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A Birmingham, la cause humanitaire plutôt que le djihad

Waseem Iqbal a l'intention d'aller en Jordanie avec un ami pour venir en aide aux réfugiés syriens. Ce jeune homme de 27 ans qui vit à Birmingham a choisi le bénévolat plutôt que la violence. /Photo prise le 20 novembre 2014/REUTERS/Darren Staples

par Ahmed Aboulenein BIRMINGHAM, Angleterre (Reuters) - Pour certains musulmans britanniques, la voie du djihad est parfois toute proche de celle de l'engagement humanitaire. Waseem Iqbal a l'intention d'aller en Jordanie avec un ami pour venir en aide aux réfugiés syriens. Ce jeune homme de 27 ans qui vit à Birmingham a choisi le bénévolat plutôt que la violence. "Comment sauver des innocents en Syrie ? En allant dans un pays en guerre et en se faisant tuer, ou en leur amenant des motopompes, des écoles et des rations alimentaires ? Voilà ce qui sauve des vies", dit-il. Tous ne sont pas de son avis. Deux membres de son entourage, de jeunes Britanniques comme lui, ont été arrêtés et inculpés en vertu de la législation antiterroriste. Leur choix était aux antipodes du sien, mais ils avaient une chose en commun: la colère. Comprendre ce qui les anime est l'une des clés de la lutte contre les vocations djihadistes. Selon les chiffres officiels, un demi-millier de Britanniques se sont rendus en Syrie et les autorités craignent qu'ils ne poursuivent leur guerre sainte à leur retour. Iqbal arbore une longue barbe et porte une dichdacha, vêtement traditionnel qui descend jusqu'aux chevilles. Après avoir vécu plusieurs vies, il s'est engagé il y a un mois dans les rangs de la fondation Human Relief. Videur de boîte de nuit, il a également dirigé un studio de musique et exercé en tant qu'agent de sécurité, mais tout a basculé du jour au lendemain. En l'espace de quelques semaines, un cousin plus âgé pour lequel il avait beaucoup d'estime est mort d'une overdose et son meilleur ami a été tué d'un coup de couteau. "J'étais assis là, un soir, à fumer de l'herbe dans mon appartement qui domine la ville et j'ai commencé à me demander où tout ça menait, où ça s'arrêterait. J'ai passé la nuit à pleurer et j'ai réalisé que ce qui me manquait, c'était l'islam. Je me suis juré d'être un bon musulman et d'arrêter net toutes ces conneries", dit-il. DE LA DÉLINQUANCE AU DJIHAD Quelque 213.000 musulmans vivent à Birmingham, où ils représentent un cinquième de la population, selon le recensement de 2011. La communauté est toutefois concentrée dans certains quartiers populaires, comme celui de Balsall Heath, où vit Iqbal. La "gang culture", culte de la virilité et de la défiance, qui y est très présente, conduit parfois à la violence ou au trafic de drogue, mais peut aussi mener au djihadisme. "C'est une question de reconnaissance. On veut appartenir à quelque chose, être craint ou respecté, avoir l'impression de servir une cause et se sentir utile", résume Iqbal. Le politologue français Olivier Roy, spécialiste de l'islam, parle d'un "nihilisme générationnel", d'une jeunesse fascinée par la mort. "Avec Daech (ndlr, l'organisation Etat islamique), ces enfants perdus de la mondialisation, frustrés ou marginaux, se retrouvent investis d'un sentiment de toute puissance du fait de leur propre violence, de surcroît à leurs yeux légitime", dit-il dans un entretien publié début novembre par L'Express. "Ce sont des jeunes qui cherchent leur guérilla, comme nous dans les années 60. A l'époque, notre cause était la révolution, maintenant, c'est le djihad mondial", insiste-t-il dans une autre interview accordée à Libération. Citant l'historien Faisal Devji, auteur de l'essai "The Terrorist in Search of Humanity", il note que "mis à part le fait que les terroristes tuent, il n'y a pas de différence fondamentale entre un humanitaire et un gars d'Al Qaïda". "Ce sont des militants d'un monde global, des nomades, souvent déracinés", poursuit le chercheur, soulignant que 20 à 25% des djihadistes sont des convertis, à l'image du Français Maxime Hauchard, identifié parmi les combattants de l'Etat islamique sur la vidéo de l'assassinat de plusieurs soldats de l'armée syrienne et de l'otage américain Peter Kassig. "NE PAS DEVENIR CELUI POUR ILS VEULENT VOUS FAIRE PASSER" Selon une étude de l'Université Queen Mary, l'idéologie religieuse n'est pas aussi déterminante que des caractéristiques telles que la dépression où l'isolement. L'un des deux suspects arrêtés pour terrorisme dont parle Iqbal était trafiquant de drogue, avant de redécouvrir la foi. S'il s'est radicalisé depuis, c'est pour racheter ses fautes, assure Iqbal. "Croire en un Dieu vengeur plutôt que miséricordieux et penser que le salut ne passe que par le champ de bataille et la mort" peut conduire au djihadisme, confirme Jahan Mahmood, un animateur de Birmingham. Le jeune homme en question a été interpellé alors qu'il se rendait armé à une manifestation de l'English Defense League, un mouvement islamophobe dont la cause n'est pas étrangère à la multiplication des vocations djihadistes. "Beaucoup de jeunes se sentent exclus à cause de l'islamophobie qu'on voit dans les médias", estime Abdul Waheed, un collègue d'Iqbal, qui dit avoir assisté au passage à tabac de son oncle quand il avait huit ans. "Quand on est enfant, on ne comprend pas ce qui se passe, mais ça reste en vous et ça crée de la rancoeur. "Le plus important, c'est de ne pas devenir celui pour qui il veulent vous faire passer", conclut-il. (Jean-Philippe Lefief pour le service français)