Bernard Tapie, l'arme de Mitterrand contre l'extrême droite et contre Rocard

Bernard Tapie (ici en 1994) l'arme de Mitterrand contre l'extrême droite (et contre Rocard) (Photo: Charles Platiau via REUTERS)
Bernard Tapie (ici en 1994) l'arme de Mitterrand contre l'extrême droite (et contre Rocard) (Photo: Charles Platiau via REUTERS)

POLITIQUE - À jamais le premier. Bernard Tapie s’est éteint ce dimanche 3 octobre au petit matin, à 78 ans, après avoir lutté pendant près de quatre ans contre un double cancer de l’œsophage et de l’estomac. L’homme d’affaires, artiste, comédien, président emblématique de l’OM, aura connu mille vies et mené autant de combats, jusque dans les arcanes du pouvoir politique.

Profitant de sa notoriété, il s’engage à la fin des années 1980 après avoir fait la rencontre d’un François Mitterrand désireux d’ouverture en vue de son second mandat. Commence alors une ascension fulgurante pour le Parisien de naissance.

Bernard Tapie est élu député des Bouches-du-Rhône, dans la douleur, en 1989, dans une circonscription réputée “ingagnable” pour la gauche. Soutenu par le président socialiste, il fait même son entrée au gouvernement trois ans plus tard... avant de faire les frais de la jurisprudence “Bérégovoy-Balladur” qui imposait, alors, à un responsable gouvernemental mis en examen de démissionner. Une carrière aussi spectaculaire qu’éphémère, stoppée nette par ses premières affaires judiciaires, qui résonne à bien des égards avec la période actuelle.

Férailleur contre l’extrême droite

Tout d’abord parce que Bernard Tapie fait de la lutte contre la montée de l’extrême droite, le ciment de son engagement public, et ce dès son premier combat en Provence. Si d’aucuns lui reprochent, dès les législatives de 1988, de reprendre les recettes qui ont fait le succès de Jean-Marie Le Pen et l’accusent de céder à une forme de populisme désidéologisé, le fringant quadragénaire promet de “réduire à moins de 10% le score du FN”, sous l’œil bienveillant de François Mitterrand.

“Tapie, je le connaissais très peu avant le gouvernement Bérégovoy. Je l’ai accepté, il s’est révélé un excellent ministre”, résumait le chef de l’État en 1993 entre autres compliments, adressés au grand dam de certains pontes socialistes, agacés, eux, par les sorties du fort en gueule. Il faut dire que l’homme d’affaires, qui s’est lancé sur les terres où le FN réalisait ses meilleurs scores, n’a jamais rechigné aux joutes verbales et autres coups d’éclat sur les plateaux de télévision.

Ce n'est pas parce que vous avez une grande gueule et que vous affirmez fort quelque chose que ce que vous dites est vrai! Vous dites n'importe quoi!Bernard Tapie à Jean-Marie Le Pen en 1989 sur TF1

En 1989, député depuis moins d’un an, il est le seul responsable public de premier plan à accepter de débattre avec Jean-Marie Le Pen sur le thème déjà inflammable... de l’immigration.

La discussion, plutôt le combat, vire au pugilat et les deux hommes semblent tout proches d’en arriver aux mains. “Ce n’est pas parce que vous avez une grande gueule et que vous affirmez fort quelque chose que ce que vous dites est vrai! Vous dites n’importe quoi!”, lance notamment Bernard Tapie à son interlocuteur, dans une tirade restée célèbre et qui trouve un certain écho dans le climat politique actuel.

Son adversaire politique de l’époque a “salué sa mémoire” et “le caractère exceptionnel de sa personnalité”.

Le “missile” arrêté par les affaires

Mais ce n’est pas tout. Au-delà ces sorties médiatiques, et autres coups d’estrade, massivement partagés sur les réseaux sociaux depuis l’annonce de sa disparition, Bernard Tapie enchaîne les succès électoraux au début des années 1990.

À la tête d’une liste ”Énergie sud” en Provence Alpes Côte d’Azur lors des régionales de mars 1992, aux côtés des fidèles de la mitterrandie Jean-Louis Bianco, Élisabeth Guigou ou Léon Schwartzenberg, il crée la surprise et arrive en tête dans les Bouches-du-Rhône, avec un score largement supérieur à celui que lui promettaient les sondages.

Lors de cette campagne, il transgresse en s’en prenant autant aux dirigeants frontistes qu’à leurs électeurs: “Arrêtons de dire que Le Pen est un salaud mais que ses électeurs doivent être compris, qu’ils ont des problèmes difficiles. Si l’on juge que Le Pen est un salaud, alors ceux qui votent pour lui sont aussi des salauds.”

Mais sa victoire électorale la plus spectaculaire intervient en juin 1994, lorsque François Mitterrand lui demande de conduire une liste aux élections européennes pour affaiblir Michel Rocard, à la tête de la candidature socialiste. Avec Christiane Taubira, Noël Mamère et Jean-François Hory, il arrive quatrième et recueille plus de 12% de suffrages, à peine deux points de moins que la liste PS, et devant celle conduite par Jean-Marie Le Pen (10,5%). “J’ai été abattu par un missile nommé Tapie, tiré depuis l’Élysée”, expliquera, amèrement, Michel Rocard, à la suite de ce scrutin.

Si l’élection hypothèque irrémédiablement les ambitions élyséennes de l’ancien Premier ministre, elle amplifie celles de Tapie, présenté alors comme présidentiable et, quoi qu’il en soit, favori pour emporter la mairie de Marseille l’année suivante, ville où il est arrivé largement en tête avec 30% des voix aux européennes. Une trajectoire foudroyée par le déclenchement de l’affaire OM-VA, qui l’éloignera définitivement de la politique.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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