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"Black-out", la BD qui explore les origines du racisme à Hollywood

Couverture de la BD
Couverture de la BD

Il faut parfois regarder le passé pour se rendre compte que rien n’a changé et que le présent est peut-être même pire. C’est le sujet de Blackt-out, biographie imaginaire d'un acteur noir fictif, Maximus Wyld, qui aurait joué dans les plus grands films du cinéma avant d’être effacé de l’histoire du 7e Art lors de la chasse aux sorcières dans les années 1950.

Pour créer ce comédien noir aux traits asiatiques et à la beauté frappante, la scénariste Loo Hui Phang s’est documentée sur les différents acteurs de couleur de la période "classique" de Hollywood tout en puisant son inspiration dans son histoire familiale. "Loo et moi, nous sommes partis de son grand-père vietnamien qui curieusement avaient des traits assez africains. Je m’en suis un peu inspiré et puis selon les séquences, je changeais légèrement sa tête", indique Hugues Micol, le dessinateur de Black-out.

Avec cette BD, l'idée est de combattre Hollywood avec ses propres armes, en inventant de toute pièce une histoire à un acteur comme les grands studios l'ont fait avec Rita Hayworth ou Lana Turner: "Puisque le mythe est déjà de la fiction, qu'est-ce qui peut mieux que la fiction s'attaquer au mythe de l’âge d’or de Hollywood!", s’amuse Hugues Micol. "Je voulais avant tout raconter le parcours d'un acteur métis, issu des différentes ethnies qui forment la société américaine non blanche: les Amérindiens, les Noirs, les Chinois, les Latinos. Un tel acteur n'existait pas, à ma connaissance", complète Loi Hui Phang. "Et la fiction permet beaucoup de liberté, tout en restant dans un cadre véridique."

Loo Hui Phang et Hugues Micol explorent la face sombre d'une industrie qui fait rêver le monde en reproduisant à l’infini des récits formatés. Dans cet univers impitoyable et extrêmement codifié, où les vedettes étaient la propriété des studios, les Noirs n’avaient aucune chance de s’imposer. Black-out souligne à quel point cinéma a, dès ses débuts, été imprégné par le racisme et la ségrégation. Ce n’est pas un hasard si le premier personnage noir de l'histoire du 7e Art est l'Oncle Tom et si le premier film parlant est Le Chanteur de Jazz, un hommage aux "minstrel shows" avec comme acteur principal (Al Jolson) un homme blanc grimé en noir.

Hommage au talent et au courage des artistes noirs

À travers la figure de Maximus Wyld, Loo Hui Phang et Hugues Micol font revivre d'importantes figures noires méconnues voire complètement inconnues en France, comme les humoristes Mantan Moreland et Pigmeat Markham, le réalisateur Oscar Micheaux, mais aussi le chanteur Paul Robeson, l’actrice Lena Horne et le danseur Bojangles. "Black-out est un hommage au talent, à l'intelligence, au courage de ces personnalités", précise Loo Hui Phang. L’album, réalisé en noir et blanc, donne l'impression que les personnages sortent des ténèbres de l’Histoire.

Comme Paul Robeson, le personnage de Maximus Wyld est "blacklisté" lors du maccarthysme: "Il fut privé de passeport pendant les années 50, s'est vu interdire de donner des concerts, ses disques ont été retirés de la vente. Jusqu'à sa mort, les services secrets américains ont travaillé à l'effacer aux yeux du public", rappelle Loo Hui Phang. Comme Lena Horne, coupée au montage de plusieurs films pour éviter un boycott du Sud, Maximus Wyld refuse les rôles de domestique: "Refuser d'interpréter des rôles de domestique, c'est refuser de jouer le jeu de cette vision raciste normalisée où les Blancs seraient forcément dominants et les Noirs dominés. Maximus veut s'affranchir de ces réflexes de mise en scène hollywoodienne, de cette représentation humiliante", commente Loo Hui Phang.

Un acteur noir comme Maximus Wyld aurait réellement pu apparaître dans des films comme La Maison du Dr Edwards, Vertigo, Boulevard du Crépuscule ou encore Duel au soleil, comme le suggère Black-out, indique Loo Hui Phang: "Lorsque je me suis posé la question de la filmographie de Maximus, j'ai imaginé scénaristiquement quelles séquences auraient pu être ajoutées puis coupées dans chaque film choisi. J'ai cherché les failles dans la narration de ces grands classiques, pour me figurer quels personnages Maximus aurait pu incarner. En théorie, un acteur de couleur aurait pu jouer dans ces grands classiques, pourvu que ses scènes soient conformes au code Hays."

"Pas une uchronie consolatrice"

Entamé il y a dix ans, Black-out sort après les mouvements #OscarsSoWhite et Black Lives Matter et le succès des films de Jordan Peele (Us, Get out) et de Raoul Peck (I am not your Negro), "dans le contexte le plus favorable pour sa réception", estime Loo Hui Phang. "Selon le réalisateur Jordan Peele, les deux mandats d'Obama n'ont pas rendu l'Amérique plus tolérante. Le racisme a juste été refoulé, est devenu un non-dit. Le retour de bâton survient à présent, à la fin de l'ère Obama et en pleine période Trump. Je pense qu'il y a eu concordance d'œuvres sur la question du racisme. Je pense que l'élection de Trump a créé une urgence, une réaction au racisme ordinaire, parce que celui-ci s'est endurci."

La sortie de Black-out succède à la diffusion sur Netflix le 1er mai dernier de la série Hollywood. La dernière production de Ryan Murphy suit le destin d’un acteur noir dans les années 1940 et évoque comme Black-out en toile de fond le suicide de l’actrice Peg Entwistle du haut du panneau Hollywood. "Elle est le symbole de l'invisibilisation", précise Loo Hui Phang. "Peg est devenue une sorte de fantôme pointant du doigt la cruauté de l'industrie cinématographique. Pour Black-out, je ne pouvais pas passer à côté. J'en ai fait une sorte d'allégorie symbolisant la menace qui plane sur Maximus: la chute et l'invisibilité."

Contrairement à Hollywood, où les Noirs triomphent aux Oscars en 1948 et changent ainsi le cours de l’Histoire, Black-out ne pouvait pas se terminer sur un happy-end pour son héros fictif: "Pour moi, une telle histoire, celle de la lutte pour la visibilité des acteurs de couleur, ne peut avoir de happy end puisque rien n'est réglé", assure Loo Hui Phang. "Le cinéma n'a pas encore atteint cette maturité. Faire un happy end qui réécrirait l'histoire du cinéma en donnant le beau rôle aux Noirs est généreux mais aussi terriblement naïf. Je préfère affronter la réalité, la montrer dans toute sa dureté, son injustice, que de faire une uchronie consolatrice mais déconnectée."

Ce n’est donc pas un hasard si la scénariste fait incarner à Maximus Wyld le rôle de la mort dans La Maison du Dr Edwards d'Alfred Hitchcock: "Elle n'a pas de visage, pas de couleur, elle est universelle. Elle est la disparition, mais aussi l'origine de toute mythologie."

Article original publié sur BFMTV.com