Bas salaires et Smic, Michel Barnier ouvre la porte à une petite révolution en matière d’exonérations
ARGENT - En matière de salaire, on aura surtout retenu de la déclaration de politique générale de Michel Barnier, la hausse de 2 % du Smic avancée de deux mois. Pourtant, face aux députés ce mardi 1er octobre, le Premier ministre a semé quelques indices sur une autre porte qu’il pourrait bien entrouvrir pour pousser les rémunérations : la fin des exonérations sur les bas salaires. « Il est désormais démontré que notre dispositif d’allègement de charges freine la hausse des salaires au-dessus du Smic : nous le reverrons », a-t-il promis.
Face à l’Assemblée, Michel Barnier poursuit le « en même temps » macroniste (en ménageant le RN)
Le constat n’est pas nouveau, il est même écrit noir sur blanc dans un rapport remis dans l’été par les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer. Assez difficile à décrypter pour les béotiens de l’économie, ce rapport commandé par Élisabeth Borne en 2023 plaide en réalité pour une véritable petite révolution.
Rapide retour en arrière. Dans les années 90, le chômage dépasse les 10 %. Pour pousser les entreprises à recruter, le gouvernement d’Édouard Balladur propose d’alléger les charges sur les salaires proches du Smic en baissant voire exonérant certaines cotisations sociales patronales. Concrètement, il baisse le « coût du travail » pour encourager l’embauche.
Ce système sans cesse étendu offre aujourd’hui une réduction généreuse des cotisations patronales jusqu’à 1,6 Smic, mais aussi toute une ribambelle d’allègements divers et dégressifs pouvant concerner les salaires jusqu’à 3,5 Smic. À ce barème général s’ajoute en plus des dispositifs spéciaux suivant les régions.
« Smicardisation » et « trappes à bas salaire »
Dans les années 90, l’idée a produit des effets positifs avec des dizaines de milliers d’emplois créés avec des salaires peu élevés. Mais 30 ans plus tard, dans un contexte fortement inflationniste et avec un chômage sous les 10 %, des économistes n’hésitent plus à critiquer une sorte de dogme en parlant de « smicardisation » et de « trappes à bas salaires ».
De fait, ce dispositif incite insidieusement les entreprises à concentrer les salaires entre 1 et 1,6 Smic pour profiter des exonérations les plus généreuses. Selon les estimations, pour augmenter de 100 euros net un salarié payé 2000 euros brut, l’employeur débourse jusqu’à 500 euros puisqu’il perd le bénéfice des exonérations.
Une stagnation de la grille salariale renforcée par la prime Macron puisque, comme le notait l’Insee dès mars 2023, elle a eu tendance à se substituer à des hausses de salaire sonnantes et trébuchantes. D’autant qu’elle est aussi exonérée de la plupart des cotisations sociales, encore une fois au détriment du financement de la protection sociale.
Des pistes pour Michel Barnier
Comment Michel Barnier entend-il bousculer cette fourmilière ? Le Premier ministre ne l’a pas précisé ce mardi. En revanche, il pourra compter sur les propositions formulées par Antoine Bozio et Étienne Wasmer
Selon Les Échos, les économistes qui appellent à un « grand ménage » proposent par exemple d’augmenter - un peu - le coût du travail au niveau du Smic en réduisant les exonérations. Le taux d’exonération sur le Smic passerait à 36 %, contre 40 % aujourd’hui (il était de 26% en 2005). Autres pistes évoquées : faire disparaître les coups de pouce pour les salaires au-dessus de 1,9 Smic ou de 2,5 Smic mais renforcer les allègements pour les salaires inférieurs à ces seuils, ou inscrire un critère d’âge (pour les moins de 26 ans, par exemple).
Selon plusieurs sources de presse, Gabriel Attal qui disait vouloir « désmicardiser la France » avait décidé lorsqu’il était à Matignon de s’atteler aux exonérations entre 3 et 3,5 Smic. Reste à savoir si Michel Barnier lui emboîtera le pas.
Un point ne devrait en tout cas pas passer sous son radar. Dans leur rapport, Antoine Bozio et Étienne Wasmer évoquent des effets plutôt positifs en cas de changement - à moduler suivant les secteurs et salaires concernés - mais aussi potentiellement des rentrées d’argent pour les caisses de l’État. Autant dire une aubaine à l’heure où la classe politique s’alarme d’un possible déficit public à 6 %. Chaque année, les exonérations sur les bas salaires représentent un trou de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
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