Afrique du Sud : l'incroyable histoire de Sugar Man


"Merci de me maintenir en vie"
. Ainsi parle Sugar Man dans ce documentaire époustouflant qui passe sur les écrans en ce moment et qu’il serait dommage de laisser passer. Sugar Man, alias Sixto Rodriguez. Un autre Bob Dylan disent ceux qui le découvrent dans les années 70. Rodriguez, qui joue et compose comme il respire, sans effort et sans s’en rendre compte. Deux albums géniaux qui feront un bide retentissant aux USA. "Rodriguez ? Il a vendu 6 albums et c’est ma famille qui les a achetés", dit son distributeur, à peine déçu. Blessé mais trop humble pour être en colère, Rodriguez s’en retourne à sa vie qui frise celle d’un SDF, manœuvre payée à l’heure, pauvre et digne dans un bidonville de Detroit.

Ce que Sugar Man ne sait pas, ni lui ni personne aux USA, c’est qu’il est devenu un dieu vivant en Afrique du sud. Plus écouté que les Beatles ou les Stones  avec 500 000 albums vendus, sans parler des piratages ! D’autant plus adulé que personne ne sait rien de ce type qui met en transe la jeunesse blanche du Cap. On le dit mort, suicidé sur scène. En 1974, une Américaine a débarqué en Afrique du sud avec un enregistrement de son album. De main en main, ils vont écouter cette musique qui pousse à lutter contre la pauvreté, l’injustice. "Je me demande pourquoi les larmes dans les yeux des enfants, je me demande pourquoi les soldats meurent, je me demande si cette haine va un jour s’arrêter, je me demande et je m’inquiète mon ami", écrit l’Américain sans savoir à quel point ces mots portent chez les jeunes d’Afrique du Sud.

"I wonder" ("Je me demande")  va être la bande-son de leur vie, comme dit l’un d’eux. La vie d‘une jeunesse blanche en colère.

La bande-son d’une vie pas si ancienne que cela. Moins de 40 ans dans un pays où la minorité des Blancs ne parle pas aux Noirs, où la loi définit des quartiers blancs et noirs, interdit les relations mixtes, le sport mixte, les clubs mixtes. Où les Noirs ne votent pas, travaillent pour rien ou presque, vivent dans des bidonvilles, se font tirer dessus sans sommation par la police quand ils font grève, un demi-esclavage inscrit dans la Constitution. Apartheid. Un pays où la censure raye les albums en vinyle avec un clou pour être sûr que les chansons subversives des hippies ne passent pas à la radio. Un pays où les Afrikaners les plus virulents, défenseurs de l’Apartheid, montent des milices pour abattre les Noirs comme à la chasse et se promènent avec des drapeaux qui reprennent les couleurs du drapeau nazi. Histoire que les choses soient claires.

Dans les marches anti-Apartheid, aux cotés des amis de Mandela, alors en prison, il y a des milliers de Blancs. Enfants d’Afrikaners, que leurs parents vont vomir. En colère contre cette société coupée du monde. Tous écoutent Sugar Man et tous "se demandent" jusqu’à quand durera cette honte. Des Blancs pour des Noirs. Des Blancs qui, il y a 15 ans, ont retrouvé Rodriguez dans son taudis de Detroit et l’ont fait remonter sur scène pour une tournée magique, souvenir d’une époque révolue.
Merci de le maintenir en vie. Lui comme Mandela, maintenu en vie par quelque chose de plus grand qu’eux. La ferveur de ceux qui y croient.