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Obsédés…

Ou comment nous, accros du web, avons assisté à l’explosion de l’affaire DSK sur Twitter. Retour en trois actes sur une semaine de frénésie

par Romain Brami et Fabrice Pelosi

Acte I : la nuit va être longue

Ça a commencé comme un bruit, un murmure venu de loin, dont on se demande même s'il mérite notre attention. Le tweet d'un gars dont nous n'avions jamais entendu parler. "Un pote vient de me rapporter que DSK aurait été arrêté […] à New York".


On adore Twitter mais on en connaît aussi les limites. La veille un métro de la ligne 11 était soi-disant entré en collision avec un autre. Il y a quelques semaines Jacky Chan était donné pour mort, ainsi que Mouss Diouf et tant d'autres. Twitter c'est l'info instantanée, avant tout le monde. C'est aussi le terreau le plus fertile pour faire grossir la rumeur.

Puis quelques heures plus tard, c'est le New York Post, quotidien U.S. à la ligne éditoriale assez contestable, et propriété du magnat des médias Rupert Murdoch, qui annonce  l'info en Une

Retrouvez cette Une et tout un diaporama sur Slate.fr

Strauss-Khan […] arrested in alleged sodomy of hotel maid". Sodomy ?Au moment où l'on découvre cette Une, nous donnons à ce mot un sens tout à fait littéral qui n’est pas le bon. Et nous ne sommes pas les seuls à en juger par la plupart des premiers tweets .

Tout de suite, les réseaux sociaux s'emballent, mais la prudence est de mise. Ça sent l'intox à plein tweet. L'info est tellement énorme qu'on peine à y croire tout de suite... un peu comme la mort de Ben Laden deux semaines plus tôt. D'ailleurs, les médias français ne sortent pas encore l'info, comment le pourraient-ils ? La source est bien trop légère… la nuit va être longue.

Quelques minutes plus tard, c'est le New York Times qui confirme."Head of I.M.F. arrested in New York and Accused of Sexual Attack". Le NY Times ce n'est pas le Post… c'est du sérieux… du vérifié. Le doute n'est plus permis. Le patron du FMI, le favori de la présidentielle française vient d'être arrêté dans un hôtel pour tentative de viol sur une femme de chambre.

Très vite les médias français reprennent l’info. Enfin… les médias web, qui sont une poignée à être très réactifs, comme le raconte Emmanuel Torregano sur ElectronLibre.

On imagine les équipes week-end des grandes maisons quelque peu sonnées face à l'ampleur de la news.

Pour les rédactions papier, dont les titres sont déjà sous presse, c’est a priori plié. Sauf pour les groupes qui comptent dans leurs rangs des accros de Twitter, comme chez Lagardère Active en la personne de Laurent Guimier. Ce dernier, DG de Newsweb, a en effet transmis l’information à Olivier Jay, directeur de la rédaction du JDD vers 1h30 du matin.  Du coup, seul Le JDD réussit in extremis à sortir son épingle du jeu sur le papier.

Du côté des chaînes d’info « en direct », c’est le néant jusqu’aux premières éditions spéciales du matin. Seule l'édition anglophone de France 24 a choisi de livrer l'info dans la nuit.

Acte II : le jour d’après

Dimanche, DSK est inculpé et toutes les télés sont en boucle sur l'événement avec aucune image et très peu d'infos supplémentaires.

L’équipe de Médias LeMag, émission hebdomadaire diffusée le dimanche midi sur France 5 doit d’ailleurs vivre un moment difficile en regardant la diffusion de son émission sur DSK et sa Porsche. Complètement hors sujet faute de direct.

Avec les premières photos de DSK menotté se rendant au tribunal, les médias peuvent enfin s'alimenter en images. En France, où l'on est peu habitué à ce genre de clichés, ces images créent l'effroi. Les images de sa comparution devant un tribunal new yorkais, entre deux dealers finissent de nous bouleverser. Quand le CSA rappelle les médias à l'ordre sur l'illégalité de photos de suspects menottés, les images ont déjà circulé partout, sur tous les supports… c'est bien trop tard.

Acte III : Twitter, partout, tout le temps

Dans cette course effrénée à l'info qui se déroule depuis samedi, les médias d'information se sont vus imposer une nouvelle source devenue totalement incontournable. Les télés et les médias traditionnels sont entrés véritablement dans le monde de Twitter avec l'affaire DSK.

Les live coverages Twitter des comparutions judiciaires ont alimenté la plupart des médias qui ont couvert l'info. Une poignée de "twittos" a servi de source d'information quasi exclusive à la plupart des rédactions. Le terme totalement absurde de "selon Twitter" fait son apparition sur les chaînes d'information en continu. Un peu comme un voisin qui nous dirait "selon la télé, il va faire beau demain".

La mainmise de Twitter sur l'info ne se fait d'ailleurs pas sans quelques accrocs : quand une supposée victime de DSK ressurgit dans les médias, un faux compte Twitter est immédiatement créé.  iTélé annonce lundi que Tristane Banon a déposé plainte contre DSK. La source était son compte Twitter… et c’était un fake.

(via le compte Twitpic de @vincentglad)

Dans la journée de jeudi, on apprend que Canal Plus interdit à ses journalistes de tweeter. Motif ? Ils doivent réserver leurs infos à leurs rédactions. Cet argument se tient… si tout le monde respecte la règle. Et ce n’est pas le cas. Sur le réseau social, cette nouvelle fait rire ou consterne (ou les deux).

Globalement, sur Twitter on n’aime pas trop les médias old school, ceux qui lancent dans leurs JT des « C’est la faute à internet ». Les  fans de Twitter ont tendance à s’opposer totalement aux médias classiques. Mais ces médias sont-ils vraiment opposés ? Tout le monde a-t-il cette soif d’infos (sur Twitter, on frôle parfois l’épilepsie…) ?  Tout le monde veut-il savoir à la seconde près (et pas celle d’après) ce qui arrive dans le monde ? Non. Twitter c'est  l’info toute chaude et pas vérifiée. Le niveau de confiance accordé à un tweet dépend de la réputation du compte qui tweete.  Deux temps dans l’info… des médias complémentaires qui se sont retrouvés pour cette occasion unique.

Europe1, de son côté,  préfère jouer à fond le jeu de Twitter . Laurent Guimier annonce sur son compte :

En quelques jours, @balasseNY a gagné plus de 10 000 followers !

Et jeudi soir, ce sont les principales chaînes d’info en continu qui ont passé plus d’une heure, sans image, à suivre le live tweet #DSK des journalistes présents dans la salle d’audience. Résultat… Twitter 1 – Télés 0.

Epilogue : obsédés, nous ?

Depuis dimanche cette même question tourne en boucle dans les émissions médias  :  « pourquoi cet engouement soudain pour Twitter ? » Peut-être que ce nouveau média est le seul à pouvoir rassasier notre soif d'information sans limite face à cette affaire qui mêle sexe, pouvoir, suspense, avec une pointe de sexisme, d'omerta journalistique sur la vie privée, et de méfiance envers un système judiciaire si différent du nôtre… C'est ce mélange parfait qui fait de cette affaire l'un des plus gros scandales politiques de ces dernières années et qui nous rend totalement accros à chaque information, vraie ou fausse que l'on pourra dénicher, et de préférence avant tout le monde.

D'un seul coup on veut tout voir, tout savoir, tout comprendre.  Cette affaire nous obsède. On bosse DSK (toutes les rédactions ne traitent quasiment que de cette info), on déjeune DSK (nous n'arrivons à parler de rien d'autre pendant nos pauses), on rentre chez nous DSK (dans le métro les gens ne parlent que de ça), on dort DSK (impossible de s'endormir sans revoir les images de cet homme KO debout).

On commence à entendre que les médias en font trop, oui mais bon…


@romainbrami et @fabricepelosi