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Blockbusters ou films inaboutis: un livre nous plonge dans les archives méconnues de Hollywood

Dessin de Sylvain Despretz pour le Superman avorté de Tim Burton - Sylvain Despretz
Dessin de Sylvain Despretz pour le Superman avorté de Tim Burton - Sylvain Despretz

Peu connu du grand public, le storyboarder Sylvain Despretz est une des légendes cachées du 7e Art. Son C.V. parle pour lui: au cours des trente dernières années, il a notamment travaillé avec Ridley Scott (Gladiator), Stanley Kubrick (Eyes Wide Shut), David Fincher (Panic Room) ou encore Tim Burton et Brad Bird sur des projets inaboutis. De lui, Ridley Scott dit d'ailleurs: "C’est la seule personne en qui j’ai toujours eu confiance pour réaliser mes storyboards."

Devenu réalisateur, Sylvain Despretz a publié le 25 novembre Los Ángeles: story-boards & chants de sirènes sur celluloid, un beau-livre retraçant sa carrière et réunissant des centaines de storyboards et de dessins préparatoires des films sur lesquels il a travaillé. Cet ouvrage, qui permet de comprendre l'incapacité des grands studios hollywoodiens à créer de véritables oeuvres d'art, est un événement: il est très rare de voir un dessinateur exposer ses dessins indépendamment des grands studios.

"Cela ne les intéresse pas de montrer les storyboards en mettant en avant les dessinateurs", confirme Sylvain Despretz. "La seule chose qu’ils veulent mettre en avant, c’est la marque: la franchise, le logo du studio (Warner, Paramount, Disney). C’est de l’art corporate, ce qui est une aberration de langage. La corporation et l’art ne peuvent pas travailler ensemble."

"Au cinéma, énormément de gens très talentueux n’ont aucun succès"

Dans ce livre, le dessinateur évoque aussi bien des projets célèbres (Gladiator, La Chute du faucon noir) que des projets tombés aux oubliettes, comme le très prometteur Ray Gunn, film d'animation pour adultes de Brad Bird.

Sylvain Despretz consacre autant de pages à Ridley Scott qu'à des réalisateurs inconnus, ces "ratés du milieu" qui n’ont pas réussi à s’imposer: "Au cinéma, on est dans un monde des extrêmes, où énormément de gens très talentueux n’ont aucun succès. Et ce n’est pas une raison pour ne pas parler d’eux."

Son livre permet également de comprendre comment naissent les images mémorables du 7e Art et démystifie un métier, celui de storyboarder, qui fait toujours autant rêver, bien que personne - même parmi les gens du milieu - ne sache expliquer en quoi il consiste:

"C’est facile de dessiner et de dire qu’on est storyboarder, mais il y a très peu de gens qui comprennent l’ampleur de ce qu’est ce métier à son paroxysme. Un métier mal défini peut être très mal pratiqué...", confie Sylvain Despretz. "Si on regarde le storyboard à travers les plus grands réalisateurs qui existent (Hitchcock, Kubrick, etc.), et qu'on voit ce qu'ils cherchent avec, comment ils transforment leurs obsessions en langage visuel, c’est un métier très noble."

En réalité, c’est "un aide-mémoire" du réalisateur, qui "a pour but de mettre sur papier un maximum de ses idées graphiques, de manière à faire avancer le scénario", ajoute-t-il encore: "Le scénario arrive très vite au bord d’une falaise où les mots deviennent insuffisants pour traduire un concept mental. C'est un document listant les intentions émotionnelles, intellectuelles et graphiques du réalisateur pour passer à l’étape suivante de la création du film."

"Une sorte de consanguinité étouffante"

Pour autant, le métier de storyboarder n'est pas essentiel, insiste Sylvain Despretz: "Il ne faut pas voir le storyboard comme un outil qui a une puissance intrinsèque. Il n’en a pas." Il le compare au métier de chauffeur de taxi. "Ton client te dit où tu dois te rendre et tu es à sa merci. Tu peux atterrir à une heure du matin dans une banlieue lointaine où tu peux te faire braquer!" Son livre s'adresse ainsi autant aux cinéphiles qu'à ceux qui se destinent à faire du cinéma, pour les endurcir:

"Le cinéma pourrait être agréable s’il était davantage fondé sur la méritocratie. Les artistes entre eux travaillent très bien. Après cent ans d'existence, le métier est envahi par une sorte de consanguinité étouffante. Les postes les plus hauts placés sont tenus par des gens qui n’ont pas d’autres mérites que le sang qui coule dans leurs veines. C’est très dangereux."

Son parcours est jalonné de projets inaboutis pour ces raisons. Au milieu des années 1990, Sylvain Despretz a travaillé avec Ridley Scott sur une ambitieuse adaptation de I Am Legend, récit de Richard Matheson sur le dernier homme sur Terre parmi des morts-vivants victimes d'une pandémie. Arnold Schwarzenegger devait incarner le rôle principal de ce qui aurait été un blockbuster mélancolique:

"Warner voulait mettre Schwarzenegger dans le rôle parce que Terminator avait eu beaucoup de succès. L'idée, c'était: science-fiction + Schwarzenegger. C’est comme ça que pensent les comptables dans les studios. Malheureusement, ce n’est pas aussi sophistiqué que ça. Avec Ridley Scott [le réalisateur d'Alien et Blade Runner, NDLR], ça faisait le triumvirat parfait. Ils se sont dits qu’ils allaient avoir un Terminator par Ridley Scott."

Mais Ridley Scott n'avait aucune ambition de reproduire ce qui existait déjà: "Ce qu’il a vu dans ce projet, c’était la possibilité de mettre Schwarzenegger à contre-emploi en faisant de lui une sorte d’homme nostalgique qui vit dans les souvenirs parce qu’il a perdu tout ce qui lui était cher, c’est-à-dire la vie humaine. C’était un film très mélancolique, assez poétique, mais le studio voyait nos images arriver et se demandait où étaient les explosions!" Ridley Scott a finalement abandonné le projet, qui une décennie plus tard a été monté par le réalisateur Francis Lawrence, avec Will Smith.

Un "Hollywood entêté"

Le Superman de Tim Burton, sur lequel Sylvain Despretz a planché à la fin des années 1990 relevait de la même équation: "J’ai lu un scénario, mais c’était n’importe quoi. C’était un de ces films qui étaient faits sur un coup de tête en disant 'Burton + Nicolas Cage + Superman'. Ils ont assemblé une équipe d’une cinquantaine de personnages juste là-dessus. Sans avoir vraiment de scénario." Le projet, lui non plus, n'a pas abouti.

Des histoires comme celles-ci, Sylvain Despretz en a des dizaines dans sa besace. Il a fait partie de ces storyboarders engagés dans les années 2000 pour travailler sur la fameuse adaptation hollywoodienne d'Akira de Katsuhiro Otomo. Ce film, qu'aucun fan du manga d'origine n'attendait, est le symbole de cet "Hollywood entêté" qui croit dépenser des millions sur des grands concepts et des projets qui ne verront jamais le jour. "Akira, c’est encore le cas d’un studio qui a acheté les droits d’une œuvre sans savoir ce que c’était", rigole Sylvain Despretz.

"Warner a acheté Akira en pensant qu’ils avaient Matrix. Evidemment, ils n’ont rien compris à Akira. Ils ont engagé un scénariste, Gary Whitta, le mec qui avait fait Book of Eli. Son rôle, on l’a capté très vite, était d’expliquer ce qu’était Akira, parce que le studio ne comprenait pas. Gary a fait un scénario qui était plutôt bon. Il avait essayé de mettre à plat l’histoire de manière compréhensible. Au fur et à mesure, que le scénario avançait, le studio se demandait où était Matrix. Au bout d’un an ils ont viré tout le monde. On ne peut pas suffisamment caricaturer cet univers d’exécutifs en train de se prendre les pieds dans le tapis. Tu ne peux pas exagérer la bêtise de ce monde."

Même un grand esprit comme Stanley Kubrick n'était pas immunisé contre cette "maladie". Sylvain Despretz a travaillé sur la conceptualisation de la célèbre scène d'orgie du film Eyes Wide Shut et les masques des convives. Ses dessins n'ont pas été utilisés dans le film fini: "On ne m’a pas laissé lire le scénario. Cette idée de ne jamais faire lire aux gens un scénario pour les faire travailler sur un film, c’est complètement crétin. Ils font ça pour garder le secret autour du film ou voir ce qui sort du cerveau à vif, mais c’est complètement absurde!"

Son livre fourmille de documents similaires et de vestiges de films qui n'ont jamais vu le jour. Chacun témoigne de la magie du cinéma qui fait rêver des millions de spectateurs. Chacun rappelle, surtout, à quel point la création d'un grand film relève non seulement d'un immense travail préparatoire, mais le plus souvent surtout du miracle.

Article original publié sur BFMTV.com