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Bastille, Nation, Montparnasse... Comment sont choisis les parcours des manifestations parisiennes?

Manifestation contre la réforme des retraites place de la Bastille à Paris, le 23 septembre 2010. - AFP
Manifestation contre la réforme des retraites place de la Bastille à Paris, le 23 septembre 2010. - AFP

République, Nation, Montparnasse... Les manifestations parisiennes adoptent souvent les mêmes trajets, empruntant de larges avenues souvent ponctuées de symboles historiques. Entre raisons pratiques et réappropriations d'emblèmes républicains, ces parcours ne doivent rien au hasard. Explications, alors qu'une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites se déroule ce mardi.

Un choix d'abord utilitaire

Le lieu d'une manifestation est d'abord guidé par des raisons pratiques, liées au nombre de participants attendus. Il faut prévoir un parcours suffisamment important si la mobilisation promet d'être forte, avec de larges avenues et boulevards afin que les forces de l'ordre et les organisateurs puissent assurer la sécurité des manifestants.

Dans certains défilés, un double parcours peut même être prévu afin de gérer l'afflux de participants. Mais les organisateurs doivent trouver le juste équilibre et ne pas non plus avoir la folie des grandeurs.

"On évite les parcours surdimensionnés. Il n'y a rien de pire pour les manifestants en terme d'image", souligne auprès de BFMTV.com le socio-historien Laurent Frajerman, chercheur associé au Centre d'études et de recherche sur les liens sociaux (Cerlis).

La décision est discutée en amont entre syndicats, mais c'est ensuite "la préfecture qui a le dernier mot", explique de son côté un représentant de Force ouvrière (FO).

Mettre en avant des "symboles"

Un autre élément détermine le parcours d'une manifestation: les quartiers et lieux emblématiques qui le ponctuent. Le trajet allant de la place de la République jusqu'à celle de la Nation, en passant par la place de la Bastille, est pour cela particulièrement prisé à gauche.

"On passe devant des symboles, des statues associées au mouvement républicain", explique l'historien et sociologue.

Certains manifestants grimpent parfois sur la statue de la place de la République, y dansent et chantent des slogans. Une façon de "s'approprier un symbole républicain", suggère-t-il.

Pour les mobilisations de droite, on privilégie plutôt le quartier de Montparnasse, associé au sud parisien, plus bourgeois, quand l'extrême droite se retrouve devant la statue de Jeanne d'Arc place des Pyramides (1er arrondissement), une figure historique que le Rassemblement national aime particulièrement célébrer.

Une "ritualisation" des lieux

Le chercheur estime qu'une forme de "ritualisation" s'instaure chez certaines organisations qui prévoient des manifestations parcourant les même lieux, par simple habitude.

"Il n'y a rien d'inéluctable", rappelle-t-il cependant.

La grande mobilisation dite de l'école libre en 1984, lancée par la droite, avait ainsi choisi de se rendre place de la Bastille, associée à la gauche, tandis que celle visant à défendre l'école publique, un mouvement marqué à gauche, avait eu lieu dans le quartier de Montparnasse, prisé par la droite.

"On évite les lieux de pouvoir"

Parfois, certains organisateurs doivent revoir leur plan. "Il arrive qu'on ait des refus (de la préfecture)", explique un représentant de FO. Les raisons sont d'ordre sécuritaire principalement, notamment en raison de la présence de commerces.

À Paris, l'avenue des Champs-Élysées est typiquement réservée au défilé du 14-Juillet et aux célébrations du Nouvel An. Le reste du temps, aucune manifestation autorisée ne s'y déroule.

"On évite les lieux de pouvoir comme l'Élysée ou Matignon", assure Laurent Frajerman, à la fois pour la dimension sécuritaire, mais aussi pour le symbole.

À plusieurs reprises ces dernières années, des lycéens ont ainsi tenté de manifester devant le domicile du chef de l'État, mais "ils ont toujours été bloqués par la police", rappelle-t-il.

Les ronds-points, un lieu inédit

Lancé fin 2018, le mouvement des gilets jaunes vient bousculer l'ordre établi en choisissant d'adopter le rond-point comme principal lieu de mobilisation.

"C'était une très grande innovation de la part de personnes non socialisées aux manifestations classiques et une façon de mettre en avant les périphéries", souligne le chercheur.

L'historien rappelle que ce type de protestation, non déclaré à l'avance en préfecture, s'est cependant souvent soldé par des actes de violence avec les forces de l'ordre. "D'une certaine façon, ils ont montré qu'il valait mieux jouer le jeu des manifestations", estime-t-il.

Article original publié sur BFMTV.com