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Qui veut la peau de Zemmour et Naulleau ?

Le 26 mai dernier, Laurent Ruquier annonçait qu’Éric Zemmour et Éric Naulleau, les chroniqueurs impitoyables d’« On n’est pas couché », son talk-show du samedi soir sur France 2, ne seraient pas reconduits pour la prochaine saison. Une décision qui peut surprendre puisque les deux critiques sont largement crédités du succès de l’émission, grâce à leur style incisif et leur brutale honnêteté. Une décision qui a d’ailleurs tellement surpris que certains y ont vu, comme toujours, le résultat d’une pression de l’Élysée, le lieu habituel de toutes les intrigues.

La faute à Sarko ou la faute à Ruquier

Ce soupçon est évidemment ridicule. Comme chacun sait, le président Sarkozy a des préoccupations bien plus pressantes en ce moment. La nouvelle collection Rolex vient d’être présentée au salon de Bâle et Nicolas hésite encore entre la Yacht-Master II, la montre du skipper prêt à se jeter dans la course, et l’Explorer II, pour celui qui veut aller toujours plus haut, plus loin, là où personne ne s’est jamais aventuré. On comprend son embarras : ces deux instruments de haute précision semblent avoir été conçus pour lui. Bien sûr, ces soucis horlogers n’accaparent qu’une part infime des ressources intellectuelles du Président, qui sont considérables. Il peut donc se consacrer en même temps à résoudre les problèmes de la France – du moins les quelques problèmes qui restent à la fin de son premier mandat – avec la sagacité et la ténacité qui le caractérisent depuis toujours. N’oublions pas que notre pays sort à peine de la plus grave crise qu’ait jamais connue la Terre, plus grave que la crise de 1929, plus grave que la chute de l’empire romain, plus grave même que l’extinction massive du Permien. C’est un pur miracle que vous ayez pu traverser un cataclysme d’une telle ampleur sans rater un seul épisode de Desperate Housewives. Vos grands-parents, eux, avaient dû supporter une conséquence assez fâcheuse de la crise des années 30 : la Seconde guerre mondiale, qui était, paraît-il, fort incommodante.

Tout ça pour vous dire que Nicolas a d’autres choses à faire que de comploter contre des chroniqueurs télévisés. Laurent Ruquier s’est quand même senti obligé de clarifier les choses en assumant l’entière responsabilité de l’éviction des deux Éric. Il a décidé tout seul parce qu’il a « plaisir à casser les habitudes. Soit je change l’animateur, soit je change les chroniqueurs. Je suis l’animateur… c’est moi qui reste ! ». Cette explication étonne de prime abord. En effet, pour tous ceux qui connaissent l’émission, il paraît évident que le meilleur moyen de l’améliorer est de supprimer cet odieux monologue, intitulé « Ceux qui n’ont pas pu venir ce soir », qui non seulement n’est pas drôle du tout mais semble devenir de plus en plus long et pénible au fil des semaines. Personnellement, je préfère couper le son durant toute la durée de ce navrant exercice « comique », de peur que les jeux de mots éculés et les plaisanteries vaseuses ne détruisent mes neurones. Or figurez-vous que l’auteur et l’interprète de ce monument de lourdinguerie n’est autre que Laurent Ruquier lui-même. Pour des raisons obscures, l’animateur persiste à se prendre pour un humoriste. Alors qu’il semble avoir tant d’amis, qui sont souvent ses chroniqueurs aussi, il ne s’en est pas trouvé un seul pour lui dire qu’il n’était pas drôle. C’est le gros risque quand on paie ses amis : il ne vous disent pas la vérité.

Quoiqu’il en soit, si l’on en croit Laurent Ruquier, ce sont son instinct de survie et l’illusion qu’il entretient sur ses propres talents comiques qui l’ont conduit à se séparer de Zemmour et Naulleau plutôt qu’à se sacrifier lui-même sur l’autel du renouveau. Bien sûr, je ne m’inquiète pas outre mesure du sort personnel des deux critiques. Ils ont déjà bien d’autres occupations et nul doute qu’ils recevront bientôt de nouvelles propositions. Peut-être même leur éviction soudaine des plateaux de télévision leur laissera-t-elle le loisir de produire enfin cette œuvre littéraire magistrale dont ils rêvent sans doute depuis longtemps et qui fera taire définitivement tous leurs contempteurs. Dans le pire des cas, ils retourneront à l’anonymat et finiront par mourir de faim dans quelque réduit insalubre, seuls et oubliés des hommes. Tout ça n’est finalement pas bien grave.

Vive la critique !


Ce qui est plus préoccupant, c’est que la nouvelle du renvoi de Zemmour et Naulleau semble avoir été accueillie par beaucoup avec une joie délirante, comparable à celle qui a accompagné la chute des Ceausescu en Roumanie, du moins si je peux en juger par les commentaires laissés par les visiteurs de Yahoo!. En gros, on reproche aux deux Éric de s’être indûment érigés en censeurs de l’œuvre des autres, bref d’avoir rempli leur rôle de critique.

Pourtant – et je vais peut-être vous surprendre – chacun a le droit de critiquer. Il n’y a pas besoin de diplôme universitaire, d’habilitation ministérielle ou d’onction divine. Tout simplement parce qu’émettre une critique sur un livre ou film, c’est exprimer une opinion et rien de plus. Éric Zemmour le dit d’ailleurs souvent lui-même lorsqu’il tient une position tranchée, voire tranchante : « C’est juste mon opinion. » Évidemment, le fait d’avoir une opinion ne signifie pas que d’autres sont tenus de la partager. Et cela vaut aussi pour Zemmour et Naulleau. Vous êtes entièrement libre d’ignorer ou de contester leurs points de vue. Ils n’ont d’autre autorité que celle que vous voulez bien leur donner. De même, vous avez tout à fait le droit d’être en complet désaccord avec moi et de raffoler des saillies drolatiques de Laurent Ruquier. Votre avis est aussi légitime que le mien dans un domaine qui est avant tout une affaire de goût. Cela étant dit, dans mon for intérieur, je ne pourrai pas m’empêcher de penser que vous êtes un idiot. Mais vous pourrez faire la même chose dans le vôtre !

Ce qui fait la différence entre des jugements de valeur, ce n’est pas leur auteur mais leur substance, c’est-à-dire l’argumentation plus ou moins convaincante sur laquelle ils reposent. Et il faut bien reconnaître que les avis de Zemmour et Naulleau, aussi péremptoires soient-ils, s’appuient sur quelque chose : une véritable connaissance de l’œuvre jugée, alors qu’ils pourraient se contenter de feuilleter un dossier de presse, et une certaine culture, au moins dans leurs domaines de compétence respectifs, qui leur permet de comparer et donc d’apprécier avec discernement. De plus, même si les deux critiques déversaient chaque semaine un torrent furieux de piques assassines sur les invités de l’émission, ces derniers devraient être capables d’y répondre. Malheureusement, beaucoup de ceux qui s’y essaient le font d’une façon puérile, en choisissant la fuite (comme Jacques Attali), la diversion bouffonne (comme Isabelle Mergault), la menace (comme Francis Lalanne) ou l’insulte (comme Patrice Leconte). Ils devraient répondre de la seule manière qui convienne : en défendant leur création et en faisant valoir ses mérites. On pourra m’opposer que tout le monde n’est pas capable de se défendre sur un plateau de télévision, surtout face à des interlocuteurs très aguerris. Sauf que ceux qui ont réagi avec le plus d’agressivité ne sont nullement de fragiles artistes pétrifiés par les caméras mais de vieux habitués du cirque médiatique, dont l’ego a juste été un peu froissé.

Il est vrai qu’ils ont sans doute pris de mauvaises habitudes sur d’autres plateaux, où la complaisance semble désormais régner sans partage, comme, par exemple, celui d’Élise Lucet, qui consacre les cinq dernières minutes de son journal de 13 heures à l’actualité culturelle. Élise n’a que des amis. Et pour cause : elle aime tout le monde. Il n’y a pas de livre, de disque ou de film qui ne suscite son enthousiasme débordant. Chacun peut tranquillement faire sa promo, confortablement installé dans un fauteuil, sans redouter quelque critique inopportune ou même une toute petite réserve. Rien ne saurait troubler les cinq minutes de parfaite félicité d’Élise. Ce contentement permanent lui joue d’ailleurs parfois des tours. Ainsi, quand le parfumeur Jean-Paul Guerlain s’interroge inopinément sur le bien-fondé de l’expression « travailler comme un nègre », elle réagit tout naturellement avec de grands éclats de rire. Il lui faudra une semaine pour admettre que, ce jour-là, elle aurait dû se faire violence et dire quelque chose. Bien sûr, loin de moi l’idée d’accabler Élise Lucet. Chez elle au moins, l’autopromotion sans complexe ne dure que cinq minutes ; au Grand Journal de Canal +, elle ne s’arrête que quand les caméras s’éteignent.

En septembre, les « artistes » pourront sans crainte reprendre le chemin du plateau de Laurent Ruquier pour y présenter leurs produits en toute quiétude. Comme partout ailleurs à la télévision, aucune remarque impertinente ne viendra perturber la réclame. Heureusement, il reste Internet, où, pour le meilleur et pour le pire, personne n’hésite à donner son avis. C’est d’ailleurs votre tour.