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Dix-septième round : Sarkozy a-t-il déjà perdu ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Luc Rosenzweig de Causeur.fr et Eric Dupin, de Rue89, s'interrogent sur la défaite annoncée de Nicolas Sarkozy.

Comment Sarkozy sera-t-il battu ?

Par Eric Dupin

Sauf incroyable rebondissement, Nicolas Sarkozy a déjà perdu l'élection présidentielle. Mais François Hollande n'est pas encore assuré de l'emporter. Et, surtout, de fortes incertitudes pèsent sur les conditions de la probable victoire du candidat socialiste. Tels sont désormais les enjeux de la campagne.

Un Président près de la sortie

Sans marquer de véritable tournant, la semaine dernière a installé un rapport de force très défavorable au Président sortant. Trois enquêtes d'intentions de vote (celles de BVA, de l'Ifop et de TNS-Sofres) ont été réalisées après l'intervention multitélévisée de Sarkozy de ce dimanche. Ils prennent en compte les effets du discours du Bourget et de la présentation du programme de Hollande.

Le verdict est sans appel. Le candidat socialiste écrase toujours le Président-candidat avec des scores exceptionnels à ce stade de la campagne (57 à 58% au second tour). Il conforte son avance au premier tour (31 à 34% contre 24,5 à 26%).

Contrairement à ce qui a souvent été affirmé, les enquêtes d'intentions de vote de la fin janvier sont pertinentes quant à l'équilibre global de l'électorat. En 1988, 1995 et 2007, elles indiquaient déjà le camp gagnant. En 1981 et 2002, elles révélaient que les jeux étaient très ouverts.

La dernière vague de sondages conforte la probabilité d'un duel Hollande-Sarkozy au second tour. A ce stade de la campagne, on ne peut cependant pas exclure deux hypothèses.

1. Le scénario (possible) de Marine Le Pen au second tour

Au cours de la dernière séquence, Sarkozy semble avoir solidifié son socle électoral. Les dernières enquêtes situent Marine Le Pen dans la fourchette de 15 à 19% avec une tendance à la baisse.

L'épisode du bal viennois de la candidate, venu rappeler de sulfureuses accointances d'extrême droite, risque de lui coûter cher. Mais le niveau réel de Le Pen est difficile à mesurer précisément et la dynamique d'une campagne peut encore lui être profitable.

Ses chances de devancer le Président sortant s'éloignent sans disparaître. Une telle hypothèse n'exposerait pas seulement Sarkozy au risque d'une humiliante élimination dès le 22 avril. Elle condamnerait simultanément Hollande à une victoire bien peu glorieuse contre l'extrême droite. On comprend que les socialistes redoutent, eux aussi, pareille configuration.

2. Le scénario (peu probable) de Bayrou au deuxième tour

Ils craignent moins aujourd'hui la qualification de François Bayrou pour le second tour. Le candidat centriste voit ses courbes d'intentions de vote se retourner après une phase de forte progression à la fin de l'année dernière. Crédité de 11,5% à 12% dans les toutes dernières enquêtes, il lui faudrait un nouveau rebond de grande ampleur.

Devenir le candidat de droite alternatif à Sarkozy (plutôt que le candidat alternatif à Hollande) serait sans doute la seule voie permettant à Bayrou de se qualifier pour le second tour. La défaite annoncée du Président sortant dans les sondages et les propres chances de Bayrou de l'emporter face à Hollande pourraient théoriquement faciliter un transfert du « vote utile » de droite sur sa candidature.

Tout cela reste pourtant très théorique. Sarkozy dispose d'un socle d'électeurs de droite légitimiste et âgé relativement incompressible. En outre, ses électeurs sont aujourd'hui les plus déterminés : 73% d'entre eux se disent « sûrs de leur choix » d'après l'Ifop. Et, parmi les 27% de « sarkozystes » qui pourraient changer d'avis, seulement 9% choisiraient Bayrou en « second choix ».

Au demeurant, Bayrou ne peut guère aller trop loin dans son virage à droite s'il ne veut pas perdre la composante importante de son électorat qui ne penche pas de ce côté. Le candidat du MoDem est celui qui a les soutiens les moins assurés : 69% de ses électeurs potentiels disent pouvoir encore changer d'avis ! Or, parmi ceux-ci, 21% envisageraient de voter Hollande contre seulement 14% Sarkozy. Bref, la partie s'annonce bien difficile pour le champion du centre.

3. Le scénario central : Sarkozy-Hollande (avec deux inconnues)

Le plus probable reste un duel Hollande-Sarkozy le 6 mai. Avec la victoire du candidat socialiste en perspective. Dans cette hypothèse, on peut distinguer deux inconnues qui constitueront aussi des enjeux importants de la campagne :

_ La balance Bayrou-Mélenchon : les équilibres du premier tour pèseront lourd sur le prochain quinquennat. Le rapport des forces entre les candidats situés à la droite et à la gauche de Hollande, vainqueur présumé, déterminera pour une part les contours de la future majorité.

Pour simplifier (au détriment, on s'en excuse, de la candidature en difficulté d'Eva Joly), l'influence respective de François Bayrou et de Jean-Luc Mélenchon sera décisive.

Le candidat du Front de Gauche progresse tendanciellement dans les sondages. Crédité à l'heure actuelle de 7,5 à 9% des intentions de vote, il peut devancer le candidat centriste sur la ligne d'arrivée. Mélenchon dispose de soutiens d'autant plus fermes qu'ils sont plutôt âgés. Toute la question, pour lui, est de gagner un électorat populaire qui est loin d'être aujourd'hui acquis à sa cause.

_ L'ampleur de la victoire : l'enjeu, pour Hollande, est enfin de décrocher une belle victoire au soir du 6 mai. Ce n'est pas pareil de gagner avec 52% des suffrages ou avec 55%. Il n'est pas indifférent de l'emporter au terme d'une campagne vibrante qui a pleinement mobilisé l'électorat ou bien de gagner sur fond d'abstentionnisme élevé et dans l'indifférence d'une large fraction des couches populaires.

L'anti-sarkozysme reste le principal moteur du succès hollandais. Il suffira pour être élu mais pas pour assurer la qualité de la victoire du candidat socialiste. Dans un pays en crise profonde, face à un électorat plutôt sceptique et désabusé, créer une dynamique propre ne sera pas une mince affaire.

Eric Dupin

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Quelles victoires pour Nicolas Sarkozy ?

Par Luc Rosenzweig

Inutile de finasser : la probabilité d'une réélection de Nicolas Sarkozy le 6 mai 2012 est infime, et la « petite chance sur deux » qui lui est attribuée par son vespéral ami Alain Minc relève de l'euphémisme pour dire que c'est vraiment mal barré. Comment pourrait-il en être autrement ? A-t-on jamais vu un chef d'Etat ou de gouvernement gagner les élections quand le chômage explose, le pouvoir d'achat baisse et qu'on ne peut faire autrement que d'augmenter les impôts et réduire les prestations sociales ? « It's the economy, stupid ! », le bon sens clintonien vaut des deux côtés de l'océan Atlantique.

L'histoire de la Vème République nous enseigne également que les seconds mandats à l'Elysée se conquièrent dans un contexte de cohabitation, où la défense du bilan repose entièrement sur le premier ministre challenger. De plus, on arrive au bout d'un cycle décennal de pouvoir de droite, ce moment où le peuple estime que l'alternance doit jouer, pour la bonne santé de la démocratie. Enfin, la stratégie de la « rupture dans la continuité », qui fut celle de Giscard en 1974 et de Sarkozy en 2007, est un « one shot » : rompre avec soi-même est un exercice peu propice à vous attirer la faveur des électeurs.

Face à ces tendances lourdes de la vie politique, la personnalité du candidat à sa propre succession est de peu de poids, même si elle fait l'objet de gloses incessantes de la part des commentateurs.

Pourtant, ce n'est pas parce que la défaite est en vue que l'on peut faire n'importe quoi et imiter Néron versifiant pendant que Rome brûle…

En effet, toutes les défaites ne se ressemblent pas : il en est qui sont des désastres et d'autres porteuses de promesses pour le camp politique auquel on appartient. Jospin 2002 ou Ségolène Royal 2007 en sont l'illustration.

Pour Nicolas Sarkozy, accéder au second tour est donc un objectif essentiel, qui est loin d'être acquis : au début de l'année 2002, Le Pen père plafonnait autour de 10-12% dans les sondages et l'on a vu le résultat final. L'omniprésence médiatique des deux « principaux » candidats — chacun son dimanche — a fait passer au second plan la présence de deux candidats, Marine Le Pen et François Bayrou bien décidé à faire « turbuler le système », comme Chevènement le revendiquait pour son compte en 2002. Ils ne vont pas tarder à réapparaître. Dans cette perspective, l'intervention télévisée du 29 janvier de Nicolas Sarkozy était assez bien calibrée : on laisse de côté le discours « sécuritaire », qui renforce le FN, pour se concentrer sur l'économie avec des propositions douces aux oreilles du peuple de droite : la TVA plutôt que l'augmentation de l'impôt sur le revenu, les négociations sociales au niveau de l'entreprise plutôt que des « Grenelle » face aux appareils syndicaux. S'il parvient à conserver sur son nom les suffrages de la droite « bourgeoise » et empêcher qu'elle n'aille rejoindre le camp de François Bayrou, Sarkozy peut éviter le pire, un duel François Hollande-Marine Le Pen qui serait une sorte de Fukushima de la droite. L'UMP éclaterait entre les partisans d'une alliance avec le FN et ceux de la poursuite de l'ostracisation de l'extrême droite.

Les sondages actuels concernant le second tour ne laissent pas beaucoup d'espoir à Nicolas Sarkozy de l'emporter au finish. Mais il n'est pas sans conséquences de finir à 58-42 ou à 52-48. Dans le premier cas, les élections législatives de juin s'annoncent comme une déroute pour l'UMP, donc on revient à la case précédente : le risque d'accords entre une partie de l'UMP et le FN, notamment en PACA ou le Nord-est pour sauver son siège au Palais Bourbon. Dans le cas d'une défaite « honorable », la cohésion de l'UMP serait plus facile à maintenir, et la droite pourrait se lancer à la reconquête de ses territoires perdus au cours des dix dernières années : mairies, départements, régions, ce qui détermine la reprise du Sénat perdu de justesse en 2011. L'actuel président est un redoutable duelliste, et il n'est pas exclu qu'il parvienne à réduire de manière conséquente l'écart avec François Hollande que prédisent les augures.

Nicolas Sarkozy a laissé entendre, en fausse confidence, que l'on n'entendrait plus parler de lui s'il était battu. Qui peut le croire ? D'abord, à moins d'aller s'enterrer dans un monastère, rien ne pourra empêcher les fouineurs d'aller voir à quoi l'ex-président occupe sa semaine de travail réduite du mardi au jeudi. Ensuite, être ancien président est un vrai métier dont la bonne gestion conditionne le regard porté sur son action lorsqu'il était au pouvoir. De Gaulle et Mitterrand n'ont pas survécu plus d'un an à leur retrait de la vie politique. Chirac est protégé par son statut de malade. Giscard est courageusement reparti de la base après sa défaite. Les mauvais exemples, dans ce domaine, sont légions : Tony Blair qui fait fortune par des conférences et des jetons de présence dans les multinationales, Gerhrard Schröder qui se vend à Vladimir Poutine… Et si l'on essayait la vertu ? Les victoires sur soi-même ne sont pas les moins belles.

Luc Rosenzweig

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