Bao, violée à 4 ans et tombée dans la prostitution : "Il m’a pénétrée avec ses doigts, je ne savais pas que c’était une agression sexuelle"
Bao est passée de l'enfer de l'inceste à celui de prostitution. Un chemin sombre qu'elle raconte dans son livre-témoignage "16 ans, prostituée" paru le 10 octobre aux éditions XO. Pour Yahoo, la jeune femme revient sur le viol commis sur elle par son oncle, l'enfermement dans le secret, les tentatives de suicide puis le basculement dans le monde de la prostitution.
Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.
"J'étais une enfant abusée à la parole bâillonnée". Les mots de Bao, jeune femme de 24 ans, en disent long sur la solitude de sa jeunesse. Un enfermement qui a débuté à l'âge de 4 ans, le jour où elle est allée dormir chez son oncle, qui en profitera pour voler son innocence : "Un moment, j'ai senti les mains de mon oncle qui allaient vers mon intimité. Il m'a pénétrée avec ses doigts...". Il lui faudra plusieurs années pour réaliser qu'il s'agit d'une agression sexuelle et sortir de l'amnésie traumatique. Mais à 13 ans, Bao doit affronter un mur de silence. Loin de la soutenir, sa mère remet en cause sa parole et lui demande de se taire : "elle était très fermée, c'est limite comme si elle me traitait de menteuse […] Elle m'a dit 'ne le dis pas à ton père, ça va créer un scandale'". Bao n'a personne à qui se confier, ni au sujet du viol commis par son oncle, ni au sujet de ceux qui auront lieu après....
Par la Brigade des mineurs non plus, Bao ne se sentira pas soutenue. Avant l'audition, un gendarme l'accueille avec cette phrase qui lui glace le sang : "J'espère que tu ne mens pas". Pas en confiance, l'adolescente ne portera alors pas plainte contre son oncle. Mais elle retournera son mal-être contre elle en se scarifiant les jambes, les cuisses etc : "Je faisais ça avec un cutter et des fois avec mon compas […] C'était comme un moyen pour moi de me punir, car je culpabilisais de ma propre agression. Je me suis dit 'peut-être que c'est de ma faute, que je n'aurais pas dû dormir chez ma tante et mon oncle...'". Son mal être, grandissant, la mène à des tentatives de suicide : "Je prenais énormément de médicaments, peu importe lesquels, et j'attendais seulement que je ne me réveille plus". Les allers-retours en hôpital psychiatrique s'enchaînent, mais son mal-être, lui, ne s'envole pas.
C'est dans sa relation aux hommes qu'il se manifestera notamment par la suite. À 16 ans, Bao rencontre un certain Ibrahim, avec lequel elle entre en flirt. Celle qui se décrit comme étant alors une "proie facile et vulnérable" ignore qu'elle est tombée sur un prédateur. Au bout de 4 à 5 semaines de relation, celui-ci lui suggère en effet de masser des hommes nus pour gagner de l'argent. Face au refus de la jeune fille, il crée un faux profil sur les réseaux sociaux avec des photos d'elle, sans son consentement.
"Ces messieurs-là étaient très très très attirés par le fait que je fasse très jeune sur mes photos"
Bao reçoit alors d'incessants appels et messages d'hommes lui demandant les tarifs de ses prestations. Un choc pour la jeune fille qui comprend qu'elle a été trahie : "Je découvre sur les réseaux que je suis devenue une p***, alors que je n'ai jamais couché. Je me suis trompée, Ibrahim ne m'aime pas, il se sert juste de mon corps pour se faire de l'argent". Mais malgré sa prise de conscience, celle qui n'est alors protégée par aucun adulte ne supporte pas l'idée de perdre son "copain", et décide d'accepter de travailler pour lui. Dans une chambre d'hôtel, elle reçoit ses premiers clients, et pour supporter, se déconnecte d'elle-même : "C'est comme si mon esprit n'était plus là à ce moment-là [...] Pour tenir, je prenais des drogues dures".
Son entrée dans le monde de la prostitution est désormais acté. Et se poursuit par une prise de contact via les réseaux sociaux avec une certaine Nadia, pratiquant l'escorting. Par son intermédiaire, Bao tombera entre les mains de macs très manipulateurs. "[Ils]rentrent dans nos têtes et nous vendent du rêve : 'tu te feras des amis, tu te feras beaucoup d'argent, tu pourras voyager'... Mais c'est que des conneries !". La réalité est bien plus sombre : soumise à des clients attirés par son extrême jeunesse, la jeune femme enchaîne des journées de plus de dix heures et s'épuise. "Ils me donnaient de la cocaïne pour que je tienne, que je reste debout. Ce que j'étais commençait à s'effacer. Je me négligeais beaucoup physiquement... Quand je recevais des clients, j'étais en nuisette, maquillée à outrance pour les attirer. Mais physiquement, c'était très très dur".
L'enfer continue avec l'arrivée de Karl, un nouveau proxénète. Car en plus de l'épuisement, celle qui se faisait surnommer Molly commence à subir de la violence, autant verbale que physique : "Je suis une femme, mais ça ne l'empêchait pas de me frapper, de me cogner contre le lavabo, le radiateur, de me foutre des coups de poing au visage. Pour me déshumaniser encore plus, ça pouvait aller jusqu'au viol". Bao raconte en effet avoir été forcée à lui faire des fellations et à recevoir son sperme dans la bouche au moment de l'éjaculation.
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Devenue son "esclave" selon ses propres termes, la jeune femme finit à l'hôpital, "à l'article de la mort". Souffrant de diabète de type 1, celle-ci avait débuté un coma diabétique et vomissait énormément. À l'hôpital, les soignants la déshabillent et constatent des choses anormales : "J'avais un petit pantalon cycliste en dessous de ma robe, ils ont vu qu'il était déchiré au milieu, qu'il y avait du sang. Ma culotte était trempée...". Au bout de quelques jours, la jeune femme décide d'écrire tout ce qui lui est arrivé. Puis une policière la convainc de porter plainte, pour protéger celles qui pourraient être victimes comme elle.
Depuis, Bao a 24 ans se fait la plus discrète possible pour éviter que ces agresseurs ne se vengent. Elle a aussi appris ce que signifiait réellement "faire l'amour" et "avoir du désir" grâce à une très belle relation amoureuse.
Côté justice, la jeune femme prend son mal en patience depuis 4 ans. Ses agresseurs "vont finalement être jugés pour proxénétisme, mais pas pour les violences sexuelles qu'ils [lui] ont fait subir". Quant à Karl, le plus violent d'entre eux, il est en attente de jugement et échappe pour le moment à la prison. Une injustice de plus aux yeux de la victime : "Je trouve ça dégueulasse en fait, encore une fois je me suis pas sentie soutenue par la justice. Cet homme ne devrait pas être en liberté, c'est un danger pour les femmes !".