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Seizième round : le discours de Hollande sur la finance est-il populiste ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely de Causeur.fr et Pierre Haski, cofondateur de Rue89, s'interrogent sur le discours du Bourget de François Hollande.

« L'ennemi, c'est la finance » : de quoi l'attaque de Hollande est-elle le nom ?

Par Pierre Haski

Qui a dit :

« Face à un capitalisme financier devenu fou à force de n'être soumis à aucune règle, serait-il raisonnable d'attendre encore ? »

Ou encore :

« Une certaine idée de la mondialisation s'achève avec la fin d'un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l'économie et avait contribué à la pervertir. L'idée de la toute puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. L'idée que les marchés ont toujours raison était une idée folle. […] Comment admettre que tant d'opérateurs financiers s'en tirent à bon compte alors que pendant des années, ils se sont enrichis en menant tout le système financier à la faillite ? »

S'agit-il d'extraits du brûlot de François Hollande, prononcé dimanche dernier au Bourget face à des milliers de bolcheviks, euh pardon, de socialistes déchaînés ?

Non, évidemment non. Il s'agit de Nicolas Sarkozy, président de la République française :

_ la première citation est extraite d'un discours prononcé le 15 juin 2009 devant l'Organisation internationale du travail (OIT) — un texte que n'aurait pas renié José Bové ;

_ la seconde est tirée de son célèbre « discours de Toulon 1 », le 25 septembre 2008, peu de temps après le début de la crise des subprimes.

« Virage à gauche »

Cela ne signifie pas, évidemment, que « l'ennemi, c'est la finance » de François Hollande ne soit qu'une pâle redite des discours de Nicolas Sarkozy ; cela permet juste de relativiser les cris d'orfraie poussés par les ténors de l'UMP et leurs relais qui dénoncent le « virage à gauche » du candidat socialiste qui mettrait la France en péril en s'en prenant ainsi, de front, au monde de la finance.

La surprise de ces réactions est que ce passage-là ait pu... surprendre. C'est son absence qui aurait dû inquiéter les partisans du candidat, réjouir ses rivaux de gauche qui dénoncent sa « mollesse », et permis à ses adversaires de droite de l'accuser d'avancer masqué.

Car quoi de plus banal aujourd'hui, et les citations ci-dessus de Nicolas Sarkozy sont là pour le prouver, que de pointer du doigt ce capitalisme financier qui a précipité le monde industriel dans la catastrophe actuelle ?

C'est, pour un candidat au suffrage universel, se mettre en phase avec le sentiment, ou plutôt le ressentiment populaire dans l'ensemble du monde occidental, parfaitement résumé par le slogan « nous sommes les 99% » du mouvement « Occupy Wall Street » aux États-Unis : la crise est provoquée par 1% de la population, mais ce sont les 99% autres qui trinquent.

Ce que ce florilège de petites phrases assassines montre clairement, en revanche, c'est qu'il ne suffit pas de les prononcer pour que la réalité qu'elle décrivent disparaisse par enchantement. Là encore, Nicolas Sarkozy, Président de la parole, montre la voie : la radicalité de ses déclarations de 2008-2009, Toulon et l'OIT pour ne prendre que ces deux discours, tranche avec la maigreur des changements obtenus depuis.

« Business as usual »

Il devait y avoir un avant et un après la crise des subprimes et la surpuissance du monde et des mécanismes de la finance ? Il y a au contraire un « business as usual », bonus inclus, à part quelques changements à la marge, qui explique en partie la rechute de 2011.

La seule interrogation concernant la phrase de François Hollande sur la finance, c'est ce qu'il en fera, en quoi elle est réellement une indication du type de politique qu'il entend suivre s'il est élu le 6 mai. Et là, les soupçons de la gauche de la gauche, en clair de Jean-Luc Mélenchon, sont légitimes.

Quand Hollande dénonce la finance, on entend l'écho de François Mitterrand s'en prenant aux « puissances de l'argent », dont on sait qu'il n'a pas toujours rechigné à composer avec elles.

Si les mots ont un sens, « l'ennemi, c'est la finance » est surtout un message à peine codé envoyé au « peuple de gauche » qui attend de son candidat probable du deuxième tour qu'il n'oublie pas les valeurs dont il est issu et qu'il est censé défendre.

L'International Herald Tribune, l'édition internationale du New York Times, ne s'y est d'ailleurs pas trompé, lorsqu'il publie une chronique de Reuters Breakingviews :

« Les banquiers, traders et gestionnaires de fonds français ne devraient pas trop se précipiter pour acheter un biller aller-simple pour quitter Paris si François Hollande devient Président en mai prochain. »

Et d'ajouter : « Les changements sérieux que M. Hollande a proposés ne sont pas effrayants, et ceux qui sont effrayants parmi ceux qu'il a esquissés ne sont pas sérieux. » Bien vu.

Pierre Haski

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Ah ça ira, les financiers à la lanterne !

Par Gil Mihaely

Au Bourget, le 22 janvier 2012, tout comme à Paris le 11 novembre 1630, la journée des dupes tombait un dimanche… Cette fois, les premiers à être pris pour des dupes sont l'ensemble des Français à qui François Hollande affirmait sans broncher « La gauche, je l'ai dirigée avec Lionel Jospin, quand nous gouvernions ensemble le pays avec honneur et j'en revendique les avancées. » Ainsi apprend-t-on que quand on croyait naïvement être gouvernés entre 1997 et 2002 par Chirac à l'Elysée et Jospin à Matignon, c'est en réalité François Hollande qui dirigeait le pays depuis Solferino. On savait que de toutes les critiques celle qui a le plus touché Hollande concerne son manque total d'expérience gouvernementale, mais en poussant la contrevérité jusqu'au ridicule le candidat la crédibilise plus que jamais.

Dans le même registre comique, on peut relever une autre perle : doubler le plafond du livret A. À votre avis, qui en profitera ? Qui détient déjà des Livrets A affichant 15 300 euros au compteur et qui est en mesure de doubler la mise ? Eh bien, ces happy few se voient promettre un nouveau cadeau fiscal, « la niche Hollande » qui leur permettra d'échapper à l'impôt sur 15 300 euros de plus ! Ça, c'est du social !

Mais ceux que le candidat Hollande prend vraiment pour des, disons le gentiment, simples d'esprits, sont ses propres partisans et plus généralement ce qu'on appelle le peuple de gauche. Comme l'a signalé fort à propos Serge July lundi soir chez Yves Calvi, sans rien redistribuer, sans rien promettre aux chômeurs ni aux précaires, sans proposer autre chose que d'être une version sans Rolex de Nicolas Sarkozy, le candidat socialiste a enflammé la salle avec les formules les plus creuses du vocabulaire de la gauche. En réalité, il a fait bien pire : il a sciemment flatté les plus viles passions - la jalousie, la haine et la chasse aux boucs émissaires.

Il a d'abord arrosé son public de mots clés évoquant la Révolution. Avec le mot « égalité » répété 39 fois, Hollande a planté le décor. La liberté, quant à elle, a eu droit seulement à 7 occurrences. Voilà qui démontre la véritable hiérarchie des valeurs d'un homme réduisant sournoisement ce qui peut être une noble aspiration à sa plus triste dimension : l'envie. Cela fait, le candidat fait entrer l'accusé, que dis-je, le condamné sans jugement : la finance.

L'Ennemi par excellence est, selon ses propres termes, « sans nom, sans visage, sans parti », mais celui qui « pourtant [nous] gouverne » et qui a pris le contrôle de nos vies. Pour donner tout de même un petit indice à ceux qui envisagent de partir à la chasse, Hollande désigne les « 1 % des Français privilégiés se séparent du reste de la société. Ils vivent à côté de nous mais ils ne vivent déjà plus avec nous. » Pour le candidat socialiste qui n'hésite pas à évoquer la nuit du 4 août 1789 et l'abolition des privilèges, cela ne fait pas de doute : « la finance » du discours du Bourget n'est autre que la version 2.0 des « Aristos» , ce groupe à contours flous qui accueillait pendant quelques tristes années les ennemis des sans-culottes, quelles que soient leur naissance et leur fortune…

Pour quelqu'un qui ne cesse d'accuser son adversaire de diviser les Français, c'est fort de café de désigner à la vindicte populaire non plus 200 familles, comme au temps du Front Populaire, mais 200 000 (soit grosso modo ce fameux 1% des ménages parasites). Va-t-on demander à son voisin s'il en est, avant de savoir si on doit ou non continuer à lui dire bonjour ?

Et puis, soyons francs : « la finance », ça ne veut rien dire et ce flou prémédité cache, comme disait la grand-mère de Martine Aubry, un loup. Désigner un ennemi imaginaire et indéfini permet de masquer sa complicité avec le véritable adversaire. Car si ce qu'Hollande appelle « la finance » a pris les dimensions qu'il lui attribue c'est d'abord parce que tous nos gouvernements (y compris quand François Hollande, assisté par Jospin et Chirac, était au pouvoir…) ont décidé d'interdire aux banques centrales de leurs prêter de l'argent à taux d'intérêt raisonné ! C'est le principe- érigé en article de foi- selon lequel les déficits publics doivent être financés par les marchés qui a permis les dérives d'un système pourtant essentiel. Mais là-dessus pas un mot. Pas un mot sur la BCE ni sur l'Euro, pas une proposition pour priver d'oxygène les pires dérives financières.

On comprend mieux, à ce tarif, l'insistance de François à tacler l'homme en face de lui, et surtout l'homme. Parce que le discours hollandiste est non seulement flou, mais il n'est même pas original… Le candidat copie le président actuel qui, pas plus tard que jeudi dernier, lors de ses vœux au monde économique, attribuait la responsabilité de la crise à un seul coupable, « le dérèglement de la finance », en avançant d'ailleurs les mêmes non-solutions que son adversaire socialiste.

On pourrait comprendre, à la rigueur, que nos deux prétendants pillent réciproquement leurs programmes sur ce qu'ils ont de meilleur. Mais qu'ils se pastichent l'un l'autre pour fustiger un ennemi fantasmé contre lequel ils ne peuvent ni ne veulent agir n'est pas de bon augure.

Gil Mihaely

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