvelles fouilles sont en cours à Rouvray dans l'Yonne, dans un bois où au moins deux victimes du tueur en série Émile Louis avaient été retrouvées.
Les sous-bois de Rouvray, petite commune de l'Yonne, vont-ils livrer leurs derniers secrets? Une vaste campagne de fouille a débuté ce mardi 24 septembre, afin de retrouver les restes d'une possible huitième victime d'Émile Louis.
En 2018, une voûte crânienne avait été découverte sur le site actuellement fouillé par les gendarmes. En mars dernier, les ossements ont été identifiés comme étant ceux de Jeanne Ambroisine Coussin, une mère de famille disparue en 1975.
Cette femme ne fait pas partie des sept "disparues de l'Yonne", un dossier dans lequel Émile Louis a été condamné à la perpétuité en 2004. Pourtant, de lourds soupçons pèsent sur le tueur en série. Le crâne a en effet été découvert à seulement quelques centaines de mètres de l'endroit où il avait enterré deux de ses victimes.
Terrain de pêche
Suspecté très tôt d'être responsable de la disparition de sept jeunes filles de la DDAS entre 1975 et 1979, Émile Louis échappe longtemps à un procès, profitant des errements du tribunal d'Auxerre. S'il est condamné, en 1983 et 1989, à cinq ans de prison pour des agressions sexuelles sur mineurs, il reste hors de cause dans l'affaire des "disparues de l'Yonne".
Mais plus de vingt ans après les faits, son passé criminel le rattrape. Le 12 décembre 2000, des gendarmes débarquent chez lui à Draguigan (Var) où il a emménagé dans les années 80. Placé en garde à vue, Émile Louis passe aux aveux, convaincu que les faits sont prescrits. L'ancien chauffeur de car reconnaît les sept meurtres, et accepte de montrer aux enquêteurs où sont enterrés les corps.
Le 14 décembre, quelques heures avant la fin de sa garde à vue, il conduit les enquêteurs à Rouvray, sur les bords de la rivière Serein où il aimait pêcher plus jeune. C'est là, entre champs et forêts, qu'il montre aux gendarmes ce qui sera considéré comme son "cimetière" personnel.
"Il ne fait aucun commentaire, il nous montre avec son bras, par un geste, l’emplacement où il pense avoir enterré les corps", raconte le major Éric Barou, de la section de recherche de Paris, dans le documentaire La conspiration du silence (France Télévisions).
Les différents sites sont répertoriés, numérotés de 1 à 7.
Robe et paire de sandales
Les fouilles débutent dès le lendemain. Des tractopelles retournent la terre humide. Le 18 décembre au matin, un premier corps est découvert, à une quinzaine de mètres d'une mare désignée par Émile Louis. Il s'agit de Madeleine Dejust, 21 ans, qui prenait régulièrement le car du tueur pour se rendre à Auxerre. Sous les ossements, on retrouve des vêtements d'été, une robe, une paire de sandales...
Plus loin, à l'emplacement n°2, on déterre d'autres objets, des produits de beauté, une montre, un sac... Les enquêteurs remontent jusqu'à Françoise Lemoine, 27 ans, ancienne compagne d'Émile Louis et l'une des sept disparues. Au total, des centaines de vêtements et d'autres effets personnel sont retrouvés dans la terre.
Le 4 janvier, on exhume un second corps. Celui de Jacqueline Weiss, une jeune femme de 18 ans placée dans la famille d'Émile Louis. La disposition des ossements laisse entrevoir les sévices infligés à la victime: les bras sont noués dans le dos et une boule de tissu est enfoncée dans la mâchoire.
Cette découverte, glaçante, n'est pas sans rappeler un autre crime bien connu des enquêteurs. À quelques mètres de là, en 1981, le corps de Sylvianne Lesage, 22 ans, avait été retrouvé sous un tas de fumier. Elle aussi avait été ligotée les bras dans le dos, la bouche bâillonnée. Inculpé pour ce meurtre, Émile Louis avait bénéficié d'un non-lieu en 1984.
Après plusieurs semaines de fouille, les gendarmes ne retrouveront pas la trace des cinq autres disparues: Françoise et Bernadette Lemoine, Christine Marlot, Chantal Gras et Martine Renault. "Le Serein est régulièrement en crue et érode les berges. Les corps ont pu être emportés par les eaux", explique à BFMTV.com Me Corinne Herrmann, avocate des familles des victimes.
Retour sur les lieux
Le procès des "disparues de l'Yonne" s'ouvre en novembre 2004 à Auxerre. Condamné quelques mois plus tôt pour viols et actes de barbarie sur son épouse, Émile Louis a changé de version après avoir appris que la prescription était levée. Désormais, il nie les sept crimes.
Fait rare dans un procès, le président de la Cour d'assise décide d'organiser un "transport" à Rouvray, sur le "cimetière" d'Émile Louis.
"Toute la Cour s'est déplacée: l'accusé, les magistrats, les avocats et les jurés. On était véhiculés dans des camions de l'armée. 200 gendarmes et militaires étaient mobilisés pour assurer la sécurité. C'était un dispositif assez exceptionnel", se souvient Me Corinne Herrmann.
Bottes blanches aux pieds, casquette de trappeur sur la tête, Émile Louis entame un macabre parcours. Encadré par plusieurs policiers, il revient sur chacune des zones qu'il avait désignées aux enquêteurs quatre ans plus tôt.
Toute la Cour le suit. Les familles des victimes sont en pleurs, relate un reporter du Parisien à l'époque. "Lui n'a pas beaucoup d'émotion, il nous dit que les lieux ont beaucoup changé", se souvient Corinne Herrmann.
Émile Louis parle peu. S'il confirme avoir désigné ces zones à l'époque, il nie désormais y avoir enterré ses victimes. "J'en avais marre. J'ai dit ça au hasard. Je voulais me débarrasser de cette histoire", plaide-t-il. Une version à laquelle ne souscrivent pas les jurés.
Émile Louis est condamné le 25 novembre 2004 à la réclusion à perpétuité. Il interjette appel, mais la peine est confirmée en 2006. En 2007, le tueur voit son pourvoi en cassation rejeté. Émile Louis s'éteint en 2013, emportant avec lui de nombreux mystères. Où sont les corps des cinq autres "disparues de l'Yonne"? Est-ce bien lui qui a tué Sylvianne Lesage? A-t-il fait d'autres victimes?
Nouvelles fouilles
Plus de vingt après la découverte des premiers corps, les gendarmes sont aujourd'hui de retour à Rouvray. Le vaste champ de fouilles couvre "un bois d'environ 8000 m2", a précisé à l'AFP le procureur de la République à Auxerre, Hugues de Phily.
Au bord de la zone, trois barnums blancs ont été installés et une dizaine de véhicules de gendarmerie barrent l'accès au bois. Les recherches impliquent le groupement de gendarmerie de l'Yonne, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), ainsi qu'une quarantaine de militaires du génie. Quelque 140 gendarmes et militaires y participent.
"Le terrain est accidenté et rend les recherches particulièrement difficiles pour le moment", a indiqué le procureur. Entamées mardi, les investigations ne devraient donc pas s'arrêter avant le 4 octobre, selon la gendarmerie.
"Aucun reste humain n'avait été trouvé à cet endroit lors de précédentes fouilles", a expliqué le procureur, mais les recherches avaient alors été "partielles".
Le spectre de Michel Fourniret
"La famille de Mme Coussin espère que ces recherches permettront de donner un lieu de sépulture digne à leur proche et de faire toute la lumière sur les circonstances exactes de cette disparition", a indiqué dans un communiqué Didier Seban, avocat de la famille de Marie-Janne Ambroisine Coussin. Mais, outre l'affaire Coussin, les recherches visent également à "vérifier l'hypothèse d'un lieu de cache d'autres corps", reconnaît le procureur.
Me Corinne Herrmann garde espoir de retrouver les restes des cinq dernières disparues de l'Yonne. Mais l'avocate n'écarte pas la possibilité de tomber sur les corps d'autres femmes disparues dans la région.
"On reste aux aguets concernant les crimes commis par Michel Fourniret dans l'Yonne. Le corps de Marie-Angèle Domèce n'a toujours pas été retrouvé", rappelle-t-elle.